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— Pas de discours d’Aes Sedai… Dites-moi où elles étaient, sans réfléchir, afin que je détermine si vous mentez.

— Illian, répondit Siuan sans hésitation. La capitale du royaume éponyme… Elles suivent une formation avec une Aes Sedai appelée Mara Tomanes. Et elles doivent toujours y être…

— Pas à Tear ?

Un moment, Gawyn réfléchit à cette information, puis il lança brusquement :

— Vos accusatrices disent que vous êtes un Suppôt des Ténèbres. Donc, vous appartenez à l’Ajah Noir…

— Si tu crois ça, mon garçon, coupe-moi la tête.

Voyant les phalanges de Gawyn blanchir sur la poignée de son épée, Min faillit hurler. Très lentement, elle tendit le bras et posa le bout de ses doigts sur le poignet libre du jeune homme – un contact léger, pour lui montrer qu’elle n’avait aucune intention de l’attaquer.

Elle eut le sentiment de toucher un rocher.

— Gawyn, tu me connais… Crois-tu que j’aiderais l’Ajah Noir ? (Sans ciller, Gawyn continua à dévisager Siuan.) Elayne soutient Siuan et toutes ses actions. Ta propre sœur ! Et Egwene partage cette position. (Le poignet du prince trembla enfin sous les doigts de Min.) Je te le jure, Gawyn, Egwene est dans le camp de Siuan.

Le prince regarda brièvement Min, puis il riva de nouveau les yeux sur Siuan.

— Donnez-moi une raison de ne pas vous ramener à la tour par la peau du cou !

L’ancienne dirigeante soutint le regard du jeune homme avec un calme souverain.

— Tu peux le faire, et même si je résiste, je ne te donnerai pas beaucoup plus de fil à retordre qu’un chaton. Hier, j’étais une des femmes les plus puissantes du monde. Voire la plus puissante. Même s’ils détestent la Tour Blanche et tout ce qu’elle représente, les rois et les reines répondaient à mes convocations. Aujourd’hui, j’ai peur de ne rien avoir à manger au dîner, puis de devoir dormir dans un buisson. En un jour, la femme la plus puissante du monde est devenue une vagabonde qui espère trouver une ferme où on l’engagera, histoire de gagner sa pitance dans les champs. Même si tu me juges coupable de je ne sais quoi, mon garçon, n’est-ce pas un châtiment suffisant ?

— Peut-être…, marmonna Gawyn après un moment.

Le voyant rengainer son épée, Min soupira de soulagement.

— Mais ce n’est pas pour ça que je vais vous laisser partir… Elaida pourrait décider de te faire décapiter, Min, et je ne peux pas laisser faire ça. Tu sais trop de choses dont je pourrais avoir besoin.

— Gawyn, dit Min, viens avec nous…

Un escrimeur formé par les Champions pouvait être utile, par les temps qui couraient.

— Comme ça, tu auras Siuan en permanence à ta disposition, si tu veux qu’elle réponde à tes questions.

Sans vraiment quitter Gawyn, le regard de Siuan, pas franchement indigné mais quelque peu dubitatif, dériva sur Min. La jeune femme enfonça cependant le clou :

— Elayne et Egwene croient en elle, Gawyn ! Ne peux-tu pas faire comme elles ?

— Ne me demande pas plus que ce que je peux donner… Je vais vous conduire jusqu’au portail le plus proche. Seules, vous n’auriez eu aucune chance de sortir. C’est tout ce que je peux faire, Min, et en un sens, c’est déjà trop. Un mandat d’arrestation a été lancé contre toi, le savais-tu ? (Gawyn s’adressa de nouveau à Siuan.) S’il arrive malheur à Egwene ou à ma sœur, je vous trouverai, même au bout du monde, et je vous ferai subir le même sort.

Sans crier gare, le prince s’éloigna d’une dizaine de pas, tourna le dos aux trois femmes et croisa les bras.

Siuan leva une main, l’immobilisant à mi-distance de sa gorge, où une fine ligne rouge laissée par la lame se détachait sur la peau claire.

— J’ai vécu trop longtemps sous la protection du Pouvoir, dit-elle, quelque peu remuée. J’avais oublié ce qu’on ressent face à quelqu’un qui peut couper votre vie comme un vulgaire fil…

Siuan regarda Leane, sursauta comme si elle la voyait pour la première fois, puis se palpa le visage comme si elle se demandait à quoi elle ressemblait.

