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Sans attendre de réponse, Egeanin se tourna vers Elayne.

— Et toi, tu es de haute naissance. Tout à l’heure, Nynaeve a parlé du palais de ta mère.

— Ces détails ne comptent pas beaucoup à la Tour Blanche, répondit Elayne. (Elle chassa les miettes de gâteau aux clous de girofle – une spécialité très épicée – qui collaient à son menton.) Si une reine vient y faire son apprentissage, elle doit briquer les sols comme toutes les autres novices et marcher à la baguette autant qu’elles.

Egeanin acquiesça pensivement.

— C’est donc ainsi que la tour règne, en dirigeant les dirigeants… Combien de reines se font-elles former ainsi ?

— Aucune, à ma connaissance… En revanche, c’est une tradition pour la Fille-Héritière du royaume d’Andor. D’autres femmes nobles suivent la même formation – incognito, en général – et la plupart renoncent après avoir échoué à sentir la Source Authentique. Mon exemple n’était pas à prendre au pied de la lettre.

— Tu es aussi une dame de la noblesse ? demanda Egeanin à Nynaeve.

— Ma mère était une fermière et mon père, également berger à ses heures, faisait pousser du tabac. Chez moi, il est très difficile de subsister si on ne vend pas de la laine et du tabac. Mais parle-nous de tes parents, mon amie.

— Mon père était soldat et ma mère avait un poste d’officier sur un bateau…

Egeanin sirota son infusion, qu’elle n’avait pas sucrée, puis reprit :

— Vous cherchez des femmes… Celles dont votre serviteur a parlé. Entre autres activités, je fais le commerce d’informations. J’ai d’excellentes sources, donc, je pourrai vous aider. Gratuitement, je précise. Enfin, en échange de renseignements sur les Aes Sedai…

— Tu nous as déjà bien trop aidées, dit Elayne, se souvenant que Nynaeve avait pratiquement tout déballé à Bayle Domon. Je te suis reconnaissante, mais nous ne voulons pas abuser.

Parler de l’Ajah Noir à une inconnue était hors de question. Et il n’était pas envisageable non plus de la laisser s’impliquer à l’aveuglette.

— Vraiment, nous ne voulons pas abuser…

Son amie venant de lui couper la chique, Nynaeve la foudroya du regard.

— Exactement ce que j’allais dire, improvisa l’ancienne Sage-Dame. Mais notre gratitude nous poussera à répondre à tes questions. Dans la mesure de nos possibilités, bien entendu…

Une façon de dire que les deux femmes ne connaissaient pas toutes les réponses, tout simplement. Mais Egeanin comprit tout autre chose.

— Bien entendu, je n’ai pas l’intention de fourrer mon nez dans les secrets de la Tour Blanche.

— Tu parais fascinée par les Aes Sedai, dit Elayne. Je ne sens pas le don en toi, mais tu pourrais peut-être apprendre à canaliser le Pouvoir.

Egeanin faillit lâcher sa tasse en porcelaine.

— Cela peut s’apprendre ? Je ne… Hum, non, je ne suis pas candidate.

La réaction de sa nouvelle amie attrista Elayne. Même parmi les gens qui ne redoutaient pas les Aes Sedai, très peu acceptaient d’avoir affaire au Pouvoir de l’Unique.

— Que veux-tu savoir, Egeanin ?

Avant que la jeune femme ait pu répondre, on gratta à la porte. Puis Thom entra, superbe dans la riche cape marron qu’il avait adoptée pour ses virées dans Tanchico. Moins voyant que sa cape multicolore de trouvère, ce vêtement lui conférait une sombre dignité encore confortée par sa crinière blanche – qui aurait cependant gagné à être brossée plus souvent. L’imaginant plus jeune, Elayne comprit très bien que cet homme ait pu attirer sa mère. Une prestance qui ne rendait pas sa désertion plus pardonnable, bien entendu.

La Fille-Héritière sourit afin que Thom ne voie pas sa moue pensive.

— On m’a prévenu que vous n’étiez pas seules, dit-il avec un regard méfiant pour Egeanin. (Comme Juilin – décidément, les hommes se ressemblaient tous.) Mais j’ai pensé que vous aimeriez connaître la nouvelle : les Fils de la Lumière ont encerclé le palais de la Panarch. Dans les rues, on jase beaucoup au sujet de l’imminente investiture de dame Amathera.

