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– Sans doute.

– Et quoi donc, monsieur?

– Attendez, je vous prie, que j’aie fini de libeller ce reçu.

– Quel reçu?

– Mais un reçu de dix mille francs.

– À quoi bon? Vous voulez que je vous signe un reçu?

– Sans doute.

– Je ne comprends pas. Vous avez vos lettres, et moi j’ai votre argent et votre promesse. N’est-ce point suffisant?

– Je vais vous faire comprendre. Ces dix mille francs, ce n’ai pas moi qui vous les donne.

– Et qui donc, monsieur? demanda Pold, étonné.

– Et pour qui donc avez-vous travaillé? Est-ce pour moi ou pour le prince Agra?

– C’est pour le prince Agra.

– Alors, pourquoi voulez-vous que ce soit moi qui vous donne les dix mille francs?

– C’est juste! Ces dix mille francs sont donc au prince Agra?

– Vous l’avez dit. Et, en les acceptant, vous lui rendrez encore service, puisqu’ils vous serviront à éloigner Diane de lui.

– Et il veut un reçu?

– Non pas lui, mais moi.

– Vous?

– Il faut bien que je justifie de ces dix mille francs vis-à-vis de lui. Aussi je vous demande de signer ce billet, qui est ainsi libellé: «Reçu de M. Arnoldson dix mille francs pour les lettres soustraites dans le secrétaire de Diane.»

Pold, d’un geste décidé, signa.

– Vous voyez, monsieur, que je n’y mets aucune difficulté.

– C’est trop naturel.

– Je n’y mets aucune difficulté, car, au besoin, ce reçu ne pourrait me desservir qu’auprès de Diane, à laquelle vous aurez l’occasion d’apprendre que je lui ai soustrait les lettres du prince Agra. Or, ceci m’est parfaitement indifférent, car je suis bien décidé, dès que je verrai Diane, à lui dire moi-même le nom de son voleur. Quand elle saura quelles étaient vos intentions, et le danger qu’elle courait, et les motifs qui m’ont fait agir, j’espère bien qu’elle me pardonnera.

– Je le crois aussi, fit Arnoldson.

– Et si elle ne me pardonne pas, continua Pold avec un certain accent de fierté, j’aurai encore ma conscience pour moi!

– Ce vous sera évidemment une consolation. Mais vous n’en aurez pas besoin.

– Pourquoi?

– Parce qu’elle vous pardonnera.

– Puissiez-vous dire vrai, monsieur! J’aime Diane de toute mon âme.

Pold serra dans les poches de son veston les dix mille francs, et Arnoldson prit le reçu.

Puis l’Homme de la nuit se leva et accompagna Pold jusqu’à la porte de son cabinet.

– Au revoir, monsieur Pold, dit-il, et ayez foi en moi. Vous vous rappelez mes paroles?

– Je serai demain soir dans ma garçonnière de la rue de Moscou!

– Si vous n’y êtes pas, Diane y sera.

Pold se retourna une dernière fois vers Arnoldson:

– J’ai fait tout ce que vous m’avez ordonné pour ce rendez-vous, monsieur. Croyez bien que je n’y manquerai pas.

Pold s’éloigna, et Arnoldson rentra chez lui.

Le jeune homme n’eut pas plus tôt quitté la villa des Pavots qu’il s’assit, tout pensif, dans l’herbe. Des pensées assez incohérentes l’occupaient.

Maintenant qu’il avait livré les lettres et qu’il avait les dix mille francs, il regrettait presque sa conduite. Il se disait:

– Ce n’est pas honnête, ce que j’ai fait là.

Puis il expliquait vis-à-vis de lui-même son cambriolage:

– Si je n’avais montré de la décision, Diane était perdue!

Mais, au fond, il n’était pas bien convaincu et n’était qu’à moitié dupe des raisons qu’il s’énumérait pour se rendre une tranquillité d’esprit qui le fuyait.

Il se leva d’un bond.

– Ma seule excuse, s’écria-t-il, c’est de tout dire à Diane! Et je le lui dirai demain!

Il se donna une forte claque sur la cuisse:

– Bah! j’ai fait une folie, mais c’est de mon âge!

Et il rentra précipitamment aux Volubilis.

XI L’HOMME DE LA NUIT S’AMUSE

Entièrement vêtue de noir, Adrienne attendait l’Homme. Horriblement pâle, elle avait une face d’angoisse. Cependant, elle en paraissait plus belle encore.

Déjà courbée sous la destinée que lui faisait Arnoldson, s’avouant vaincue à l’avance et n’ayant plus rien à tenter pour empêcher l’écroulement, très proche, de tout ce qui avait constitué jusqu’à ce jour son bonheur et sa foi, elle avait en elle quelque chose de fatal et d’immuable qui faisait peur.

Elle avait suivi les instructions de l’Homme. Elle avait vidé la maison de ses hôtes. Elle savait Pold à Villiers, où il était allé louer une bicyclette, disait-il, pour une longue promenade qu’il voulait faire le soir même, car il se proposait de rejoindre des amis qui l’attendaient à Crécy. Pold eût pu partir sans explications: elle ne lui en eût pas demandé.

Lily, se disant souffrante, s’était retirée dans sa chambre, où elle rêvait, en réalité, à l’amour du prince Agra et à la disparition du cavalier blanc, qui ne lui était pas apparu, au crépuscule, depuis deux jours.

Adrienne était donc seule, toute seule, en attendant Arnoldson.

Dehors la chaleur accablante de l’après-midi semblait avoir endormi toutes choses.

Les persiennes du salon où se tenait Adrienne étaient à demi closes. Un demi-jour régnait dans la pièce.

Adrienne était debout depuis longtemps, et, sans un mouvement, fixait entre les persiennes, qui ne se rejoignaient pas, la grille du jardin.

Par cette grille, il devait entrer. Elle regardait le seuil, qu’allait franchir ce messager de catastrophes.

Elle savait qu’il viendrait. Elle n’avait plus de doute. Elle avait cette sensation que tout était consommé.

Et il vint. Il arriva lentement par l’allée verte, sous les feuillages.

Elle vit son atroce image, cette silhouette de monstrueux oiseau de nuit. Il venait en balançant sans hâte les ailes de son manteau. Sur sa face blême, elle vit les deux trous noirs de ses lunettes, les deux trous effrayants où se cachaient ses yeux.

Et il poussa la grille, et il franchit le seuil comme s’il fût entré chez lui.

Alors, alors, elle vit qu’il souriait. Il souriait en la regardant. Il l’avait devinée entre les persiennes.