— D’après ce que j’ai lu, ça n’aurait pas dû arriver si tôt, mais la brutalité d’Elaida y est peut-être pour quelque chose. Un « déguisement », a-t-il dit ? Eh bien, ça pourrait nous en tenir lieu, oui…

Siuan enfourcha péniblement Bela, puis saisit les rênes comme si elle allait devoir maîtriser un étalon fougueux.

— Un autre avantage, dirait-on, d’avoir été… Bon, il faudra que j’apprenne à le dire sans défaillir. J’ai été calmée. Calmée… Voilà, c’est dit ! Si je peux me fier à l’allure de Leane, j’ai perdu une bonne quinzaine d’années, sinon plus. Je connais des femmes qui donneraient n’importe quoi pour rajeunir ainsi. Encore un avantage !

Siuan jeta un coup d’œil à Gawyn, ou plutôt à son dos. Prudente, elle baissa quand même la voix.

— Et il y en a encore un autre, d’avantage ! Comment dire ? Une certaine forme de libération du discours ? Je n’avais pas pensé à Mara depuis des années… Une amie d’enfance…

— Vas-tu vieillir comme n’importe qui ? demanda Min en montant en selle.

Sur la contre-vérité proférée par Siuan, et gobée par Gawyn, elle préférait ne pas émettre de commentaires. En revanche, elle prit note que l’ancienne Chaire d’Amyrlin, désormais, pouvait parfaitement mentir.

Leane enfourcha la troisième jument et lui fit décrire un petit cercle pour la prendre en main. À l’évidence, elle avait l’habitude de chevaucher.

— Je n’en sais trop rien…, répondit Siuan à la question de Min. Aucune femme calmée n’a vécu assez longtemps pour qu’on le sache. J’ai l’intention d’être la première.

— Vous voulez filer, lança soudain Gawyn, ou bavarder dans cette clairière jusqu’à la fin des Âges ?

Sans attendre de réponse, il s’enfonça au milieu des arbres.

Les trois femmes le suivirent. Siuan tira sur sa capuche – « déguisement » ou non, elle n’avait aucune intention de prendre des risques. Voyant que Leane imitait son amie, Min fit de même. Elaida avait lancé un mandat d’arrêt contre elle ? Donc, elle savait qui était vraiment Elmindreda. Depuis combien de temps la sœur rouge jouait-elle ainsi au chat et à la souris avec Min ? Depuis le début, peut-être…

Alors que les cavalières rattrapaient Gawyn sur un sentier de gravier, une bonne vingtaine de jeunes hommes apparurent, se dirigeant droit vers le petit groupe. Min distingua dans le lot quelques gaillards un peu plus vieux que le prince et une majorité de quasi-gamins dont certains ne devaient pas encore avoir besoin de se raser tous les jours. Tous étaient cependant armés d’une épée qu’ils portaient au côté ou dans le dos, et trois ou quatre arboraient un plastron. Plusieurs garçons avaient un membre ou le front bandés et presque tous avaient les vêtements maculés de sang.

Le regard fixe et vide comme celui du prince, ces jeunes guerriers s’immobilisèrent et se tapèrent du poing droit sur la poitrine pour saluer leur chef. Gawyn hocha simplement la tête, puis il se remit en chemin et ses « hommes » attendirent que les femmes soient passées pour leur servir d’escorte.

— Les élèves des Champions ont participé aux combats ? demanda Siuan.

Min acquiesça.

— Ils se font appeler « la Jeune Garde ».

— Un nom adapté…

— Certains sont encore des gosses…, souffla Leane.

Min jugea préférable de cacher que les Champions des Ajah Bleu et Vert avaient eu l’intention de libérer les prisonnières avant qu’elles soient calmées – et qu’ils auraient réussi si Gawyn n’avait pas levé une sorte de milice – la Jeune Garde – pour les en empêcher. Comptant parmi les plus sauvages, l’affrontement entre les maîtres et les élèves s’était soldé par un massacre.

La porte d’Alindrelle aux lourds battants de bois clouté de bronze était grande ouverte mais très bien gardée. Certains hommes arboraient sur la poitrine la Flamme de Tar Valon. D’autres portaient une tenue d’ouvrier et un casque ou un plastron récupérés on ne savait trop où. Des soldats réguliers et des faux maçons, à l’évidence, tous semblant déterminés et parfaitement aptes à manier leurs armes. Formant deux groupes, ils se regardaient d’un air méfiant.