Avant de disparaître, il dit:
– Au moins, madame, m’apprendrez-vous quel fut celui qui m’a perdu? Qui donc vous a si bien instruite de cet amour maudit qui sera la cause de ma ruine? Me le direz-vous?
– Celui-là, répondit Adrienne, est un infâme qui, en échange de vos lettres, monsieur, a voulu m’insulter de son amour.
Lawrence se retourna, la figure bouleversée.
– Son nom! s’écria-t-il.
– Vous ne l’avez point déjà deviné?
Lawrence dit tristement:
– Je ne sais rien! Je ne vois rien! Je ne devine rien! Mais son nom, madame! Je veux que vous me donniez son nom!
– Que ferez-vous quand vous aurez ce nom, monsieur?
– Quand j’aurai le nom de cet homme, dit Lawrence, je le tuerai!
– Tuez donc Arnoldson, dit froidement Adrienne.
– Arnoldson! L’Homme de la nuit!!!
Lawrence, effroyablement pâle, sans ajouter un mot, quitta la chambre d’un pas fantomatique.
Il s’en fut dans la bibliothèque, se dirigea vers son bureau, ouvrit un tiroir, en tira un revolver, constata qu’il était chargé et le mit dans la poche du pardessus qu’il n’avait pas quitté depuis Paris.
Puis il quitta la villa, traversa le jardin, franchit la grille.
Il prit le chemin de la villa des Pavots. Mais il n’avait point fait vingt pas qu’il dut se retourner, car quelqu’un, derrière lui, l’appelait.
Il se retourna, le sourcil mauvais.
C’était le père Jules.
– Que voulez-vous? fit-il.
– Vous remettre ceci, monsieur.
– Qu’est-ce que ceci? demanda Lawrence en regardant un pli que lui tendait le père Jules.
– C’est une lettre que Mme Martinet m’a prié de vous remettre. Elle disait que c’était fort pressé et tenait à ce qu’elle fût remise ce soir même.
– Qui ça, Mme Martinet?
– Une dame qui se trouve en ce moment chez M. Arnoldson et dont le mari est tapissier rue du Sentier.
Lawrence se souvint et tendit la main. Il prit le pli. Lawrence décacheta la lettre, d’un geste fébrile.
– Pardon, monsieur… continua le père Jules.
– Qu’est-ce encore?
– Il y a ceci.
Et le concierge tendit une clef.
– Que voulez-vous que je fasse de cette clef?
– C’est elle qui me l’a donnée, en me disant qu’elle vous serait utile et que la lettre qu’elle me remettait vous ferait comprendre son utilité.
– Donnez!
Après avoir pris la lettre, il prit la clef. Le père Jules s’éloigna.
XIV KNOCK-OUT
Lawrence, ayant ouvert la lettre de Mme Martinet, la lut.
Il la relut.
Ce qu’il y avait dans cette lettre lui paraissait tellement impossible, improbable, effrayant qu’il ne pouvait le croire. Il resta devant cette lettre désemparé, étourdi comme s’il avait reçu de quelque boxeur émérite un coup de poing en pleine poitrine.
Puis, s’étant ressaisi, il pesa tous les termes de cette lettre et ne put qu’être frappé de la précision des détails. Cette dénonciation n’avait rien de vague et ne ressemblait en rien à quelque méchanceté de lettre anonyme. Une madame Martinet lui apprenait que son fils était aimé de Diane, lui disait où ils avaient leurs rendez-vous et prenait le soin de lui faire remettre la clef de l’appartement où ces jeunes gens se rencontraient, pour qu’il pût juger par lui-même.
Et son rival heureux était son fils! Quand il l’avait croisé sur la route, quand il l’avait vu fuir – car il fuyait – Pold se rendait certainement au rendez-vous de Diane.
Momentanément, il oublia Adrienne pour ne songer qu’à la trahison de Diane. Il se vit berné, bafoué, ridiculisé… par son fils.
De temps en temps, il s’arrêtait pour contempler la clef, qu’il avait conservée dans sa main.
Puis, il repartait sur la route des Pavots, se dirigeant vers la villa d’Arnoldson.
La passion de meurtre qui l’avait saisi à un moment donné s’était légèrement calmée. Ces deux catastrophes fondant sur lui avaient divisé sa volonté, et si sa haine pour Arnoldson n’avait pas diminué, le désir qu’il avait d’élucider vite la seconde affaire lui enlevait la résolution d’en terminer immédiatement d’une façon tragique avec la première.
Il arriva donc chez Arnoldson sans avoir rien résolu.
Dans le jardin, il trouva, au milieu du sentier, le jardinier.
Joe lui dit:
– Ah! vous voilà, monsieur Lawrence. Vous désirez voir M. Arnoldson?
Et Joe s’appuyait sur sa bêche, dodelinant de la tête d’un petit air béat.
– Oui, fit Lawrence, impatienté, je veux voir ton maître.
– C’est chose facile, fit Joe. Si vous voulez me suivre…
Lawrence suivit Joe.
Et Joe poussa la porte du vestibule en ajoutant:
– C’est derrière cette porte que vous le trouverez. Il est dans son cabinet.
Lawrence voulut ouvrir la porte, mais Joe l’arrêta:
– Pardon, monsieur Lawrence! Pardon!
– Quoi? demanda Lawrence d’un air mauvais. Joe prenait la basque du pardessus de Lawrence.
– Votre pardessus, dit-il. Il faut retirer votre pardessus. Mon maître ne saurait supporter qu’on entre chez lui avec un pardessus. C’est une manie qu’il a prise en Russie.
Ce disant, Joe retirait déjà le pardessus de Lawrence, qui se laissait faire, oubliant que dans la poche de ce vêtement il avait glissé un revolver.
– Oui, continuait Joe, en Russie, toute personne qui conserverait son pardessus serait considérée comme…
– Finissons-en, coupa Lawrence.
– Voilà, monsieur, voilà! Cela a un avantage dans ce pays de nihilistes: c’est qu’on ne peut entrer chez les gens avec des bombes dans ses poches sans qu’on s’en aperçoive tout de suite.
Cette dernière parole rappela le revolver à Lawrence. Il regarda Joe d’une façon singulière.
– Entrez, dit Joe.
Lawrence entra.
Quand il eut refermé la porte, Joe plongea sa vaste main dans la poche du pardessus et en tira le revolver.
Il le regarda d’un air fort sérieux.
– Il est d’un bon calibre, fit Joe.
Puis il replongea tranquillement l’arme dans la poche où il l’avait prise.