Mme Martinet s’était précipitée sur son homme:
– Que veux-tu dire? Explique-toi! cria-t-elle.
– Bah! comme te voilà tout excitée! Qu’est-ce qui te prend?
– Pourquoi dis-tu que M. Lawrence retournait chez sa Diane?
– Eh! mais… parce que Diane est sa maîtresse… Et, comme elle lui en fait voir de toutes les couleurs, et comme il avait l’air tout retourné et mauvais en diable, je me suis dit: «Voilà un homme qui va faire une scène à sa maîtresse.» Et il semblait pressé! Tu sais, il courait presque!
Mme Martinet, qui était, d’écarlate, devenue livide, demanda, d’une voix tremblante:
– Diane est la maîtresse de M. Lawrence?
– Il n’y a plus que toi qui l’ignores, ma chère!
– Et… dis-moi… Martinet… je t’en prie… dis-moi… Toutes tes paroles ont en ce moment une importance colossale, que tu ne soupçonnes pas… M. Lawrence, quand tu l’as rencontré, semblait… très… très méchant… très… mauvais? Sa figure…
– Ah! sa figure… Je te dis qu’il allait faire un mauvais coup.
Mme Martinet s’appuya à la table et eut à peine la force de dire:
– Il est perdu!
– Voyons, Marguerite! Tu es souffrante?
– Écoute… écoute, Martinet… Lawrence est l’amant de Diane… mais Diane… est aussi la maîtresse de Pold.
– De Pold?… Allons donc. Il y a longtemps que c’est fini!
– Non, je t’assure, Pold est en ce moment l’ami de Diane… Il la voit tous les soirs… et ce soir même il a rendez-vous avec elle rue de Moscou.
– Eh bien?… fit Martinet.
– Eh bien, reprit Mme Martinet avec effort… Lawrence le sait… Lawrence a appris la chose… aujourd’hui… et quand tu l’as vu… il allait les surprendre… que va-t-il se passer?…
Puis Mme Martinet, l’air de plus en plus égaré, prononça des mots sans suite… laissa échapper des phrases incohérentes… Elle disait:
– Pold!… Pold!… Que va-t-il arriver?…
Et Martinet, dont la stupéfaction allait grandissant, entendit encore ces mots:
– Il va les tuer!… les tuer… Et moi!… moi!…
Et Mme Martinet se tordit les mains, cria:
– C’est moi… c’est moi qui aurai tout fait!… Oh! ce n’est pas possible!…
Martinet, maintenant, se dressait devant sa femme. Il lui dit, d’une voix très grave:
– Madame Martinet, que signifie tout ceci?… Que voulez-vous dire? Et pourquoi êtes-vous dans cet état?
Quant Martinet «vouvoyait» sa femme, c’est que la situation était excessivement critique.
Mme Martinet ne semblait plus l’entendre. Elle continuait sa litanie… Elle répétait:
– C’est moi!… c’est moi qui aurai fait cela! Martinet fut pris d’un grand accès de colère.
– Mais, enfin, s’écria-t-il, qu’as-tu fait? et de quoi t’accuses-tu?… Réponds! Tu deviens folle!… ou tu as commis un crime!…
– Oh! oui, avoua Mme Martinet, oh! oui… un crime!… J’ai commis un crime!
– Et lequel? réclama Martinet, qu’une agitation extrême gagnait. Explique-toi, bon sang de bon sang!
Mme Martinet s’écroula sur une chaise. Elle cacha sa figure dans ses mains:
– Je t’ai dit que Lawrence savait tout et qu’il allait les surprendre… Je t’ai dit qu’il allait les tuer!…
Martinet bondit:
– Les tuer? Il va tuer Pold?… Mais c’est infâme, ce que tu racontes…
– Est-ce qu’on sait ce qu’il va faire? Oh! j’ai peur! j’ai peur!
– Mais enfin, es-tu certaine qu’il sait que Pold est avec Diane? Et qui te fait croire qu’il va les surprendre?
– C’est moi qui lui ai tout appris!
Ce fut le cri de sa conscience! Elle ne pouvait plus le retenir.
Martinet était maintenant plus effrayant à voir que sa femme.
– Comment! hurlait-il, tu as fait cela? C’est toi qui l’as dénoncé? Et pourquoi as-tu fait cela, Marguerite? Qui t’a poussé à commettre cette abominable action?
Il commandait. Il voulait une réponse tout de suite.
– Je l’ai dénoncé! Je lui ai écrit, te dis-je! Je lui ai donné l’adresse! Je lui ai tout appris!
– Mais pourquoi? Pourquoi?
– Ah! tais-toi, Martinet… Tais-toi, je t’en prie… Tu me tortures…
– Je veux savoir pourquoi. Pourquoi as-tu dénoncé Pold et Diane? Pourquoi as-tu dit cette chose au père?…
Mme Martinet, maintenant, ne répondait plus.
Elle roulait sa tête dans ses mains, d’un geste sans cesse répété.
Martinet la considérait. Il semblait comprendre! Il avait peur de comprendre!
– Que t’a donc fait Pold, s’écria-t-il, pour que tu le haïsses ainsi?
– Je ne le hais pas! Je te le jure, Martinet…
– Si tu ne le hais pas, fit Martinet d’une voix solennelle qu’elle ne lui avait jamais connue, si tu ne le hais pas… c’est donc que tu l’aimes?…
Mme Martinet ne releva point la tête, mais elle cessa de pleurer, mais elle cessa de se plaindre. Il y eut entre Martinet et sa femme un terrible silence…
Martinet fit:
– Alors… alors… Tu es jalouse? N’est-ce pas, Marguerite, que c’est par jalousie que tu l’as dénoncé?
Marguerite semblait morte. La voix de Martinet éclata:
– Est-ce que tu m’aurais trompé, par hasard?… Dis-moi cela, Marguerite!… Ton silence me dit tant de choses!…
Et Martinet brisa une chaise. Il jura. Il sacra. Il renversa des meubles.
– Tu m’as trompé avec Pold! Avec Pold, mon ami, mon meilleur ami! Il a fallu que tu me prennes mon meilleur ami! Mais tu es donc un monstre?
Puis Martinet, qui se remit à tourner dans la petite salle comme un fauve dans sa cage, dit encore:
– Avec Pold! Qui aurait jamais cru cela?
Il s’arrêta dans un mouvement circulaire. Mme Martinet reprit:
– C’est moi qui suis la seule coupable…
– Oh! j’en étais bien sûr! s’écria Martinet, en brisant une assiette sur le parquet.