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Min arriva à temps pour entendre l’ancienne Chaire d’Amyrlin lâcher froidement :

— Je ne m’attendais pas à te rencontrer ici, Logain.

Min en resta bouche bée. Oui, c’était bien Logain. Ces yeux tristes, ce visage jadis beau encadré par de longs cheveux bouclés… Impossible de se tromper ! La rencontre idéale, vraiment. Un fugitif que la Tour Blanche devait rechercher aussi activement que Siuan.

Logain se laissa tomber à genoux comme si ses jambes refusaient de le porter.

— Je ne peux plus faire de mal à personne, souffla-t-il, les yeux baissés sur les pavés. Je veux m’en aller d’ici pour trouver un endroit où mourir en paix. Si vous saviez ce que c’est d’avoir perdu…

Leane frémit en voyant Siuan tirer nerveusement sur ses rênes. Sans rien remarquer, Logain reprit :

— Tous les ponts sont gardés. Personne ne passera… Les gardes ne me connaissent pas, mais ils me refoulent quand même. J’ai essayé tous les ponts… (Logain eut un rire étranglé, comme si tout ça l’amusait.) Oui, tous les ponts…

— Je crois que nous devrions y aller, dit Min. Il veut sans doute échapper à ceux qui le poursuivent. Oui, à ses… hum… poursuivants.

Siuan eut pour Min un regard si glacial que la pauvre en frissonna. Tout bien pesé, il aurait été agréable que la dirigeante déchue ne recouvre pas toute sa confiance et son autorité. Le doute ne lui allait pas si mal que ça, au fond.

Logain leva les yeux et regarda les trois cavalières.

— Vous n’êtes pas des Aes Sedai. Que me voulez-vous ? Et qui êtes-vous ?

— Je suis la femme qui peut te faire sortir de Tar Valon, dit Siuan. Puis te donner une occasion de te venger de l’Ajah Rouge. Tu ne voudrais pas rendre la monnaie de leur pièce aux femmes qui t’ont capturé ?

L’homme frissonna, mais pas de lassitude.

— Que dois-je faire ? demanda-t-il.

— Me suivre… Me suivre et ne pas oublier que je suis la seule personne au monde qui peut t’aider à prendre ta revanche sur les sœurs rouges.

Toujours à genoux, Logain dévisagea les trois femmes, puis il se leva, le regard braqué sur Siuan.

— Je suis votre homme, dit-il simplement.

Min vit que Leane était aussi stupéfiée qu’elle. Que comptait faire Siuan d’un type à la santé mentale douteuse qui avait à tort affirmé être le Dragon Réincarné ? Au minimum, il finirait par leur voler un cheval, c’était couru. Considérant sa taille et la largeur de ses épaules, Min se jura de ne jamais laisser sa main très loin du manche de son couteau.

Soudain, et très brièvement, une aura or et bleu brilla autour de la tête de Logain – une aura annonciatrice d’une gloire à venir, comme la première fois qu’elle l’avait vue.

Des visions… Des images…

Tournant la tête, Min regarda dans le lointain la Tour Blanche qui dominait la cité – une flèche immaculée qui tutoyait le ciel mais qui était en réalité brisée, exactement comme s’il ne s’agissait plus que d’un tas de ruines. Un peu plus tôt, elle avait vu deux images autour de la tête du prince.

Gawyn agenouillé aux pieds d’Egwene, la tête baissée…

Gawyn brisant la nuque d’Egwene…

D’abord une image puis l’autre, comme si chacune pouvait être un aperçu de l’avenir.

Ses visions étaient rarement aussi claires et précises que ces deux-là. Et elle n’en avait jamais eu de ce genre – des virtualités alternatives –, comme si son « don » était incapable de savoir laquelle se réaliserait un jour.

Plus troublant encore, Min eut la soudaine certitude que c’étaient ses actes d’aujourd’hui qui orienteraient inéluctablement Gawyn vers l’une ou l’autre de ces virtualités.

Malgré la chaleur, la jeune femme frissonna de nouveau.

