Выбрать главу

— Faile ? répéta le Myrddraal d’une voix qui grinçait comme un morceau de cuir brûlé qu’on broie dans sa main. Ta Faile était… délicieuse.

Hurlant de rage, Perrin bondit sur le Blafard, dont l’épée noire dévia sans peine son premier coup de hache. Le deuxième et le troisième ne furent pas plus efficaces. Son visage soudain tendu sous l’effet de la concentration, le Myrddraal se déplaçait avec la souplesse d’une vipère et la rapidité de la foudre. Pour l’instant, Perrin parvenait à le maintenir sur la défensive. Mais ça ne durerait pas. Son flanc blessé pissait le sang et le brûlait comme le feu d’une forge. Condamné à faiblir, Perrin finirait avec une épée noire dans le cœur dès que ses dernières forces l’auraient abandonné.

Quand il glissa dans la boue, basculant en arrière, le Blafard arma son bras pour porter le coup de grâce. Jaillissant de nulle part, une lame lui décolla presque la tête des épaules. Un geyser de sang noir jaillit du cou de la créature, qui continua pourtant à frapper, refusant de mourir pour de bon et de cesser de tuer.

Alors qu’il s’écartait de la trajectoire furieuse du monstre moribond, Perrin leva les yeux sur l’homme qui essuyait calmement sa lame avec une poignée de feuilles.

Ihvon, sa cape caméléon pendant sans un pli, comme s’il était en train de boire une infusion.

— Alanna m’a envoyé à ta recherche, dit le Champion. J’ai eu du mal, parce que tu sais rudement bien brouiller les pistes, mais soixante-dix chevaux laissent forcément des traces.

Son infusion finie, le Champion semblait à présent s’apprêter à allumer sa pipe devant une cheminée.

— Les Trollocs n’étaient pas liés à ce… à cette vermine. (Ihvon désigna le Blafard qui était enfin tombé mais continuait à zébrer l’air avec sa lame.) C’est bien dommage, non ? Mais si tu parviens à rassembler tes hommes, les Trollocs hésiteront peut-être à vous affronter, sans un Myrddraal pour les y forcer. Ils sont une centaine, au fait. Un peu moins, si on enlève ceux que tu as tués.

Son épée au poing – le seul détail signalant une situation hors du commun –, le Champion entreprit de sonder les alentours en quête d’un danger.

Un instant, Perrin en resta muet. Alanna voulait le voir ? Et elle avait envoyé Ihvon ? Juste à temps pour lui sauver la vie…

Perrin s’arracha à son hébétude et cria :

— Deux-Rivières, à moi ! Pour l’amour de la Lumière, à moi ! Deux-Rivières !

Cette fois, il ne se tut pas avant que des silhouettes familières apparaissent entre les arbres. Des silhouettes titubantes au visage maculé de sang. Certains hommes se soutenaient l’un l’autre et beaucoup avaient perdu leurs armes.

Les Aiels se montrèrent aussi, apparemment indemnes, n’était la légère claudication de Gaul.

— Les choses ne se sont pas passées comme prévu, dit simplement le guerrier.

Il aurait parlé sur le même ton de la pluie et du beau temps.

Faile apparut entre les arbres avec les chevaux – non, la moitié, mais Hirondelle et Trotteur étaient du nombre – et neuf des douze hommes que Perrin avait laissés avec elle. La jeune femme arborait une coupure sur la joue, mais elle était vivante, et cela seul comptait ! Perrin voulut la serrer contre lui, mais elle le repoussa en marmonnant qu’elle n’avait pas envie de se blesser contre le moignon de hampe d’une flèche. Elle écarta cependant délicatement la veste du jeune homme pour voir à quel endroit il était touché exactement.

Perrin regarda les hommes qui l’entouraient. Il n’en arrivait plus de nouveaux, pourtant, bien des visages manquaient à l’appel. Kenley Ahan… Bili al’Dai… Teven Marwin… Perrin se força à nommer les absents et à les compter. Vingt-sept… Vingt-sept jeunes hommes perdus…

— Vous avez ramené tous les blessés ? Il ne reste personne en arrière ?

