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Et il resta derrière la porte.

Lawrence, aussitôt entré, vit, en face de lui, Arnoldson, derrière le bureau.

Mais, cette fois, à côté de lui, il y avait un colosse. C’était l’Aigle, qui semblait veiller sur son maître. Il fixait d’un œil perçant le visiteur.

Quand il aperçut Arnoldson, le premier mouvement de Lawrence fut de se précipiter sur le misérable et de le gifler. Mais il fut détourné de ce dessein par le coup d’œil de l’Aigle et il comprit que toute tentative d’agression brutale, dans de pareilles conditions, était devenue tout à fait impossible.

Il s’avança jusqu’au bureau. Arnoldson, maintenant, le regardait:

– Ah! c’est vous, monsieur Lawrence!

– Oui, c’est moi! fit Lawrence, d’une voix brève. Avant de venir chez vous, j’ai passé chez moi. Je reviens des Volubilis, et vous devez penser, monsieur, que j’ai des choses pressées à vous dire. Mais je voudrais vous dire ces choses en particulier. Éloignez, je vous prie, votre domestique.

– Ce serait peine inutile, fit Arnoldson en souriant: cet homme ne saurait nous gêner.

– Il ne vous gêne pas, mais il me gêne, moi. Cela doit vous suffire.

– Vous avez tort, dit Arnoldson. Vous êtes même injuste. Vous pouvez dire tout ce que vous voudrez: cet homme ne répétera jamais vos paroles.

– J’en doute.

– Pourquoi doutez-vous? Il est sourd-muet! déclara Arnoldson en épanouissant son sourire. N’insistez pas, monsieur Lawrence. L’Aigle restera près de moi.

– Je comprends, monsieur, s’écria violemment Lawrence. Vous avez peur!

– Peur? Et de quoi? Et de qui?

– De moi! vous dis-je, de moi! Je vous apprends que j’ai passé par les Volubilis: cela ne signifie-t-il rien pour vous?

– Mais vous parlez un langage incompréhensible!

– Trêve d’hypocrisies, monsieur. J’ai vu ma femme, j’ai vu les lettres, et je sais qui les lui a remises!

Arnoldson prit un air contrarié:

– Vraiment? Elle vous a dit tout cela? Mon Dieu! comme c’est contrariant.

Lawrence considéra avec stupéfaction cet homme qui lui servait tranquillement une pareille phrase au moment où il devait s’attendre à un acte de terrible vengeance de la part de celui qu’il avait offensé.

Arnoldson, sans regarder Lawrence, continuait:

– Oh! contrariant, très contrariant! J’avais prié Mme Lawrence de ne point vous entretenir de cet enfantillage…

Lawrence écumait:

– J’étais venu pour te châtier comme tu le mérites, vieillard infâme! Et si tu ne t’étais entouré de tes serviteurs, qui te protègent et qui me désarment avant de m’introduire près de toi, ce serait déjà chose faite!

Arnoldson reprenait, dodelinant de la tête:

– Je me doutais bien que, si votre femme vous racontait ce qui s’est passé entre elle et moi, vous seriez tout prêt à vous livrer à quelque excentricité. Aussi ai-je pris mes précautions…

Lawrence avait croisé les bras et fixait sur Arnoldson un regard d’une rage inexprimable.

– Ainsi, c’est vous qui lui avez porté ces lettres? fit-il.

– Mon Dieu, oui, c’est moi! Et je me suis laissé aller, je l’avoue et je m’en excuse, à un langage peu convenable avec votre femme, mon cher Lawrence. J’étais fou! Elle est si jolie, encore, votre femme, que tout le monde – excepté vous, bien entendu – comprendrait ma conduite. Depuis longtemps, sa beauté m’avait frappé. Mon cher Lawrence, je n’ai pas été gâté, dans la vie, par les femmes. Que j’aie eu le rêve, vers la fin de ma misérable existence, de me… rapprocher d’une créature aussi parfaite que Mme Lawrence, mon crime est-il si grand?… Si vous saviez comment les choses se sont passées, peut-être vous décideriez-vous à me montrer un visage moins terrible.

Lawrence se domptant, d’un dernier effort, écouta:

– Jamais, mon cher monsieur Lawrence, jamais je n’eusse pensé à faire une déclaration à votre femme si je ne lui avais porté ces lettres, qui étaient une occasion évidente de la détacher de son mari et pouvaient la rapprocher d’un éventuel amant. Mais, pour lui porter ces lettres, il fallait les avoir. Or, écoutez ce qu’il advint. On me les apporta.

– Qui? s’écria Lawrence.

– Ah! qui? Vous ne le sauriez jamais si je ne vous le disais pas. C’est évidemment quelqu’un qui avait intérêt à vous éloigner, qui espérait qu’à la suite de la livraison de ces lettres entre les mains de votre femme il en résulterait quelque chose qui vous éloignerait de Diane. Croyez-moi, c’est de ce côté qu’il vous faut chercher. On a moins songé à vous perdre dans l’esprit de votre femme qu’à vous rendre désormais impossible toute relation avec Diane.

«D’un côté, le jeune homme…»

– C’était un jeune homme? demanda Lawrence, qui devint d’une pâleur de cire.

– Ai-je dit: «un jeune homme»?… Eh bien, oui, c’était un jeune homme. Ce jeune homme donc avait besoin d’argent. Il savait que j’étais riche. Il s’était aperçu, disons, de mon penchant pour Mme Lawrence et pensa que j’achèterais les lettres. Il avait puissamment raisonné. Je les lui payai dix mille francs.

– Le nom de ce jeune homme? demanda Lawrence d’une voix tellement effrayante que le sourire éternel qui errait aux lèvres de l’Homme de la nuit disparut.

– Ce jeune homme, fit solennellement Arnoldson, ce jeune homme qui a des calculs de vieillard, qui vous a volé votre maîtresse, monsieur, et qui, pour la conserver, me vend dix mille francs des lettres qu’il sait destinées à être remises à votre femme, ce jeune homme, c’est votre fils!

Et l’Homme de la nuit se leva.

– C’est Pold Lawrence! acheva-t-il.

Le malheureux Lawrence attendait le coup. La conversation, depuis quelques instants, avait pris une tournure telle qu’il avait prévu que quelque chose de formidable allait s’abattre sur lui, quelque chose qui devait être plus terrible encore que la colère d’Adrienne, plus terrible que la révélation qui lui était venue de la lettre de Mme Martinet.

Un vague pressentiment lui disait qu’une corrélation étroite devait exister entre cette lettre et ce qu’il allait apprendre.

Et, bien qu’il s’y attendît, il fléchit sous le coup.

De fait, Lawrence pensa qu’il allait mourir. Il tomba comme une masse sur un fauteuil.

Des minutes de silence s’écoulèrent.