Ce qui est fait est fait…

Jetant un coup d’œil aux deux Aes Sedai – anciennes Aes Sedai –, elle vit qu’elle regardait Logain comme s’il était un molosse dressé. Un animal féroce et dangereux, mais hautement utile.

Siuan et Leane repartirent en direction du fleuve et Logain les suivit.

Min aussi, après une brève hésitation.

Lumière, fais que tout ça ne soit pas inutile !

48

Une proposition refusée

— C’est le genre de femme que tu aimes ? demanda Aviendha avec un mépris souverain.

Rand baissa les yeux sur l’Aielle qui avançait à côté de Jeade’en. Toujours en jupe, un foulard marron enroulé autour du crâne, Aviendha lui rendit son regard avec une intensité à glacer les sangs – à croire qu’elle regrettait de ne plus avoir la lance dont elle s’était emparée pendant l’attaque des Trollocs, une initiative qui lui avait valu les remontrances des Matriarches.

Rand était parfois gêné de chevaucher alors que la jeune femme marchait. Mais il avait tenté de faire comme elle, et ses pieds avaient vite crié grâce. Quatre ou cinq fois, il avait réussi à la convaincre de monter en croupe derrière lui, prétendument parce que baisser la tête pour lui parler finissait par lui donner un torticolis. Pour un Aiel, chevaucher n’était pas une offense faite aux coutumes, finalement. Mais un sain mépris pour tous ceux qui ne se servaient pas de leurs jambes afin de se déplacer incitait Aviendha à décliner le plus souvent la proposition du jeune homme. Et quand elle l’acceptait, le moindre ricanement d’un autre Aiel – et surtout d’une Promise – suffisait à la faire promptement sauter à terre.

— Elle est faible, Rand al’Thor. Faible et trop docile.

Rand jeta un nouveau coup d’œil à la roulotte blanche qui occupait toujours la tête de la caravane de colporteurs escortée par des Promises Jindo. À côté du conducteur, Isendre était assise sur les larges genoux de Kadere. La tête sur son épaule, elle se réfugiait sous le petit parasol de soie bleue que le colporteur tenait afin de la protéger du soleil et de s’en abriter lui-même. Même en veste blanche légère, Kadere se tamponnait sans cesse le visage avec un grand mouchoir. De toute évidence, il était beaucoup plus affecté par la chaleur que sa compagne vêtue d’une robe de soie d’un bleu assorti à la couleur du parasol. Rand n’aurait pas pu le jurer, mais il avait l’impression que les yeux noirs d’Isendre étaient en permanence rivés sur lui. En tout cas, chaque fois qu’il tournait la tête, il en était ainsi et Kadere ne semblait pas s’en offenser.

— Je ne crois pas qu’Isendre soit « docile », dit Rand tout en ajustant son shoufa autour de sa tête.

Bizarrement, cet accessoire se révélait assez efficace contre le soleil. Même si sa veste rouge en laine était beaucoup moins adaptée au climat, le jeune homme avait résisté à l’envie d’adopter une tenue aielle. Quelle que soit son origine, et nonobstant les marques qu’il portait sur les bras, il n’était pas aiel et il n’avait aucune intention de faire semblant de l’être. Quoi que l’avenir exige de lui, il entendait s’en tenir à ce minimum requis de décence.

— Non, je ne dirai pas « docile »…

Sur le banc du cocher de la seconde roulotte, la grosse Keille et son trouvère, Natael, se disputaient comme d’habitude. Bien qu’il soit moins doué que l’homme normalement chargé de conduire le véhicule, le trouvère tenait les rênes. De temps en temps, sa compagne et lui regardaient Rand, mais ils se reconcentraient très vite sur leur dispute.

Cela dit, regarder Rand était une occupation très en vogue. La colonne de Jindo qui avançait sur son flanc faisait de même, tout comme les Matriarches qui cheminaient un peu à l’écart avec Moiraine, Egwene et Rand. Et même dans la colonne de Shaido, beaucoup plus distante, des têtes se tournaient régulièrement vers Rand. Désormais, ces manifestations ne dérangeaient presque plus le jeune homme. Il était Celui qui Vient avec l’Aube, et tout le monde voulait savoir ce qu’il projetait de faire.