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Eh bien, ça ne tarderait plus, maintenant…

— Docile, marmonna Aviendha. Elayne n’est pas comme ça. Tu lui appartiens, alors arrête de faire les yeux doux à cette garce à la face de lune.

L’Aielle secoua la tête puis marmonna entre ses dents :

— Nos coutumes la choquent, paraît-il. Cette gente dame ne saurait les accepter. Et pourquoi devrais-je m’en soucier, au fond ? Mais rien ne doit se passer… Non, rien. Si je pouvais, Rand al’Thor, je te prendrais comme gai’shain afin de pouvoir t’offrir à Elayne.

— Pourquoi Isendre devrait-elle accepter les coutumes des Aiels ?

Voyant Aviendha rouler de gros yeux, Rand faillit éclater de rire. Bien entendu, la guerrière le foudroya du regard comme s’il venait de commettre un sacrilège. Quand on les fréquentait un peu, les Aielles se révélaient aussi difficiles à comprendre que toutes les autres femmes.

— Tu n’es pas docile, en tout cas, Aviendha…

Une remarque que l’Aielle, selon Rand, devait prendre comme un compliment. Indomptable et dure comme la pierre, elle n’avait en effet guère de faiblesses…

— Si tu m’expliquais de nouveau, au sujet de la Maîtresse du Toit ? Si Rhuarc est le chef des Taardad et le seigneur de la forteresse des Rocs Froids, comment se fait-il que le fief appartienne à sa femme et pas à lui ?

Avant de répondre, Aviendha regarda encore un moment Rand en marmonnant entre ses dents.

— Parce qu’elle est la Maîtresse du Toit, espèce d’âne bâté des terres mouillées ! Un homme ne peut pas posséder un foyer – une terre non plus, d’ailleurs. Parfois, les gens des terres mouillées donnent l’impression d’être des sauvages.

— Mais si Lian est Maîtresse du Toit des Rocs Froids parce qu’elle est l’épouse de Rhuarc…

— Ça n’a pas de rapport ! Ne comprendras-tu donc jamais ? Pourtant, c’est enfantin !

Aviendha prit une profonde inspiration, puis tira sur le foulard qui lui protégeait la tête. C’était une très jolie femme, trouvait Rand, et elle lui aurait paru encore plus belle si elle ne l’avait pas en permanence regardé comme s’il avait commis un crime à son encontre. Quel crime ? Hélas, il l’ignorait…

Même si elle détestait parler de Rhuidean, Bair avait fini par lui révéler que la jeune femme n’était pas entrée dans la forêt de colonnes de verre. Et elle ne le ferait pas tant qu’elle ne serait pas prête à devenir une Matriarche. Alors, pourquoi le détestait-elle ? Une énigme dont il aurait bien aimé connaître la solution.

— Je vais essayer un autre angle d’approche…, maugréa soudain Aviendha. Quand une femme va se marier et qu’elle ne possède pas déjà un toit, sa famille lui en construit un. Le jour du mariage, son époux la porte sur son épaule pour l’éloigner des siens – et les frères du jeune marié en font autant avec les sœurs de sa nouvelle femme. Tu me suis, ou il faut que je te fasse un dessin ? Mais à la porte de leur demeure, l’époux repose sa femme et lui demande la permission d’entrer. Parce que le toit est à elle. Et elle peut…

Ces cours de culture aielle étaient un vrai délice – les moments les plus agréables qu’avait connus Rand depuis l’attaque des Trollocs, onze jours plus tôt. Pour les obtenir, il avait fallu lutter, car Aviendha avait tendance à ne pas desserrer les lèvres entre une tirade contre le sort injuste d’Elayne (selon elle) et un sermon censé convaincre le jeune homme que la Fille-Héritière était une femme parfaite.

Un jour, Rand avait dit à Egwene – tout à fait incidemment – que l’Aielle, si elle refusait de lui faire la conversation, aurait pu avoir la décence de ne pas le regarder sans arrêt. Moins d’une heure après, un gai’shain en robe blanche était venu chercher Aviendha.

