«Je suis chargé par le prince Agra de vous prier de vous rendre, ce soir même, vers neuf heures, rue de Moscou, n°… Un homme vous ouvrira la porte de cette maison, et vous prononcerez la phrase suivante: «Il n’y aura pas de lune cette nuit.» Cet homme vous introduira aussitôt dans un appartement du rez-de-chaussée de cette maison, où le prince Agra viendra vous rejoindre.»
Cette lettre était signée «Arnoldson».
Diane remit la missive dans son corsage. Elle pensait bien que le prince finirait par lui être moins cruel et qu’il jugerait enfin qu’il était temps de mettre un terme aux épreuves qu’il lui faisait subir.
Elle avait tant attendu cette minute-là que sa joie, au fond, se doublait d’une certaine anxiété.
«S’il ne venait pas!» se disait-elle maintenant…
Elle s’en fut à la glace, se remit de la poudre de riz. Elle fut contente d’elle-même.
Le prince Agra n’arrivait toujours pas. Alors elle tomba dans un fauteuil et ne bougea plus. Elle prit sa montre et regarda les aiguilles qui marquaient la fuite des minutes.
Soudain, elle poussa un cri et se dressa, toute droite. Quelqu’un venait de lui déposer un baiser brûlant sur la nuque.
Il était là! derrière elle!
Elle se retourna.
Pold l’étreignait déjà et l’embrassait à pleines lèvres. Elle était saisie d’une stupéfaction telle qu’elle ne le repoussait même pas. Et Pold l’embrassait, l’embrassait!
Enfin, elle se dégagea et lança au jeune homme un regard étrange qui le cloua à sa place.
Il demanda d’une voix tremblante:
– Qu’y a-t-il, Diane?… Cela ne vous fait donc point plaisir que je vous embrasse?…
Elle continuait à le regarder. Elle se demandait si elle était bien éveillée, si c’était bien Pold qui était là… Elle était prête à croire à quelque sortilège…
– Vous ne me répondez pas? disait Pold.
Elle ne lui répondait pas. Elle se disait: «Pourquoi est-il là? Et pourquoi suis-je ici? Que faisons-nous tous les deux dans cette chambre?…»
Elle ne l’avait pas entendu entrer. Par où était-il entré? Comment?…
Sa pensée s’affolait…
Et l’autre reprenait:
– Mais, Diane, ma petite Diane, pourquoi ne me parles-tu pas? Pourquoi ton regard me fixe-t-il ainsi?
Il s’approcha d’elle, mais elle recula. Il s’approcha encore mais elle reculait toujours.
– Vous me fuyez!… Pourquoi me fuyez-vous, Diane? Pourquoi être venue ici si c’est pour me fuir, si c’est pour me repousser?
Il vit son regard de colère.
– Ah! pourquoi m’accueillez-vous ainsi, Diane? M’avez-vous donc donné toute cette joie pour me la retirer si tôt? Vous ai-je offensée?… Avez-vous des reproches à m’adresser?… Écoutez, Diane… C’est vrai que je vous ai offensée… J’ai aimé… ou plutôt-non… je n’ai pas aimé… je me suis laissé aller à l’amour d’une femme… je n’ai pas été assez fort pour le repousser… Cette femme n’a pu détacher une seconde ma pensée de votre image, de votre souvenir, Diane!
Diane n’était pas touchée le moins du monde de tant de supplications. Sa colère finit par éclater:
– Enfin, que faites-vous ici? Répondez!
Pold eut un étonnement sans bornes:
– Ce que je fais ici?…
– Allons, je vous écoute! Parlez! Je suis très pressée… très pressée de me débarrasser de vous, monsieur, très pressée de vous voir fuir d’ici! Comment y êtes vous venu? Comment avez-vous su que j’y étais?
– Vous me demandez comment je me suis introduit ici… Mais… mais je suis ici chez moi!
– Chez vous?
– Parbleu! Vous ne le saviez pas?
Pold expliqua comment il était chez lui, comment cette chambre était la sienne, et Diane, qui comprenait de moins en moins, mais dont la colère se calmait pour faire place à un commencement de terreur irraisonnée, Diane sortit de son corsage la lettre d’Arnoldson et la tendit à Pold.
– C’est lui qui m’a fait venir ici, c’est Arnoldson qui m’a conduite ici. J’attendais Agra. Il ne vient pas, et c’est vous qui venez. Que signifie tout ceci? Oh! c’est étrange, bien étrange!
Pold avait lu et poussait des exclamations de rage.
– Et moi, c’est Arnoldson, s’écria-t-il, qui m’a ordonné de me rendre à Paris ce soir! Il m’avait promis que vous seriez à moi! Il s’était chargé de vous amener ici. Le concierge, sans doute, qui possède les clefs de cet appartement, vous a introduite chez moi sur ses indications. Mais, s’il m’a dit que vous seriez chez moi ce soir, il m’avait dit aussi que vous y seriez pour moi. Et voilà que j’apprends que vous y êtes… pour le prince Agra!… Diane! vous attendiez le prince Agra et vous étiez certainement bien joyeuse de l’attendre pour m’avoir montré tant de froideur et tant de colère, à moi qui suis venu à sa place! Diane! aimeriez-vous donc encore cet homme?…
Diane eut un pâle sourire:
– Pouvez-vous en douter?… on ne désire vraiment avec tant de force que ce que l’on n’a pas… que ce que l’on n’aura peut-être jamais…
Pold l’écoutait et son regard exprimait une épouvante grandissante.
– Oh! alors, pourquoi cet homme m’a-t-il menti? Pourquoi m’a-t-il dit que vous n’aimiez plus le prince Agra? Pourquoi vous a-t-il menti, à vous? Pourquoi ment-il à tout le monde? Et quel est donc son dessein en nous réunissant ici? Madame, si vous vous en doutez, dites-le-moi!
– Son dessein?
Diane ne le devinait point, mais, maintenant, elle plaignait Pold de tout son cœur, car elle comprenait que, quel que fût le dessein d’Arnoldson, il devait être terrible pour Pold. Elle voyait bien qu’il poursuivait le fils d’une haine dont elle ne s’expliquait point les raisons, comme il avait, de connivence avec Agra, préparé la ruine et la démence amoureuse du père.
– Son dessein? répéta-t-elle… Le sais-je, moi?… Il vous a dit que je n’aimais plus le prince?
– Certes!
– Et que, peut-être, n’aimant plus le prince, je serais toute disposée à ne point vous repousser?…
– Il me l’a fait comprendre…
Et Pold prit une grande résolution:
– Écoutez, Diane: il faut que vous sachiez tout. Cet homme m’a dit que le prince voulait rompre avec vous, mais que cela lui était fort difficile, parce que vous le teniez avec certaines lettres de lui fort compromettantes!