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Dès qu’Egeanin fut sortie, Nynaeve se tourna vers Elayne.

— T’enlever, toi ? Si tu veux bien te souvenir, ces types en avaient après moi !

— Pour te neutraliser avant de s’occuper de moi… Si tu veux bien te souvenir, je suis la Fille-Héritière. Pour me récupérer, ma mère aurait payé une fortune à ces ruffians.

— Possible…, marmonna Nynaeve. En tout cas, ça n’avait rien à voir avec Liandrin. Cette garce n’enverrait pas des truands pour nous enlever. Pourquoi les hommes ne se croient-ils jamais obligés de demander ? Avoir du poil sur la poitrine leur brouille les idées ?

L’abrupt changement de sujet ne décontenança pas Elayne.

— Au moins, nous n’aurons pas besoin de trouver des gardes du corps… Thom est allé trop loin, c’est vrai, mais tu admettras que sa démarche est judicieuse.

— Peut-être bien que oui…

Quand il s’agissait de reconnaître qu’elle se trompait, Nynaeve se montrait d’une mauvaise foi phénoménale. Pourtant, elle faisait souvent erreur, par exemple en imaginant qu’elle avait pu être la cible des ruffians…

— Elayne, te rends-tu compte que nous n’avons rien, à part une maison vide ? Si Juilin se trahit, ou si Thom fait une gaffe… Nous devons trouver les sœurs noires, certes, mais sans qu’elles s’en doutent. Sinon, comment les suivre jusqu’à ce je ne sais quoi qui est si dangereux pour Rand ?

— Je sais… Nous en avons déjà parlé.

— Et nous ignorons toujours de quoi il s’agit !

— Je sais…

— Même si nous pouvions capturer Liandrin et les autres à l’instant, il faudrait quand même trouver cet… objet… qui menace Rand.

— C’est évident, Nynaeve… (Se reprochant son impatience, Elayne adopta un ton plus conciliant.) Nous piégerons les sœurs noires. Elles feront bien une erreur un jour ou l’autre. Entre les rumeurs de Thom, les voleurs de Juilin et les marins de Domon, nous en serons informées à coup sûr.

Nynaeve fronça les sourcils.

— Tu as remarqué l’expression d’Egeanin, quand Thom a parlé de Domon ?

— Non. Tu crois qu’elle le connaît ? Pourquoi ne l’aurait-elle pas dit ?

— Je n’en sais rien…, maugréa Nynaeve. En tout cas, j’ai vu quelque chose dans ses yeux. De la surprise. Elle le connaît. Et je me demande si…

Quelqu’un tapa doucement à la porte.

— Tout Tanchico a décidé de nous casser les pieds ? grogna Nynaeve en allant ouvrir.

Rendra se rembrunit devant l’expression de sa cliente, mais elle se ressaisit très vite.

— Désolée de vous déranger, mais une femme, en bas, demande à vous voir. Elle n’a pas cité vos noms, mais ses descriptions correspondent. Elle croit vous connaître, et… (L’aubergiste eut une moue amère.) J’ai oublié de lui demander son nom ! Ce matin, je suis aussi vive qu’une chèvre. C’est une femme bien habillée, pas très loin de l’âge moyen, et pas originaire du Tarabon. Une femme pas vraiment commode. Quand elle a posé les yeux sur moi, ça m’a rappelé le regard de ma grande sœur, quand elle projetait d’attacher mes tresses à un buisson.

— Le gibier aurait débusqué le chasseur ? souffla Nynaeve.

Elayne s’unit à la Source Authentique et soupira de soulagement en constatant qu’aucun obstacle ne l’en empêchait. Si la visiteuse appartenait à l’Ajah Noir… Mais dans ce cas, pourquoi se serait-elle annoncée ?

La Fille-Héritière regretta quand même que l’aura du saidar n’enveloppe pas Nynaeve. Hélas, pour canaliser, elle devait être furieuse.

— Fais-la venir, dit l’ancienne Sage-Dame.

Consciente de sa lacune, quand il s’agissait de canaliser, elle semblait inquiète. Alors que Rendra repartait, Elayne commença à tisser des flux d’Air épais comme des cordes et des flux d’Esprit capables d’isoler une adversaire de la Source. Si l’inconnue ressemblait à une femme de leur liste, ou si elle tentait de tisser un filament…

La femme qui entra dans la Chambre des Floraisons Fanées, sa robe de soie noire brillante à la coupe inhabituelle bruissant à chacun de ses gestes, était vraiment une inconnue pour Elayne, et elle n’avait rien à voir avec les descriptions de la liste. Ses cheveux noirs encadraient un visage plutôt agréable et sans rides, mais qui n’affichait pas l’intemporalité caractéristique des Aes Sedai. Avec un franc sourire, elle referma la porte derrière elle.