— Thom, intervint Nynaeve, si Amathera n’est pas un pseudonyme de Liandrin, je me fiche que cette femme devienne en même temps Panarch, reine et Sage-Dame de tout le territoire de Deux-Rivières !

— Le détail intéressant, fit Thom en boitillant jusqu’à la table, c’est que l’Assemblée, à ce qu’on dit, refuse de choisir Amathera. Dans ce cas, pourquoi cette investiture ? Les événements de ce genre méritent d’être considérés, Nynaeve.

Le trouvère faisant mine de s’asseoir, l’ancienne Sage-Dame le retint d’un geste.

— Nous avons une conversation privée… Tu seras bien plus à ton aise dans la salle commune.

Prenant sa tasse, Nynaeve regarda le trouvère par-dessus le bord, visiblement pressée qu’il débarrasse le plancher.

Le rouge lui montant aux joues – pas de honte –, Thom se releva, mais il ne s’éclipsa pas tout de suite.

— Que l’Assemblée ait changé d’avis ou non, il y aura sans doute des émeutes. Les gens pensent toujours qu’Amathera n’a pas été acceptée. Si vous voulez continuer à sortir, toutes les deux, il vous faudra une escorte.

Thom regardait Nynaeve, mais Elayne eut l’impression qu’il venait de lui poser une main paternelle sur l’épaule.

— Bayle Domon est dans sa petite chambre, non loin des docks, occupé à faire ses bagages au cas où il devrait filer en vitesse. Mais il a accepté de vous fournir cinquante types fiables – des costauds qui n’ont peur de rien et qui savent manier les armes.

Nynaeve voulut répondre, mais Elayne lui brûla la politesse.

— Merci à toi, Thom, et à maître Domon. Dis-lui que nous acceptons son offre généreuse.

Soutenant le regard de sa compagne, la Fille-Héritière ajouta :

— Je détesterais être enlevée en plein jour dans une rue bondée de monde.

— Personne ne voudrait que ça arrive…

Elayne crut entendre un « mon enfant », à la fin de la phrase de Thom, qui lui tapota pour de bon l’épaule.

— Pour tout dire, ces hommes attendent déjà dehors. J’essaie de trouver un carrosse, parce que les chaises sont vraiment trop vulnérables.

Le trouvère sembla s’aviser qu’il avait dépassé de loin ses prérogatives. Engager une escorte sans en parler avant ? Chercher un carrosse ? Mais il regarda les deux femmes avec aplomb, comme un vieux loup qui ne redoute plus rien de personne.

— S’il vous arrivait malheur, ça me fendrait le cœur… Le carrosse arrivera dès que j’aurai trouvé un attelage. Si c’est encore possible.

La fumée lui sortant des naseaux, Nynaeve semblait se demander si elle allait passer un savon mémorable au trouvère. Elayne, elle, penchait plutôt pour de gentilles remontrances. Car enfin, tant de sollicitude avait quelque chose de touchant.

Profitant d’un certain flottement dans le camp adverse, Thom se fendit d’une noble révérence et s’éclipsa judicieusement avant l’orage.

Egeanin posa sa tasse sur la table et regarda avec consternation ses deux nouvelles amies. Honnête de nature, Elayne reconnut que se laisser ainsi bousculer par Thom n’avait pas dû donner une image bien reluisante des Aes Sedai.

— Je dois y aller, dit Egeanin.

Elle se leva et récupéra son bâton appuyé contre un mur.

— Tu n’as même pas posé tes questions, objecta Elayne. Au minimum, nous te devons des réponses.

— Une autre fois, fit Egeanin après une brève réflexion. Si vous m’y autorisez, je reviendrai. Il faut que j’en apprenne plus sur vous, car vous m’étonnez…

Nynaeve et Elayne assurèrent à leur amie qu’elle pourrait revenir quand ça lui chanterait. Elles tentèrent aussi de la convaincre de rester pour finir l’infusion et les gâteaux, mais elles n’eurent aucun succès.