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— Les Goshien et les Shaarad, marmonna Rand, les yeux baissés sur sa coupe de vin.

Selon Rhuarc, tous les chefs de tribu viendraient avec quelques guerriers, une question d’honneur, et les chefs de clan feraient de même. Quand on faisait l’addition, on arrivait quand même à un bon millier de personnes pour chaque tribu. Douze tribus… Douze mille Promises et guerriers drapés dans leur étrange conception de l’honneur et prêts à s’entre-tuer au moindre éternuement de chat. Douze mille au moins, et peut-être plus, si on tenait compte de la kermesse.

— Ils ont une querelle, je crois ?

Rhuarc et Lan acquiescèrent en même temps.

— Je sais que la Paix de Rhuidean s’applique à Alcair Dal, Rhuarc, mais j’ai vu que ça n’avait pas tant d’effet que ça sur Couladin et les Shaido. Je devrais me mettre en route au plus vite. Si les Goshien et les Shaarad commencent à se battre… Eh bien, ça pourrait faire boule de neige, et je veux avoir tous les Aiels avec moi.

— Les Goshien ne sont pas comme les Shaido, lâcha Melaine.

Elle secoua la tête, faisant osciller sa chevelure rousse comme la crinière d’une lionne.

— Les Shaarad non plus, dit Bair d’une voix aiguë moins forte que celle de sa cadette, mais tout aussi assurée. Jheran et Bael tenteront peut-être de s’étriper lorsqu’ils repartiront d’Alcair Dal, mais pas sur le site de la réunion.

— Aucune de ces remarques ne répond à la question de Rand al’Thor, dit Rhuarc. Rand, si tu vas à Alcair Dal avant que tous les chefs y soient, ceux qui ne seront pas encore arrivés se sentiront déshonorés. Ce n’est pas une bonne façon d’annoncer que tu es Celui qui Vient avec l’Aube. On ne peut pas insulter ainsi des hommes qu’on veut rallier à sa cause. Les Nakai ont le plus de chemin à parcourir. Dans un mois, tout le monde sera dans la Coupe d’Or.

— Moins d’un mois…, souffla Seana. J’ai marché deux fois dans les rêves d’Alsera, et elle m’a dit que Bruan, le chef des Nakai, compte courir entre la forteresse Shiagi et Alcair Dal. Moins d’un mois, je le maintiens…

— Pour ne pas prendre de risques, tu partiras quand même dans un mois, dit Rhuarc à Rand. Trois ou quatre jours après, tu arriveras à Alcair Dal et tous les chefs t’y attendront.

Un mois… C’était trop long, et pourtant, Rand n’avait pas le choix. Dans les récits, tout se passait comme le prévoyait le héros et la notion de « contretemps » n’existait pas. Dans la vie, il en allait autrement, même pour un ta’veren censément soutenu et porté par les prophéties. Dans la vie, il fallait lutter, espérer, croiser les doigts et s’estimer heureux de trouver plus d’une demi-miche de pain quand on avait besoin d’une entière.

Par bonheur, une partie de son plan évoluait exactement selon ses espérances. La partie la plus dangereuse…

Allongée entre Lan et Amys, Moiraine sirotait son vin les yeux mi-clos, comme si elle somnolait. Rand ne se fia pas un instant aux apparences. Cette femme voyait et entendait tout. Mais pour l’heure, il n’avait rien à lui cacher.

— Combien de chefs hésiteront, Rhuarc ? Ou s’opposeront à moi ? Tu y as fait allusion, mais sans jamais approfondir le sujet.

— Parce que je n’ai aucune certitude, Rand… Quand tu leur montreras les Dragons, ils sauront qui tu es. Il est impossible de copier ou de contrefaire les Dragons de Rhuidean.

Rand eut l’impression que Moiraine venait de cligner des yeux.

— Tu es celui qu’annoncent les prophéties, Rand. Je te soutiendrai, Bruan aussi, et Dhearic également – c’est le chef des Reyn. Les autres ? C’est une histoire bien différente…

» Sevanna, la veuve de Suladric, conduira les Shaido, puisqu’ils n’ont plus de chef. Elle est bien jeune pour être Maîtresse du Toit, et sûrement furieuse à l’idée de ne plus avoir qu’une maison, pas une forteresse, lorsqu’un nouveau chef aura été choisi. Bien entendu, elle est aussi indigne de confiance que tous les autres Shaido. De toute façon, même si elle ne nous fait pas d’ennuis, tu sais que Couladin s’en chargera à sa place. Et même s’il n’est pas allé à Rhuidean, certains guerriers lui seront fidèles. Hélas, les Shaido sont assez fous pour ça. Le chef des Tomanelle, Han, peut aller dans un sens comme dans l’autre. C’est un homme fier, difficile à connaître et peu commode à convaincre quand…

— Il existe des hommes qui ne correspondent pas à cette description ? souffla Lian, coupant la chique à son mari.

