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Le choc paralysa Siuan, sa langue semblant se pétrifier. C’était de la folie ! Un cauchemar ! Furieuse, elle voulut s’unir au saidar… et reçut un second choc tétanisant. Une barrière la séparait de la Source Authentique – une sorte de cloison de verre. Éberluée, elle regarda Elaida.

Comme pour se moquer d’elle, l’Aes Sedai rouge s’enveloppa tout entière de l’aura caractéristique du Pouvoir. Puis elle tissa autour de Siuan des liens d’Air qui s’enroulèrent autour de son torse, lui plaquant les bras contre les flancs.

— Vous êtes folles ! haleta Siuan, le souffle à demi coupé. Je vous ferai écorcher vives ! Relâchez-moi !

Aucune sœur ne répondit, comme si l’affaire était entendue depuis longtemps.

Sans hâte excessive, Alviarin examina les documents éparpillés sur la table. Joline, Danelle et d’autres sœurs entreprirent d’inspecter les livres posés sur des lutrins, les secouant pour voir si quelque chose en tombait.

Mécontente de n’avoir rien trouvé dans ce fatras de factures et de documents comptables, Alviarin souleva le couvercle du coffret noir… qui se transforma aussitôt en une boule de feu.

La sœur blanche recula en secouant sa main brûlée sur laquelle des cloques se formaient déjà.

— Une protection, grogna-t-elle, aussi proche de la fureur qu’une sœur de son Ajah pouvait l’être. Si petite que je ne l’ai pas sentie…

Du coffret et de son contenu, il ne restait plus qu’un tas de cendres reposant sur un carré de bois roussi.

Elaida ne parut pas troublée par cette affaire.

— Je te jure, Siuan, que tu me diras mot pour mot tout ce que contenaient les documents cachés dans ce coffret. Mot pour mot !

— Serais-tu possédée par le Dragon ? cria Siuan. Elaida, tu me paieras ça ! J’aurai votre peau à toutes, vous m’entendez ! Et vous pourrez vous estimer heureuses si le Hall ne décide pas de vous calmer toutes autant que vous êtes !

Elaida eut un petit sourire qui ne se communiqua pas à son regard.

— En présence du quota requis de Conseillères, le Hall vient de décider à l’unanimité que tu n’es plus la Chaire d’Amyrlin. C’est adopté, et nous sommes ici pour faire appliquer cette résolution.

L’estomac de Siuan se noua et une petite voix cria dans sa tête :

Que savent-elles ? Au nom de la Lumière ! que savent-elles ? Tu as été aveugle, espèce d’imbécile !

Siuan ne trahit cependant rien de sa détresse. Au cours de sa vie, elle avait déjà été dans de plus sales draps. Par exemple à quinze ans, avec pour seule arme son couteau de pêche, quand elle s’était retrouvée coincée dans une impasse par quatre ruffians ivres de mauvais vin et d’innommables désirs. Un piège bien plus mortel que celui tendu par Elaida – enfin, il fallait l’espérer.

— Le quota requis de Conseillères ? railla-t-elle. Une minorité, oui, composée de tes amies et des sœurs que tu peux influencer ou terroriser.

L’idée qu’Elaida ait pu convaincre une poignée de Conseillères avait déjà de quoi glacer les sangs de Siuan, mais elle prit garde à ne pas le montrer.

— Lors d’une séance plénière, très bientôt, tu mesureras ton erreur ! Trop tard pour ton propre bien. Il n’y a jamais eu de rébellion à la tour, le sais-tu ? Dans mille ans, on utilisera encore ton histoire pour montrer aux novices le sort qui guette les factieuses.

Le doute s’afficha sur plusieurs visages. Apparemment, Elaida ne contrôlait pas si bien que ça ses complices.

— Il est temps d’arrêter de percer des trous dans la coque et de commencer à écoper, ma fille ! Tu pourrais encore adoucir la sentence, Elaida.

La sœur rouge ne broncha pas jusqu’à ce que Siuan ait achevé sa tirade. Puis elle la gifla à la volée, la forçant à reculer, des étoiles dansant devant les yeux.

— C’est fini pour toi, Siuan… Tu crois que je – que nous allions te laisser détruire la Tour Blanche ?