— Désolée, je pensais que vous étiez…

L’aura du saidar l’enveloppa et elle…

Elayne se coupa de la Source Authentique. Une puissante autorité émanait de cette femme, de son regard sombre et de l’aura qui l’entourait. De sa vie, Elayne n’avait jamais vu une femme si impressionnante. Sans réfléchir, elle fit une révérence, honteuse d’avoir envisagé de… De quoi, au fait ? Penser était si difficile.

L’inconnue dévisagea un moment Nynaeve et Elayne, puis elle hocha la tête et alla s’asseoir en bout de table.

— Approchez, afin que je puisse mieux vous voir, dit-elle d’un ton autoritaire. Allons ! Oui, c’est bien…

Elayne prit conscience qu’elle se tenait près de la table, les yeux baissés sur la femme. Espérant que c’était ce qu’il fallait faire, elle vit que Nynaeve, en face d’elle, tirait sur ses longues tresses mais regardait la visiteuse d’un air béat assez ridicule.

Elayne eut envie d’éclater de rire.

— Plus ou moins ce que j’attendais, dit la femme. Encore des gamines, ou presque, et loin d’être à moitié formées. Mais puissantes – assez pour être dangereuses. Surtout toi, la brune ! Un jour, tu deviendras peut-être quelqu’un. Mais tu t’es bloquée toi-même, pas vrai ? Avec nous, tu ne l’aurais pas fait, même s’il avait fallu t’arracher le cœur pour t’en empêcher.

Nynaeve continua à tirer sur ses tresses, mais son expression passa d’une béatitude enfantine à une tremblante frayeur.

— Je suis navrée de m’être bloquée…, gémit-elle. J’ai peur… peur du Pouvoir… Tant de Pouvoir ! Comment puis-je… ?

— C’est moi qui pose les questions ! Et ne commence pas à pleurnicher. Me voir te rend folle de joie. Ton seul désir est de me plaire et de me répondre sincèrement.

Nynaeve hocha la tête et eut un sourire encore plus enfantin que le précédent. Elayne s’avisa qu’elle affichait la même expression extatique. Et elle aurait juré pouvoir répondre plus vite que Nynaeve à toutes les questions. Pour satisfaire cette femme, rien n’était infaisable.

— Commençons… Vous êtes seules ? Y a-t-il d’autres Aes Sedai avec vous ?

— Oui, seules, répondit Elayne. Et il n’y a pas d’autres Aes Sedai avec nous.

Devait-elle préciser que Nynaeve et elle n’étaient pas vraiment des Aes Sedai ? Non, puisque la femme ne le lui avait pas demandé.

Nynaeve la foudroya du regard, furieuse qu’elle lui ait brûlé la politesse.

— Pourquoi êtes-vous ici ? demanda l’inconnue.

— Nous traquons des sœurs noires, répondit Nynaeve avec un regard triomphant pour Elayne.

La jolie visiteuse sourit.

— C’est pour ça que je ne vous ai pas senties canaliser avant aujourd’hui… Rester discrètes est une bonne politique, quand on combat à deux contre onze. J’ai toujours appliqué cette tactique. Laissons les autres idiotes se trahir ! Elles peuvent être vaincues par une araignée qui se cache dans les fissures du mur et qu’elles ne verront pas avant qu’il soit trop tard. Dites-moi tout ce que vous avez découvert sur ces sœurs noires. Et tout ce que vous savez sur elles.

Elayne et Nynaeve redoublèrent leurs efforts pour être celle qui en dirait le plus. Mais au bout du compte, elles n’eurent pas tant que ça à raconter. La description des sœurs noires, la liste des ter’angreal qu’elles avaient volés, les meurtres commis à la Tour Blanche… Elles évoquèrent aussi la possibilité qu’il y ait encore des renégates à Tar Valon, que certaines aient aidé un Rejeté avant la chute de la Pierre de Tear, et que leur fuite à Tanchico ait pour objectif de se procurer quelque chose qui pouvait être dangereux pour Rand.