Une remarque que Rhuarc n’était pas censé entendre, devina Rand. Alors qu’Amys mettait une main devant sa bouche pour cacher son sourire, sa sœur-épouse baissa le nez sur sa coupe de vin comme une petite fille prise en flagrant délit d’espièglerie.

Rhuarc regarda ses deux femmes, l’air résigné.

— Je voulais simplement dire que je ne pouvais être sûr de rien. La plupart des tribus te suivront, Rand. Peut-être même toutes, y compris les Shaido. Voici trois mille ans que nous attendons l’homme qui arborera les deux Dragons. Quand tu auras montré tes bras, plus personne ne doutera que tu sois venu pour nous unir.

Et vous détruire, pensa Rand.

— Mais je ne peux quand même pas prédire la réaction des gens. Rand, ne veux-tu pas changer d’avis et revêtir le cadin’sor ?

— Pour leur montrer quoi, Rhuarc ? Une imitation d’Aiel ? Autant déguiser Mat, si on en est là !

Le jeune flambeur faillit s’étrangler avec le tuyau de sa pipe.

— Je ne ferai pas semblant, Rhuarc. Je suis ce que je suis, et ils devront me prendre comme ça. (Rand brandit les poings, les manches de sa veste tombant assez pour dévoiler les têtes ornées d’une crinière figurant sur ses avant-bras.) Voici les preuves. Si elles ne suffisent pas, rien n’y fera.

— En direction de quel pays veux-tu « guider de nouveau les lances vers la guerre » ? demanda soudain Moiraine.

S’étranglant de nouveau, Mat sortit le tuyau de sa pipe de sa bouche, puis il dévisagea l’Aes Sedai, dont les yeux noirs étaient désormais grands ouverts.

Rand serra les poings à s’en faire craquer les phalanges. Jouer au plus fin avec cette femme était dangereux, il aurait dû le savoir depuis longtemps. Elle gravait dans sa mémoire tout ce qu’elle entendait, mettait les choses en rapport les unes avec les autres et finissait par tout comprendre.

Tous les regards braqués sur lui, Rand se leva lentement.

Egwene semblait plus inquiète encore que Mat. Les Aielles paraissaient… curieuses. Évoquer la guerre n’avait rien pour les perturber. Rhuarc, lui, affichait la détermination d’un guerrier prêt à tout.

— Si vous voulez bien m’excuser, dit Rand, je vais faire un petit tour.

Aviendha se mit à genoux et Egwene se leva. Mais aucune des deux femmes ne suivit le jeune homme.

50

Des pièges

Une fois dehors, Rand se campa sur le chemin pavé qui séparait la maison de brique jaune et la terrasse aménagée en potager. De là, il sonda le canyon… et ne vit pas grand-chose, car la pénombre couvrait déjà la vallée encaissée.

Moiraine était décidément un problème. Allait-elle le conduire jusqu’à la Tour Blanche en le tenant en laisse ? C’était possible… Et il ne doutait pas un instant qu’elle en serait capable sans utiliser le Pouvoir, s’il lui laissait la moindre ouverture. Cette femme était capable de faire passer un taureau par un trou de souris sans qu’il s’en aperçoive. Mais s’il la manipulait, elle pouvait lui être utile.

La manipuler ? Je suis aussi malfaisant qu’elle. Se servir des Aiels, manipuler une Aes Sedai… J’aimerais tant pouvoir lui faire confiance…

Rand se dirigea vers l’entrée du canyon en empruntant une succession de chemins. Tous très étroits, la plupart étaient pavés, mais les plus raides avaient été taillés en escalier, pour faciliter la descente. En avançant, Rand entendit les bruits lointains de marteaux frappant sur des enclumes. À l’évidence, tous les bâtiments n’étaient pas des maisons. Par une porte ouverte, Rand aperçut plusieurs femmes assises devant des métiers à tisser. Plus loin, derrière une fenêtre, il vit une femme orfèvre se pencher sur ses petits marteaux et ses gouges miniatures. Plus loin encore, il découvrit un potier devant son tour, son four de pierre derrière lui.