L’Homme de la nuit se précipita sur lui, lui passa un bras sous le cou, et lui souleva la tête.
Il regarda ces yeux qui le voyaient encore.
Et l’Homme de la nuit ne souriait plus! Son visage avait revêtu une expression de férocité formidable…
L’une de ses mains rapprocha de lui, plus près encore, plus près toujours, la tête de Lawrence… De l’autre main, il retira ses lunettes… Il dévoila ses yeux… ses yeux que nul n’avait vus depuis vingt ans!… Et son regard alla trouver le regard mourant de sa victime.
Vision terrible! Effroyable vision des êtres morts qui ressuscitent!…
Et l’Homme de la nuit cria à Lawrence, sur qui planait cette vision:
– Me reconnais-tu, Charley?… Me reconnais-tu?
Et Lawrence le reconnut, car, dans un dernier effort, il dit:
– … Jonathan Smith!…
Sa tête se fit plus lourde sur la main d’Arnoldson, et il mourut, les yeux grands ouverts sur l’Homme de la nuit!
XIX OÙ M. MARTINET, QUI EST UN BRAVE HOMME, INTERVIENT
L’Homme de la nuit se croisa les bras et resta en face de ce cadavre durant des minutes interminables.
Il dit encore:
– Il est mort et il a bien souffert avant de mourir!
L’Homme de la nuit avait complètement oublié qu’au-delà du lit il y avait, sur le parquet, deux autres corps: celui de Pold et celui de Diane.
Mais il négligeait ces victimes.
Et toute l’affreuse joie qui emplissait à cette heure son âme de damné lui venait uniquement de la mort de celui qui fut Charley et qui lui avait volé jadis sa petite Mary.
… Mary!…
… Il ne songea bientôt plus qu’à elle, car il savait qu’elle allait venir et il se délectait déjà du désespoir sans nom où celle qui l’avait trahi, celle qui avait levé sur lui une main criminelle, allait être plongée devant la mort de ces deux êtres chers.
Il songea aussi à autre chose…
Il pensa que rien désormais ne s’élèverait plus entre elle et lui et qu’elle était en son pouvoir, n’ayant plus pour la défendre ni son mari, ni son fils, ni personne…
Et, après s’être ainsi atrocement vengé d’elle, rien au monde ne pourrait empêcher qu’elle fût à lui…
Après la haine satisfaite… il allait satisfaire son abominable amour…
Et, comme l’idée lui vint qu’elle le repousserait avec horreur et qu’elle préférerait la mort à son amour, il eut à nouveau son diabolique sourire.
Non, elle ne le repousserait point… Non, elle ne mourrait point…
Est-ce que tout jusqu’à ce jour ne s’était point passé comme il l’avait prévu, comme il l’avait voulu?… Qui donc serait capable d’entraver ses desseins?… Qui serait jamais assez puissant pour les faire échouer?… Qui?…
Il était bien sûr de lui! Et il était bien sûr d’elle!…
Soudain derrière l’Homme de la nuit se firent entendre des pas dans le vestibule.
Arnoldson se rejeta contre la muraille et assura sur son profil d’oiseau de nuit les deux disques noirs de ses lunettes.
Une femme venait de se précipiter dans la chambre.
Elle ne vit point Arnoldson.
Elle ne vit qu’une chose…
… Le cadavre sur le lit…
Et elle fut sur ce cadavre, elle se jeta sur lui.
Et elle lui prit la tête.
– Je suis venue trop tard, gémissait Adrienne, trop tard… Charley, tu es mort!…
Elle étreignit ce corps, et lui cria comme s’il pouvait encore l’entendre:
– Pourquoi n’as-tu pas pensé que je te pardonnerais, Charley?…
Et elle ne dit plus rien… Arnoldson n’avait pas bougé. Enfin, l’épouse de Lawrence se releva…
Il la vit de profil et il ne la reconnut point, tant la douleur l’avait transformée…
Mais elle était belle encore, belle toujours…
Elle essuya, de ses mains tremblantes ses dernières larmes…
Alors, il dit:
– Madame!…
Elle se retourna…
– Ah! vous! s’écria-t-elle. Vous ici!…
Il y eut entre eux un terrible silence. Puis elle ajouta:
– C’est vous, n’est-ce pas, qui êtes la cause de tout ceci?
Arnoldson répondit:
– C’est moi, madame… Vous me haïssez bien, n’est-il point vrai?
Elle ne répondit point; mais il y avait dans son regard tant de menaces que tout autre que l’Homme de la nuit en eût été épouvanté.
– Je vous avais prédit ces choses… dit Arnoldson… Je vous avais signalé ce malheur… Pourquoi n’avoir point tenu compte de ma parole?
Elle dit, d’une voix sinistre:
– Je vengerai Lawrence!… Maintenant, monsieur, fuyez! Votre présence ici est abominable… Fuyez!
Arnoldson s’inclina:
– Je vais m’éloigner, madame, mais pas avant de vous avoir donné quelques renseignements sur ce qui s’est passé ici…
– Que voulez-vous dire?
– N’êtes-vous point venue dans cet appartement parce que votre mari devait y rencontrer sa maîtresse… dans les bras de son fils?… Vous avez vu votre mari, madame…
Et Arnoldson, d’un geste d’effroyable ironie:
– Le voilà! dit-il en montrant le cadavre.
– Eh bien? fit Adrienne, qu’une terrible expérience de la férocité de cet homme affolait à nouveau.
– Eh bien, vous ne vous êtes occupée ni de la maîtresse ni de votre fils.
– Mon fils! clama-t-elle. Mon fils!… Où est mon fils?…
Arnoldson, très calme, déclara:
– Avant de se tuer, madame, votre mari a tué son fils!
– Ce n’est pas vrai! Monstre! Misérable!…
Elle voulut se précipiter sur Arnoldson, mais celui-ci lui cria:
– Si tu doutes, fais le tour de ce lit… et regarde!
La pauvre femme bondit vers l’endroit que lui indiquait le geste de l’Homme de la nuit. Et elle vit le corps de son fils à côté du corps de Diane… Elle porta les mains à sa poitrine… Elle étouffait.
Et elle tomba…
Arnoldson la reçut dans ses bras avec un cri de triomphe…
Elle était à lui, bien à lui… avant même qu’il ne l’eût prévu.
Elle était sans vie dans ses bras, incapable de lui résister…