Quelle que soit la teneur du discours des Matriarches, la jeune femme était revenue dans un état de fureur absolue. Et elle avait exigé – oui, exigé – que Rand la laisse lui enseigner les us et les coutumes de son peuple. Avec l’espoir, bien entendu, qu’il révèle quelque chose sur ses plans par l’intermédiaire des questions qu’il poserait. Après les reptiliennes subtilités de Tear, où les langues de vipère étaient légion, la manière fort naïve d’espionner des Matriarches avait quelque chose de rafraîchissant.

Quoi qu’il en soit, tout ce que Rand apprendrait pourrait lui servir un jour. De plus, une conversation avec Aviendha n’était pas nécessairement un calvaire, très loin de là, à partir du moment où elle parvenait à oublier qu’elle méprisait son interlocuteur pour une raison qu’elle était seule à connaître.

Hélas, dès qu’elle s’apercevait qu’ils dialoguaient comme des gens normaux, l’Aielle avait tendance à retrouver sa bonne vieille hostilité, comme si elle pensait que le jeune homme l’avait attirée dans un piège.

Malgré ces aléas, leurs conversations restaient agréables, comparées à tous les autres aspects du voyage. Avec le temps, Rand finissait même par trouver amusantes les explosions de colère d’Aviendha. N’étant pas né de la dernière pluie, il se gardait bien de le lui montrer. Parce qu’elle voyait en lui un homme honni, Aviendha oubliait tout à fait qu’il était le Dragon Réincarné ou Celui qui Vient avec l’Aube. À ses yeux, il était Rand al’Thor et rien de plus. Et vis-à-vis de lui, elle avait des sentiments univoques. Pas comme Elayne, dont la première lettre lui avait fait bouillir les sangs alors que la seconde, écrite le même jour, l’avait incité à se demander s’il ne lui avait pas poussé des cornes et des crocs, comme à un Trolloc.

Min était à ce jour la seule femme qui ne lui avait pas embrouillé l’esprit et torturé l’âme. Mais elle était en sécurité à la Tour Blanche, le lieu que Rand entendait éviter par-dessus tout. Souvent, il se disait que sa vie serait plus simple s’il oubliait totalement les femmes. Désormais, Aviendha s’était infiltrée dans ses rêves, comme si Min et Elayne n’avaient pas déjà suffi. Les femmes mettaient ses émotions sens dessus dessous, et il avait besoin de toute sa lucidité. Et d’une totale sérénité.

Certes, mais voilà qu’il regardait de nouveau Isendre, qui lui faisait « bonjour » du bout des doigts par-dessus l’oreille de Kadere. Et il aurait juré qu’elle lui souriait.

Une femme dangereuse… Je dois être très froid et dur comme de l’acier. Un acier tranchant.

Onze jours, onze nuits, et la douzième journée, rien de nouveau sous le soleil. Des amas de rochers, des flèches de pierre au sommet tronqué, et des crêtes jaillissant au hasard du sol dans un paysage dévasté où des pics se dressaient çà et là sans raison apparente. Des jours à cuire au soleil et des nuits à crever de froid en claquant des dents. Dans cet enfer, tout ce qui poussait était hérissé d’épines ou de piquants – sauf les rares plantes urticantes, qu’il fallait fuir comme la peste. D’autant plus que certaines, selon Aviendha, étaient empoisonnées. Certaines ? L’Aielle aurait eu plus vite fait de lui citer la liste des végétaux inoffensifs.

Pour trouver de l’eau, il fallait dénicher des sources cachées ou des réservoirs naturels. À moins de savoir reconnaître quelques plantes bien spéciales autour desquelles on pouvait trouver à boire pour un ou deux hommes, en creusant un trou profond, ou qui exsudaient une sève très désaltérante lorsqu’on les mâchait.

Une nuit, des félins avaient tué deux chevaux de bât appartenant aux Shaido. Rand avait entendu les bêtes fauves rugir de rage tandis que des guerriers les chassaient loin de leurs proies. Le quatrième soir, un conducteur de chariot, contribuant à dresser le camp, avait par mégarde dérangé un petit serpent ocre. Un deux-pas, avait précisé Aviendha plus tard. Le reptile portait très bien son nom. Bien qu’il ait vu Moiraine galoper vers lui, le conducteur avait tenté de rejoindre la caravane. Au deuxième pas, il s’était écroulé face contre terre, mort avant même que l’Aes Sedai ait pu sauter de sa monture.