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Adrienne semblait hypnotisée par ce sourire. Une terreur folle s’empara d’elle. Plus que jamais celui qu’elle avait entendu appeler l’Homme de la nuit et qui lui avait toujours inspiré une grande répulsion, plus que jamais il lui apparut non point seulement comme un sinistre amoureux qui ne reculerait devant aucune infamie pour arriver à ses fins, mais comme un être inexplicable, redouté et mystérieux, qui semblait ne faire le mal que pour le mal et pour l’atroce joie qu’il paraissait y prendre.

Arnoldson gravit rapidement le perron, ouvrit une porte qu’il claqua derrière lui, fut dans le salon, devant Adrienne, croisa les bras et dit:

– Vous m’attendiez… me voilà!

D’un coup d’œil qui enveloppa Adrienne, il vit ce que son œuvre, depuis quelques jours, avait fait de cette femme.

Et il fut satisfait.

Son sourire s’élargit encore. Il goûtait une jouissance suprême à voir Adrienne si misérable malgré l’orgueil qui la dressait, devant lui, dans une attitude de défi et de lutte.

Il s’inclina encore:

– Je vous avais promis les lettres: je vous les apporte, madame.

Et il jeta sur un guéridon le paquet de lettres que lui avait apporté Pold.

Adrienne n’avait pas la force de prononcer un mot. Elle s’avança d’un pas automatique vers le guéridon où gisaient les lettres et allait mettre la main sur le paquet quand Arnoldson fut devant elle et l’empêcha de mettre son projet à exécution.

Adrienne leva sur l’Homme de la nuit un fier regard où il y avait plus de dédain que de colère.

Arnoldson prit immédiatement la parole.

– Madame, fit-il, avant de vous livrer les preuves de la trahison de votre mari, permettez-moi de vous donner quelques explications.

– Je n’en ai que faire, dit Adrienne d’une voix glaciale.

– Qu’en savez-vous, puisque vous ne les soupçonnez même pas? répliqua l’Homme de la nuit.

– Donnez-moi les lettres, monsieur. Toute parole entre vous et moi est superflue.

– Croyez-vous? fit l’Homme de la nuit. Croyez-vous? Moi, je suis sûr du contraire, et puisque vous ne me donnez pas la parole, je vais avoir le désespoir de la prendre.

Ceci dit, sans qu’il y fût invité, Arnoldson s’installa confortablement dans un fauteuil, et, les yeux sur la fière Adrienne, il commença:

– Madame, vous sembliez avoir deviné l’objet de ma conduite, dans notre dernière entrevue, quand vous me laissiez à entendre que je n’aurais à tirer aucun bénéfice de ma dénonciation. Vous étiez dans le vrai, madame, et votre perspicacité n’était point en défaut. Le secret de mon attitude, de mon ardeur à vous prouver l’infamie de votre époux réside tout entier dans ces trois mots: «Je vous aime!»

Adrienne recula. Tant de cynisme dépassait tout ce qu’elle pouvait imaginer, tout ce qu’elle croyait avoir à redouter de cet homme.

– Qu’est-ce donc, monsieur, demanda-t-elle presque en tremblant, qu’est-ce donc que cette inqualifiable passion qui vous possède et que vous appelez l’amour, et au nom de laquelle vous me faites subir tous les martyres et toutes les tortures? Si c’est cela votre amour, monsieur, si c’est ainsi que vous m’aimez, laissez-moi donc implorer votre haine; haïssez-moi, haïssez-moi, au nom du ciel!

Arnoldson subit l’indignation d’Adrienne sans broncher. Il avait toujours le même air fort dégagé et souriant. Il poussa un léger soupir et dit:

– Oui, madame, c’est ainsi. Je vous aime. Vous vous étonnerez peut-être que mon amour se manifeste sous un jour tel que je n’aie plus à espérer de vous que de la répulsion. J’y comptais, madame, j’y comptais. Vous pensez bien que ce n’est pas avec mon physique que je pouvais attendre de vous autre chose que le sentiment que je vous inspire à cette heure et qui ne m’est guère favorable. Je suis vieux, madame, et je suis laid, mal fait et contrefait. Me voyez-vous aimable, empressé, joli cœur, avec des allures, autour de vous, de jeune premier? Non, vous ne me voyez pas ainsi ou, alors, vous m’estimeriez le dernier des imbéciles. Au contraire, je suis fort intelligent et je le prouve. Ne pouvant vous avoir par la grâce de ma personne, je vous aurai par la terreur qu’elle vous inspire!

Adrienne voulut protester. Elle jeta ses deux bras devant cet homme, comme pour l’éloigner d’elle à jamais.

Pour ne pas tomber, elle s’appuya au mur, contre lequel elle s’était réfugiée.

– J’en ai décidé ainsi, madame. Songez à une chose: c’est que je n’ai jamais été aimé. Je ne puis espérer l’être jamais! Je suis riche, madame, à un point que vous ne sauriez croire. Malgré toutes mes richesses, je n’ai jamais pu prendre un cœur de femme: aussi l’expérience est-elle faite et ne la tenterai-je plus. Mais, si je n’ai pas son cœur, c’est son corps qui sera à moi! Oui, madame, son corps. Je veux que la femme que j’aurai élue – et vous l’êtes, madame – je veux qu’elle se donne à moi malgré toute l’horreur que je puis lui inspirer, malgré la haine qu’elle peut nourrir pour ma misérable personne… Et vous serez à moi… Oui, vous serez à moi!

Adrienne fut superbe dans la colère terrible qui la posséda soudain.

– Fuyez, monsieur! s’écria-t-elle. Fuyez! Si vous ne voulez que j’appelle mes domestiques pour vous chasser, fuyez!… Emportez vos lettres, vos mensonges, vos vaines déclarations, votre amour et ma haine, mais fuyez!

Arnoldson ne se leva même pas.

– Vos domestiques, madame? Ils m’appartiennent, J’ai tout acheté, ici-bas, de ce qui m’intéresse et peut m’être utile. Vous êtes à ma disposition, croyez-le bien, et ne me forcez point à vous le prouver plus tôt que je ne l’ai décidé moi-même. Calmez-vous donc et écoutez-moi dans le plus religieux des silences. Je vais vous lire les lettres de votre mari à cette Diane, et vous verrez qu’elles méritent toute votre attention.

– Mais, enfin, monsieur, quand vous m’aurez lu ces lettres, demanda encore Adrienne, qu’espérez-vous? Croyez-vous que le désespoir dans lequel elles me plongeront vous profitera? Et, de ce que mon mari m’aura trahie, déduirez-vous que je doive un jour vous appartenir?… Ah! vous êtes un criminel et un fou!

– Non, madame, je ne déduis point cela. Je vais simplement, d’abord, vous détacher de votre mari, et croyez bien que la besogne va m’être facile. Ensuite, pour ce qui me concerne, ne vous en préoccupez pas, ajouta l’Homme de la nuit, avec un nouveau rire. J’en fais mon affaire.

– Mais, enfin, qui donc êtes-vous, monsieur, s’écria Adrienne avec épouvante, pour apparaître ainsi dans ma vie et pour m’avoir choisie, moi qui ne vous connaissais pas il y a quelques semaines encore, pour votre victime?