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Pold avait suivi de point en point les indications de l’Homme de la nuit, et il était revenu de Villiers aux Volubilis pour n’en partir qu’à six heures du soir. Pold, après s’être assuré auprès des domestiques qu’on n’était point venu le demander dans l’après-midi, sauta sur sa bécane et se dirigea vers la gare d’Esbly.

On lui avait dit que sa mère était dans ses appartements, toujours un peu souffrante, et qu’elle avait prié qu’on ne la dérangeât point. Il ignorait donc totalement qu’il eût pu se passer quelque chose entre Arnoldson et sa mère.

À six heures donc, il passa devant l’auberge Rouge avec la rapidité que nous savons et dit adieu sans gêne à Mme Martinet. Arnoldson, avec sa psychologie diabolique, avait prévu cet événement. Il savait que Pold descendrait la côte à six heures. Il y envoya, grâce au mot de Joe, Mme Martinet vers six heures moins le quart, il avait escompté qu’elle verrait Pold, et que celui-ci, pressé, ne s’arrêterait point à son appel.

C’était là un excellent point de départ pour le travail auquel il voulait livrer Mme Martinet, et qu’il avait confié aux deux compères Jules et Joe. Il lui fallait une dénonciation de Mme Martinet.

Arnoldson avait eu dans l’après-midi son dramatique entretien avec Adrienne et lui avait abandonné les lettres livrées la veille par Pold.

À six heures, Pold partait pour Esbly.

À six heures et quart, Mme Martinet écrivait ceci, sous l’œil bienveillant de Joe et du père Jules:

«Monsieur,

«Je crois de mon devoir de vous avertir de la conduite de votre fils et des dangers qu’il court, livré à la plus terrible des femmes.

«Votre fils est un brave petit garçon que mon mari a l’occasion de voir de temps à autre, qu’il aime beaucoup. Quant à la femme, je suis mieux que quiconque à même de la connaître, puisque c’est ma sœur.

«C’est donc par intérêt pour votre fils et par crainte de cette femme que je me permets d’éveiller votre attention et de faire appel à votre autorité de père.

«M. Pold a de nombreux rendez-vous avec celle que j’ai la honte d’appeler ma sœur, à Paris, rue de Moscou, n°… Ce soir même, il vient de quitter les Volubilis pour aller se jeter dans les bras de Diane.

«Car ma sœur est cette Diane dont parle tout Paris et qui causa tant de scandales qu’on ne les compte plus.

«Agréez, monsieur Lawrence, etc…»

Et Mme Martinet signa de son nom d’épouse et donna son adresse, rue du Sentier.

Le père Jules opinait du chef. Mme Martinet avait mis sa missive dans une enveloppe. Elle voulut écrire l’adresse.

– Nous allons envoyer cela à Paris, n’est-ce pas? fit-elle.

– Non point, non point! Pourquoi à Paris? demanda le père Jules.

– Mais puisque M. Lawrence s’y trouve à cette heure…

– Vous vous trompez, madame Martinet… M. Lawrence n’est plus à Paris.

– Cependant, il n’est pas non plus aux Volubilis.

– Il n’est ni à Paris ni aux Volubilis. Il a quitté tantôt l’un et il se dirige en ce moment vers l’autre. Il sera ici ce soir même.

– Qu’en savez-vous?

– C’est lui-même qui me l’a dit. J’étais dernièrement encore moi-même à Paris, et il m’a annoncé le jour et l’heure de son arrivée aux Volubilis.

– Vraiment?

– Vraiment. Il ne saurait même tarder. Tenez, si vous en doutez, dit le père Jules en jetant un regard vers la route, vous n’avez qu’à le voir qui s’avance là-bas, au carrefour. Il sera ici dans cinq minutes.

– C’est pourtant vrai! s’écria Mme Martinet, qui venait de reconnaître Lawrence.

– Si vous le désirez, fit le père Jules, je me charge de lui remettre cette lettre.

– Vous êtes bien aimable, mais attendez qu’il soit rentré chez lui.

Et Mme Martinet remit la lettre au père Jules.

Lawrence arrivait en face de l’auberge Rouge. Il passa sans regarder de ce côté. Il paraissait tout pensif et fort préoccupé.

Quand il se fut éloigné quelque peu, le père Jules dit à Mme Martinet:

– Au revoir, madame Martinet. J’emboîte le pas à mon patron. Il aura votre lettre dans dix minutes.

Il salua et quitta Mme Martinet et Joe.

Celle-ci n’avait pas de cœur aux affaires. Et, comme Joe commençait, pour détourner le cours de ses idées noires, à l’entretenir du désir où il était d’apporter quelque transformation à l’ameublement de son hôtellerie. Mme Martinet fit:

– Un autre jour, monsieur Joe, un autre jour. Je crois bien que je partirai demain pour Paris. Le séjour du bois de Misère m’est devenu odieux. Vous viendrez me voir rue du Sentier, et nous nous entendrons.

Soudain, Mme Martinet se leva et s’exclama:

– Il ne va pas lui faire de mal, surtout?

– Qui? demanda Joe.

– Mais son père! Mon Dieu, s’il allait lui faire du mal, à M. Pold!

Joe eut un bon sourire.

– Il l’aime trop, madame Martinet! fit-il.

La pauvre femme se tamponna les yeux et partit précipitamment pour le pavillon des Pavots.

Le père Jules avait donc suivi Lawrence. Le père Jules savait que Lawrence viendrait ce soir-là au bois de Misère, non point parce que celui-ci le lui avait dit, mais parce qu’Arnoldson le lui avait appris en lui dictant ses dernières instructions.

Arnoldson, lui, était absolument certain de l’arrivée de Lawrence. Il avait fait le nécessaire pour cela. Il l’avait appelé lui-même en lui envoyant une lettre fort impérative dans laquelle il lui disait qu’un entretien entre eux deux s’imposait relativement aux affaires qu’ils avaient en cours. Arnoldson affirmait que s’il ne le voyait point, le soir même, aux Pavots, où il l’attendait, il y allait pour lui, Lawrence, de sommes considérables.

Cette lettre fut remise à Lawrence, à Paris, par un homme à la dévotion d’Arnoldson et dans des conditions telles qu’il ne pouvait prendre que le train qui le descendait à Esbly à l’heure fixée par l’Homme de la nuit pour la réussite de sa combinaison.

Une voiture avait conduit Lawrence d’Esbly jusqu’au bas de la montée du bois de Misère. Pendant ce trajet, il était plongé dans des réflexions tellement profondes, qu’il ne vit point un cycliste qui le croisait avec la rapidité de l’éclair. C’était Pold, lequel, lui, reconnut son père et n’eut garde d’attirer son attention.