Выбрать главу

Adrienne avait repris quelque espoir. Une nouvelle lettre de son mari, plus affectueuse et lui annonçant sa proche arrivée, lui mit un peu de baume au cœur. D’autre part, les jours s’écoulaient. Arnoldson ne donnait pas signe de vie. On ne le rencontrait même point dans le pays.

Adrienne se disait qu’il avait fui après ses honteuses tentatives et ses dangereuses calomnies, et elle espérait bien qu’elle ne le reverrait jamais plus.

Le lendemain du jour où nous avons assisté à la représentation des Folies, Adrienne se promenait un peu moins angoissée, dans une allée du bois qui paraissait désert. Il était environ cinq heures du soir. Elle était seule.

Elle s’égara quelque peu dans le bois, puis elle se retrouva sur la route qui venait d’Esbly et montait, sous les arbres, jusqu’à la villa des Volubilis.

Adrienne s’attarda un peu sur cette route. Elle nourrissait le secret espoir que Lawrence arriverait ce soir-là et qu’elle serait la première à le voir et à lui souhaiter la bienvenue.

Son espoir sembla se réaliser, car elle vit poindre sur le sentier une silhouette. Elle pensa que Lawrence, dans un but de promenade, était venu à pied de la gare d’Esbly. Elle s’avança donc vers cette silhouette, qu’elle reconnut bientôt parfaitement.

C’était Pold!

Celui-ci avait quitté les Volubilis en donnant une vague explication à sa mère et en promettant de n’être pas plus de quarante-huit heures absent.

Adrienne se disait qu’elle allait avoir certainement des nouvelles du père.

Pold avait salué, de loin, joyeusement, sa mère, et celle-ci avait précipité sa marche.

Adrienne et Pold étaient en face de l’auberge Rouge.

Or, sur le seuil de cette auberge se tenait le noir qui en était à la fois le propriétaire, le patron et le domestique, qualités auxquelles il avait joint dernièrement celle de jardinier d’Arnoldson.

Joe était là et considérait les effusions auxquelles se livraient en toute sincérité Adrienne et son fils.

– Tu as des nouvelles de ton père, mon enfant? demandait Adrienne.

– Nullement, mère. Je ne l’ai point vu, mentit effrontément Pold, qui avait fort bien distingué son père dans la loge des Folies. Je ne viens pas de Paris, continua-t-il, mais d’Asnières, 0ù l’un de mes bons amis m’avait convié à une superbe partie de football.

La mère flairait bien quelque mensonge et quelque farce de jeunesse. Elle passa outre, indulgente.

– C’est que ton père m’avait écrit qu’il allait arriver, et je l’attends presque ce soir.

Elle ajouta, pendant que Pold lui offrait son bras:

– Je serais heureuse de vous avoir tous autour de moi.

– Maman chérie! fit Pold.

La maman chérie avait, comme nous l’avons dit, pris le bras de Pold. Sa main heurta quelque chose de dur qui gonflait le veston de Pold.

– Qu’est-ce que tu as donc dans tes poches, mon Pold, qui gonfle ainsi ton veston? demanda Adrienne.

Pold devint cramoisi et dit:

– Oh! rien… Ce sont des journaux de sport qui m’intéressent. Je m’en débarrasserai à la maison…

Et, ce disant, bien que la chose parût impossible, Pold rougit plus encore. Adrienne s’en aperçut et ne put s’empêcher de sourire.

– Ah! Pold, vous ne dites pas la vérité, ce qui est fort vilain. Mais gardez, monsieur, vos secrets; je ne veux pas les connaître.

Pold balbutiait:

– Mais non, m’man, je ne mens pas… Je t’assure que je ne mens pas…

À ce moment, ils aperçurent Joe sur la porte de l’auberge Rouge. Joe riait de toute sa dentition formidable…

Pold et Adrienne lui firent un signe de tête. Adrienne, se souvenant qu’il avait été fort aimable le soir où ils lui demandèrent l’hospitalité, voulut ne point passer sans lui adresser la parole.

Et, comme elle ne savait que dire, elle sortit la phrase consacrée des débuts de conversation quand il ne pleut pas.

– Il fait un temps superbe, M. Joe, dit-elle.

– Superbe! madame, répéta Joe… superbe! Mais, certainement, il n’y aura pas de lune cette nuit!

Ce fut un coup terrible qu’elle reçut en plein cœur. Elle chancela, s’appuyant à Pold pour ne point tomber. Elle était d’une pâleur mortelle, et Pold crut qu’elle allait s’évanouir.

– Qu’as-tu, mère? s’écria-t-il.

Et, la prenant dans ses jeunes bras vigoureux, il voulut la porter jusqu’à l’auberge Rouge. Mais elle se défendit et dit, d’une voix rauque:

– Non! Non! Jamais! Pas dans cette maison, pas chez cet homme!

Pold insistait. En attendant qu’elle fût remise de son trouble passager, Adrienne ferait bien d’accepter une station à l’auberge Rouge.

Elle répondit une dernière fois: «Non!» de telle sorte et sur un tel ton qu’il n’osa plus lui en parler.

Joe était resté sur le seuil et souriait toujours, paraissant ne rien comprendre à ce qui se passait à quelques pas de là, sous ses yeux.

– Du reste, dit Adrienne, en s’appuyant à Pold et en faisant quelques pas, me voilà à peu près remise. Ce ne sera rien. Rentrons vite, mon fils.

Ainsi elle avait bien entendu la phrase fatale, le fameux avertissement qui devait lui annoncer la visite de l’Homme de la nuit pour le jour suivant. Et, cette fois, il avait la preuve! Il apportait les lettres! Comment se serait-il risqué sans cela?… Il n’y aura pas de lune cette nuit! Ah! cette phrase bizarre et stupide, prononcée par un homme dévoué à Arnoldson, qui ne signifiait rien pour les autres, ce qu’elle disait de choses pour elle! ce qu’elle annonçait de désastres! ce qu’elle précédait de catastrophes!

Et Adrienne, sur le sentier, sentait ses forces qui l’abandonnaient. Elle arriva à la villa plutôt portée que soutenue par son fils.

Ils n’avaient pas plus tôt franchi la grille de la villa que d’un bouquet d’arbres sortait Harrison.

Il regarda longuement Adrienne, qui traversait le jardin, toujours au bras de son fils.

Harrison laissa échapper un profond soupir; il reprit, quand Adrienne eut disparu, le chemin de la villa des Pavots.

Il marchait lentement et paraissait en proie à une émotion intense.

– La malheureuse! disait-il.

Il n’était point arrivé au seuil de la demeure de l’Homme de la nuit qu’il était rejoint par Pold, lequel lui demanda, avec un tremblement dans la voix:

– M. Arnoldson est ici, n’est-ce pas?