Deux autres sœurs rouges poussèrent en avant Siuan, qui tituba, les foudroya du regard mais finit par se laisser guider où elles voulaient. Sa défaite serait provisoire, si elle s’y prenait bien. Quelles que soient les accusations portées contre elle, il serait aisé de les démonter, avec un peu de temps. Y compris celles qui étaient liées à Rand. Avec quoi ses ennemies pourraient-elles l’accabler, sinon des rumeurs ? Rompue au Grand Jeu depuis des décennies, elle n’était pas du genre à s’avouer battue face à des racontars. Sauf si les conspiratrices tenaient Min, la seule personne qui pouvait transformer les rumeurs en vérité.

Que la Lumière brûle mon âme ! j’utiliserai ces femmes comme appâts pour mes hameçons !

Dans l’antichambre de son bureau, Siuan tituba de nouveau, mais pas parce qu’on l’avait poussée. Alors qu’elle espérait que sa Gardienne des Chroniques ne serait pas là, Leane était comme elle ligotée par un tissage d’Air et elle éructait des imprécations inaudibles sous un bâillon tout aussi immatériel. En travaillant, Siuan avait sûrement senti qu’on attaquait la Gardienne, mais sans y prêter attention – dans la tour, on captait sans arrêt les « ondes » de femmes en train de canaliser.

Si Siuan tituba, ce ne fut pas à cause de Leane, mais à la vue du grand homme mince aux cheveux gris qui gisait sur le sol, un couteau planté entre les omoplates. Champion de la Gardienne depuis près de vingt ans, Alric ne s’était jamais plaint quand la carrière de l’Aes Sedai les avait contraints à se cloîtrer dans la tour. Pareillement, il n’avait pas protesté quand sa position de Champion de la Gardienne l’avait amené à partir à des centaines de lieues de sa protégée – une situation que tous les Gaidins détestaient.

Siuan se racla la gorge, mais sa voix resta rauque lorsqu’elle lança :

— Je ferai saler ta peau avant de la mettre à sécher au soleil, Elaida ! Tu paieras pour ce crime !

— Tu devrais plutôt t’inquiéter pour ta propre peau… (Elaida approcha pour mieux plonger son regard dans celui de Siuan.) Cette affaire va bien plus loin que ce qui a été révélé jusque-là. Je le sais. Et tu me diras tout – absolument tout ! (Le ton glacial de la sœur rouge parut plus inquiétant à la prisonnière que tous ses regards assassins.) Tu parleras coûte que coûte ! Conduisez-la au donjon !

Des rouleaux de soie bleue dans les mains, Min franchit la porte nord aux environs de midi. Son petit discours prêt pour les gardes qui arboraient la Flamme de Tar Valon, elle se sentait tout à fait dans la peau de la gentille et juvénile Elmindreda, si touchante dans sa jupe de soie verte. Alors qu’elle avait déjà commencé son numéro, elle s’avisa qu’il n’y avait pas de sentinelles. Sa lourde porte bardée de fer ouverte, on voyait bien qu’il n’y avait personne à l’intérieur du poste de garde. Bien entendu, c’était impossible. Aucun accès du complexe de la Tour Blanche ne pouvait être ainsi laissé sans surveillance.

À mi-chemin de la tour elle-même, un filet de fumée montait d’un bosquet, non loin du baraquement des jeunes hommes qui s’entraînaient sous les ordres des Champions. Sans nul doute, le feu avait incité les sentinelles a quitté leur poste.

Toujours mal à l’aise, Min remonta le sentier de terre battue qui serpentait au milieu de la zone boisée du complexe. Les rouleaux de soie pesant assez lourd, elle les fit passer d’un de ses bras sur l’autre. Pour être franche, elle ne voulait pas vraiment d’une nouvelle robe, mais comment aurait-elle pu résister quand Laras, après lui avoir glissé dans la main une bourse pansue, lui avait dit d’aller acheter le tissu qu’elle avait repéré – et dont la couleur conviendrait parfaitement au teint d’Elmindreda ? Si elle se fichait totalement que ses frusques s’harmonisent avec son « teint », Min tenait à ne pas s’attirer l’inimitié de la Maîtresse des Cuisines.