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— Au moins, on ne nous trouvera pas recroquevillées sur le sol et en train de pleurer. Leane, nous pouvons nous battre ! Tant qu’il nous restera un souffle de vie, nous aurons une chance de vaincre !

Par la Lumière ! elles m’ont calmée… Ces monstres m’ont calmée !

Se forçant à oublier cette horreur, Siuan serra les poings et tenta d’enfoncer ses ongles de pied dans la pierre. Combien elle aurait donné pour que le son qui montait de sa gorge ne ressemble pas tant à un gémissement !

Min posa ses baluchons sur le sol et poussa en arrière sa cape afin de pouvoir tourner à deux mains la longue clé aussi rouillée que toutes celles qui pendaient à l’anneau et que la serrure elle-même. Si profondément sous terre, l’air était humide et froid, comme si l’été ne parvenait pas jusque-là.

— Dépêche-toi, mon enfant, dit Laras.

Tenant la lanterne qui éclairait Min, la Maîtresse des Cuisines sondait nerveusement les deux ailes du couloir obscur. Quand on considérait son triple menton, il était difficile de croire que cette femme était jadis une beauté. Cela dit, aux yeux de Min, elle était extraordinairement belle, à cet instant précis.

Toujours à la lutte contre la clé, la jeune femme secoua la tête. Alors qu’elle retournait dans sa chambre récupérer la robe d’équitation grise qu’elle portait désormais, elle avait rencontré Laras – en fait, la cuisinière, morte d’inquiétude pour « Elmindreda », était tout simplement à sa recherche.

Ravie que Min soit encore de ce monde, Laras lui avait suggéré de s’enfermer dans sa chambre jusqu’à ce que les troubles soient terminés. Mais comment avait-elle fini par lui faire avouer ses véritables intentions ? Si Min était incapable de le dire, elle se souvenait parfaitement de sa surprise lorsque la cuisinière, un peu à contrecœur, s’était déclarée prête à l’aider.

Une aventurière qui se laisse guider par ses sentiments, dirait-on… Eh bien, j’espère qu’elle pourra… Comment a-t-elle formulé ça, déjà ? Me garder la tête hors du tonneau de saumure ?

En attendant, la maudite clé refusait de tourner, même quand elle y mettait toute sa force.

En toute franchise, elle avait une multitude de raisons de déborder de gratitude pour Laras. Sans son aide, elle n’aurait pas pu réunir tout ce qu’il lui fallait pour mettre son plan à exécution – et sûrement pas si vite, en tout cas. Cela posé… Eh bien, cela posé, lors de sa rencontre avec Laras, Min avait déjà commencé à se dire qu’elle était la dernière des idiotes de penser à une telle aventure. Sa place était sur un cheval, avec pour destination finale Tear – une fuite à ne pas différer, si elle entendait que sa tête ne finisse pas à côté de celles, fichées sur une pique, qui « ornaient » l’esplanade de la Tour Blanche.

Mais si elle avait filé, aurait-elle un jour oublié son infamie ? Aurait-elle pu se regarder de nouveau dans une glace ? Laras l’avait en quelque sorte remise sur le droit chemin, et elle lui en était assez reconnaissante pour n’avoir pas protesté quand la Maîtresse des Cuisines avait ajouté quelques « jolies robes » dans ses bagages. Quant aux rouges à joues et autres produits de beauté, elle pourrait toujours les perdre quelque part.

Pourquoi cette maudite clé refuse-t-elle de tourner ? Laras pourrait peut-être…

La clé bougea soudain avec un bruit sec qui fit un moment redouter le pire à Min. Mais quand elle poussa le battant de bois vermoulu, il s’ouvrit. Reprenant ses baluchons, la jeune femme entra dans la cellule… et se pétrifia.

La lumière de la lanterne toujours tenue par Laras venait de lui révéler deux femmes nues au corps couvert de contusions et de plaies. Mais s’agissait-il bien de celles qu’elle cherchait ? L’une des deux était grande et avait le teint cuivré. Plus petite et râblée, l’autre avait une peau plus claire. Les visages semblaient coller, et comme on les avait épargnés pour une raison inconnue, il n’aurait pas dû y avoir de doute possible. Mais où était l’intemporalité caractéristique des Aes Sedai ? D’instinct, Min aurait dit que les deux prisonnières avaient six ou sept ans de plus qu’elle – et qu’elles n’appartenaient bien évidemment pas à la Tour Blanche !

