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– Entrez, mesdames, dit-il, entrez à l’auberge Rouge. Vous ne sauriez savoir combien je suis honoré…

Les femmes entrèrent. Il referma la porte.

Derrière le talus, Martinet disait alors à Pold:

– Et maintenant, attention!… Tu sais que nous ne devons agir que sur un signal de ma femme. Elle viendra nous le donner elle-même sur le seuil de la porte… Ne perdons pas de vue la porte…

La clarté qui tombait de la fenêtre du premier étage s’éteignit soudain. On venait de dérouler sur les vitres de cette fenêtre les plis d’un épais rideau.

Pold bondit sur le talus. Mais Martinet l’avait retenu déjà.

– Pas d’imprudence! s’écria-t-il. Veux-tu donc tout compromettre? Si tu n’attends pas le signal de ma femme, je ne réponds plus de rien.

Pold vint à nouveau s’étendre auprès de Martinet.

– Ah! dit-il, savoir ma mère là-dedans, à la merci de ce monstre, et être obligé d’attendre… d’attendre…

Et ils attendirent le signal.

Quand la porte eut été refermée derrière les femmes, Joe avait dit, s’adressant à Adrienne:

– J’ai ordre, madame, de me mettre à votre disposition pour vous conduire là-haut, où mon maître vous attend, ayant, paraît-il, des choses fort graves à vous dire et qui ne souffrent aucun retard. Voulez-vous me suivre, madame?

– Je vous suis, fit Adrienne d’une voix ferme. Mais madame, qui est mon amie, ajouta-t-elle en montrant Mme Martinet, madame m’accompagnera…

Non point, non point, fit Joe. J’ai reçu l’ordre de vous conduire auprès de mon maître; mais, comme mon maître ne m’a pas parlé de madame, madame restera ici.

Mme Martinet fit signe à Adrienne de suivre Joe.

– Allez donc, madame, dit-elle. Je vais tenir ici compagnie à M. Joe, qui doit m’entretenir d’un projet d’installation et d’ameublement…

Et elle ajouta, très sérieuse:

– Allez faire vos affaires; nous ferons les nôtres.

Elle adressa en même temps un tel coup d’œil à Adrienne que celle-ci comprit qu’elle ne devait pas insister davantage.

Et elle suivit Joe, cependant que Marguerite restait dans la salle basse.

Cinq minutes plus tard. Joe redescendait et trouvait Mme Martinet à la place où il l’avait laissée. Il lui dit:

– Eh! quoi, madame Martinet, vous n’êtes donc point retournée à Paris?

– Mais si, monsieur Joe… J’y suis bien retournée, mais il est probable que j’en suis revenue, puisque me voilà.

– Et serait-il indiscret, madame Martinet, continua Joe fort aimablement, de vous demander la cause de ce retour?

Et Joe avança galamment une chaise à Mme Martinet:

– Veuillez vous asseoir, chère madame. Nous serons mieux pour causer.

Mme Martinet s’assit, et Joe, ayant approché un nouveau siège, y prit place; puis il saisit la main de Mme Martinet, qui ne la retira point…

– La jolie main, madame Martinet! la jolie main que vous avez là!…

– Monsieur Joe, vous êtes trop aimable…

Et Mme Martinet fit semblant de retirer sa menotte des énormes pattes du nègre. Mais celui-ci s’y était déjà opposé.

– Savez-vous bien, madame, que vous êtes charmante, exquise, adorable?… continuait Joe, dans un crescendo de qualificatifs qui semblait ne point effrayer trop Mme Martinet.

Au contraire, on eût dit qu’elle se prêtait à ce jeu. Il était même évident qu’elle «minaudait».

Joe en était tout ému.

Il n’était plus très maître de ses paroles.

Les derniers mots de son maître, qui lui donnaient carte blanche vis-à-vis de Mme Martinet, le tête-à-tête avec Marguerite, la certitude où il était que rien ne viendrait le troubler, l’amabilité inespérée de la femme du tapissier de la rue du Sentier, autant de circonstances qui concouraient à faire croire à Joe qu’il était en bonne fortune et que nul obstacle ne gênerait certain dessein qui se précisait dans sa cervelle.

D’autre part, l’idée qu’Arnoldson devait occuper ses loisirs au premier étage et qu’il ne s’ennuyait point en la compagnie d’Adrienne, tout cela faisait que Joe se rapprochait davantage de Mme Martinet, lui souriait d’un sourire de plus en plus large, lui caressait la main d’une caresse de plus en plus rude.

Il essaya de passer son bras autour de la taille arrondie de Mme Martinet. Mais celle-ci se leva et lui dit, très digne:

– Eh là! monsieur Joe, que faites-vous? Perdez-vous la tête? Oubliez-vous que nous avons à parler de choses sérieuses?

Cette nouvelle attitude, un peu brusque, fit réfléchir Joe. Il se rappela le coup d’œil lancé par Marguerite à Adrienne, et il crut prudent d’éclaircir la situation.

– Pourquoi donc, ma chère madame Martinet, lui demanda-t-il, êtes-vous venue avec votre mari aux Volubilis?

– Ah! fit-elle, nous sommes venus pour faire plaisir à Mme Lawrence. Sans doute que la chère dame s’ennuyait…

– Cela ne vous a pas semblé bizarre? Car, enfin, vous n’étiez pas liés ensemble?

– Pas le moins du monde, et s’il faut vous dire toute la vérité, cela, comme vous dites, nous a semblé bizarre. Bien mieux: l’allure et les paroles un peu décousues de la chère dame nous ont surpris depuis notre arrivée. Elle paraissait fort préoccupée. Mon mari et moi, nous nous demandions si elle n’était point devenue un peu… toquée depuis la mort de M. Lawrence. Martinet n’a jamais compris grand’chose au drame qui s’est passé rue de Moscou… Il est allé au secours de Pold parce que je l’avais instruit de ce qui allait sans doute se passer… ayant appris par lui-même que M. Lawrence était amoureux de Diane. Je craignais une catastrophe à la suite de ma dénonciation… Et j’avais bien raison de la craindre, puisqu’elle s’est produite… Ah! je regrette bien ce que j’ai fait… J’ai mal agi, dans mon ignorance. Et, quand je songe que c’est vous qui m’avez incitée à écrire cette lettre, je me demande ce que je dois penser… ce que je dois croire… Car, enfin, M. Arnoldson a été lui-même mêlé à l’affaire. Mon mari l’a vu ce soir-là… Il tenait Mme Adrienne dans ses bras… Tout cela est horrible, mais nous n’y comprenons rien… rien du tout. C’est une énigme… Et je pense bien que vous voudrez m’expliquer… Enfin, tout est bizarre dans cette lugubre histoire, et elle m’effraie. Notre démarche même de ce soir, qu’est-ce que cela veut dire?