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Et elle prit le verre… Et elle riait toujours…

D’un seul coup, elle vida la moitié de la liqueur et tendit le reste à Joe.

– À votre tour, monsieur Joe, et entonnons le De profundis!…

Joe cria:

– Je ne suis qu’un triple idiot!

Et il absorba ce qu’elle avait laissé.

Mme Martinet était retombée sur sa chaise et ne riait plus.

C’était Joe maintenant qui riait.

Il riait de son erreur, il riait des idées saugrenues qui lui étaient passées par la cervelle, il riait aussi un peu de la peur qu’il avait eue.

Mme Martinet lui apparaissait maintenant ce qu’elle devait être, c’est-à-dire une bonne petite-bourgeoise sans malice, ennemie de toute grosse aventure et ignorante du drame.

Et, quand il songeait, à part lui, qu’il avait pu croire une seconde qu’elle avait tenté de l’empoisonner, il ne trouvait pas de termes assez puissants pour qualifier sa stupidité.

Et il riait, il riait…

– Madame Martinet, lui dit-il, je suis tellement bête que mon châtiment sera de vous le prouver. Eh bien, oui, c’est vrai, j’ai cru que vous alliez m’empoisonner. J’ai cru cela!… Je suis une brute.

Mme Martinet leva vers Joe des yeux un peu troubles.

– Vous avez perdu la raison, monsieur Joe…

Elle ouvrait ses yeux très grands, comme si elle luttait contre une force supérieure qui allait lui clore les paupières.

– Certes, continuait Joe.

Il glissa sa chaise contre celle de Mme Martinet; puis il prit la taille de Marguerite, qui ne se défendit que faiblement, mollement, avec des gestes imprécis, comme si elle était infiniment lasse…

Joe se montra encore plus entreprenant, et l’étreinte dont il serra Mme Martinet arracha un faible cri à cette dernière.

Mais l’étreinte se desserra subitement. Joe lâcha Mme Martinet. Il lui sembla tout à coup qu’un nuage épais passait devant ses yeux. Une lourdeur soudaine au cerveau lui fit courber la tête. Ses membres lui parurent infiniment pesants. Il laissa ses bras tomber au long du corps.

Puis il eut un regard de bête. Il promena ce regard inintelligent sur tous les objets qui l’entouraient. Il ne l’arrêta point sur Mme Martinet. Elle ne l’intéressait plus. Elle n’existait plus.

Ses mains s’agrippèrent à la table. Elles s’y attachèrent. Il se cramponna à cette table comme un naufragé se cramponne à une planche de salut.

Autour de lui, toutes choses tournaient, se livraient à une sarabande désordonnée.

Des bourdonnements emplissaient ses oreilles.

Et il eut la sensation qu’il avait été réellement empoisonné.

Alors d’un effort furieux il se dressa.

Mais ses jambes flageolaient.

Et il regarda à nouveau Mme Martinet. Il voulut faire un pas vers elle. Il voulut même brandir le poing.

Mais il fut rejeté contre la table par une secousse intérieure qui le laissa là, annihilé, sans un mouvement, sans la possibilité d’un mouvement, brisé, à demi mort.

Mais il voyait encore. Il percevait les mouvements de Mme Martinet. Celle-ci était à genoux. Elle se traînait au travers de la pièce… Elle faisait des efforts inouïs pour atteindre la fenêtre, dont le volet était resté ouvert.

Elle geignait. Une plainte à peine perceptible s’échappait de sa bouche.

Par instants, elle s’arrêtait. Sa tête allait de droite et de gauche, d’un mouvement lent et rythmé.

Elle se traîna encore. Maintenant, elle était à quatre pattes. Puis elle fut allongée sur le carreau. Elle s’efforçait d’avancer encore… Sa tête se dressait vers la fenêtre, ses yeux mourants regardaient la fenêtre.

Enfin elle y fut. Et Joe la vit qui, péniblement, essayait de se dresser sur un genou.

Mais elle n’y parvint pas.

Et elle retomba lourdement, étendue de tout son long…

Et Joe lui-même n’eut plus la force de regarder. Il lui sembla qu’il allait mourir…

Ces deux corps n’eurent plus un mouvement, plus un frisson. La lampe brûlait toujours sur la table.

Les minutes s’écoulèrent, silencieuses et lentes.

IX BATAILLE PERDUE

Joe avait conduit Adrienne dans cette chambre où Arnoldson avait eu, quelques semaines auparavant, une si terrible explication avec le prince Agra.

Quand ils furent seuls, Arnoldson s’avança vers Adrienne en lui adressant un salut fort respectueux et un sourire qu’il voulut faire aimable.

Au fond de son âme, l’Homme de la nuit était très troublé, et, maintenant qu’il estimait que l’heure avait enfin sonné de la réalisation de tous ses désirs, il se découvrait soudain une timidité qu’il ne s’expliquait point tout en la constatant.

Il considérait Adrienne et il avait la certitude que cette femme allait être «sienne», que rien désormais ne pourrait la sauver de sa passion, de cette effroyable passion qu’il nourrissait encore, malgré les drames passés, malgré les vingt années écoulées depuis le coup de revolver de Julesbourg.

Il ne se dissimulait nullement les motifs qui amenaient cette femme dans cette demeure déserte. Et cependant, il ne voulait plus se souvenir qu’elle le haïssait ni qu’il l’avait haïe. Et il le lui dit.

Il faisait des grâces. Il avait des gestes ridicules en montrant à Adrienne un fauteuil où elle pût s’asseoir. Il parlait d’une voix douce, avec des inflexions qui eussent fait mourir de rire et qui faisaient qu’Adrienne se mourait de peur.

Car elle tremblait maintenant et songeait avec effroi à son audace.

Mais, si elle tremblait, c’était moins pour elle que pour Pold, qu’elle savait près de là, et qui allait venir et qui allait lutter contre cet homme, qu’elle jugeait infiniment redoutable…

Mais voici qu’elle songea à Lawrence, tout son courage lui revint.

Il était resté en face d’elle, debout. Après ses premières expansions, il ne semblait point pressé de recommencer à lui parler. Il la regardait. De longues minutes de silence s’écoulèrent ainsi entre eux deux.

Elle dit enfin:

– Vous avez voulu que je vinsse… Me voici.

Il s’inclina encore. Elle continua:

– Vous êtes au comble de vos vœux?