Min sentit qu’elle s’empourprait. Comment pouvait-elle penser une chose pareille de la Chaire d’Amyrlin et de la Gardienne des Chroniques ? En tout cas, elle ne voyait autour des deux femmes ni images ni aura. Et il y en avait toujours quand elle se tenait face à une Aes Sedai.

Arrête ça ! se tança Min.

— Où… ? (La femme qui devait être Siuan Sanche se racla la gorge.) Où as-tu trouvé ces clés ?

— C’est bien elle…, souffla Laras, stupéfaite. (Se reprenant, elle enfonça un index dans les côtes de Min.) Dépêche-toi, mon enfant ! Je suis trop vieille et trop lente pour devenir une aventurière.

Min ne cacha pas sa surprise. Laras avait insisté pour venir, refusant catégoriquement de « ne pas en être », comme elle avait dit. Brûlant d’envie de demander à Siuan pourquoi Leane et elle paraissaient soudain si jeunes, Min dut se rappeler que ce n’était pas le moment de poser des questions frivoles.

Mais cette fichue Elmindreda finit par déteindre sur moi !

Après avoir jeté un baluchon à chacune des prisonnières, Min leur tint un petit discours :

— Ce sont des vêtements. Mettez-les le plus rapidement possible, parce que nous n’avons pas beaucoup de temps. J’ai raconté au garde que je me laisserais voler quelques baisers s’il me permettait d’assouvir ma rancune contre vous. Pendant que je le baratinais, Laras s’est approchée dans son dos et l’a assommé avec un rouleau à pâtisserie. J’ignore combien de temps il restera inconscient. (Se penchant en arrière, Min jeta un rapide coup d’œil dans le couloir.) Il semble judicieux de se presser.

Son baluchon déjà ouvert, Siuan avait commencé à se vêtir. À part les sous-vêtements en lin, les tenues auraient parfaitement convenu à des fermières en visite à la Tour Blanche pour consulter les Aes Sedai. La jupe-culotte faisait un peu bizarre, dans ce contexte, mais les deux évadées allaient devoir chevaucher vite et longtemps. Grâce aux talents de couturière de Laras, la maladresse de Min – qui s’était surtout piqué les doigts – n’avait pas trop nui à la confection de ces habits.

Également en train de s’habiller, Leane semblait fascinée par le couteau qui pendait à la ceinture qu’elle allait boucler.

Trois femmes banalement vêtues avaient une bonne chance de quitter la tour sans attirer l’attention. Des pétitionnaires et d’autres visiteurs avaient été coincés dans la tour à cause des combats. Trois nouvelles intruses sortant de leur trou n’alarmeraient personne. Selon toute probabilité, on s’empresserait simplement de les expulser. À condition, bien entendu, qu’on ne les reconnaisse pas ! Et pour ça, la métamorphose des deux Aes Sedai était pain bénit. Qui risquait de prendre deux très jeunes femmes pour la Chaire d’Amyrlin et la Gardienne des Chroniques ? Enfin, pour l’ancienne Chaire d’Amyrlin et l’ancienne Gardienne des Chroniques…

— Un seul garde ? s’étonna Siuan. (Avec une grimace de douleur, elle finit d’enfiler d’épais bas de laine.) C’est bizarre… De simples coupe-bourse ont déjà été plus surveillés que ça… (Elle glissa un pied dans une solide chaussure de marche.) Laras, merci de ne pas croire aux accusations qui pèsent sur moi. Quoi qu’elles puissent raconter…

La Maîtresse des Cuisines leva fièrement la tête, faisant ainsi apparaître un quatrième menton.

— Je suis cuisinière, et ces affaires ne me concernent pas. Mais en voyant cette jeune idiote, je me suis souvenue de ma jeunesse, et vogue la galère ! Hélas, devant vous, je me dis qu’il est temps d’accepter l’idée que je ne suis plus une fougueuse jeune fille.