Perrin sentit que les mains de Faile tremblaient sur son flanc. Elle venait de découvrir la plaie et semblait à la fois inquiète et folle de rage. Elle avait raison dans les deux occurrences. Il n’aurait jamais dû l’entraîner là-dedans.

— Nous n’avons laissé que les morts, répondit Ban al’Seen d’une voix aussi blanche que son visage.

Les yeux plissés, Wil semblait regarder quelque chose dans le lointain.

— J’ai vu Kenley, dit-il. Sa tête était dans la fourche d’un chêne, mais son corps reposait au pied du tronc. Je l’ai vu… Son rhume ne l’embêtera plus, désormais…

Le jeune homme éternua et sembla surpris d’être encore un être humain aux manifestations normales.

Perrin soupira et le regretta aussitôt, car la douleur le força à serrer les dents. Un foulard de soie verte à la main, Faile tentait de sortir de son pantalon le pan de sa chemise. Il la repoussa, ignorant son regard furibond. Ce n’était pas le moment de soigner une plaie.

— Les blessés sur les chevaux…, ordonna Perrin quand il put desserrer les dents. Ihvon, vont-ils nous attaquer ? Ihvon ?

Le Champion apparut, tenant son cheval gris par la bride.

— Peut-être… et peut-être pas, répondit-il quand Perrin eut répété sa question. Livrés à eux-mêmes, les Trollocs préfèrent les proies faciles. Sans un Myrddraal pour les aiguillonner, ils attaqueront une ferme plutôt que des gens capables de les cribler de flèches. Il faut que tous les hommes encore un peu valides brandissent un arc avec une flèche encochée, même s’ils ne sont plus en état de tirer sur la corde… Les monstres décideront peut-être que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Perrin frissonna. Si les Trollocs attaquaient, ils s’amuseraient comme des danseurs le jour de la Fête du Soleil. Dans le groupe, seuls Ihvon et les Aiels étaient en état de se battre. Avec Faile, dont les yeux noirs brillaient de fureur. Il devait la conduire en sécurité…

Le Champion ne proposa pas son destrier à un blessé, ce qui sembla parfaitement logique à Perrin. L’animal n’aurait sûrement pas accepté un cavalier inconnu, et un cheval de guerre, monté par son maître, serait une arme dévastatrice si les Trollocs revenaient à la charge.

Perrin tenta d’aider Faile à enfourcher Hirondelle, mais elle l’en empêcha.

— Tu as dit : « Les blessés sur les chevaux. » Tu te souviens ?

Poussant le raisonnement jusqu’au bout, Faile insista pour que le « général blessé » chevauche Trotteur. Très mécontent, Perrin redouta en outre que ses hommes protestent, après le désastre dont il était responsable. Mais aucun ne réagit.

Il y avait juste assez de chevaux pour les hommes incapables de marcher ou qui n’auraient pas tenu très longtemps. Finissant par reconnaître qu’il appartenait à la seconde catégorie, Perrin monta péniblement en selle. Serrant les dents, il parvint à se tenir bien droit alors qu’une bonne moitié de ses hommes avaient dû se coucher sur l’encolure de leur cheval.

Les jeunes gens encore en état de marcher et une partie de ceux qui chevauchaient s’accrochèrent à leur arc comme s’il s’agissait d’une planche de salut. Perrin brandit aussi le sien, et Faile récupéra celui d’un blessé grave. Même si elle aurait probablement été incapable d’armer un arc de Deux-Rivières, seules les apparences comptaient. Pour s’en tirer vivants, ils allaient devoir s’en remettre à une illusion.

Comme Ihvon, tendu comme une lanière de fouet prête à claquer, les Aiels semblaient en pleine forme, à croire qu’ils revenaient d’une promenade. Leurs lances glissées dans la bandoulière de l’étui de leur arc, ils avançaient, prêts à décocher une flèche au premier signe de danger.

Le reste du groupe, Perrin y compris, n’était plus qu’un détachement en déroute. Plus le moindre rapport avec les jeunes héros qu’il avait conduits dans cet enfer, général de pacotille gonflé de sa propre importance et absurdement confiant.