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— Si tu sais comment sonner l’alarme, fais-le.

— Le gong, près de la porte.

— Je vais m’en charger. Réveille les gens. Il y a peut-être plus de deux monstres.

Aviendha acquiesça puis repartit dans la direction d’où elle était venue.

— Aux lances ! cria-t-elle. Debout et aux lances !

Rand sortit prudemment, l’épée levée, le Pouvoir toujours en lui. Le saidin l’emplissait d’excitation, mais la souillure, dans le même temps, lui donnait envie de vomir. Alors qu’il gelait dehors, il ne frémit même pas.

Le Draghkar finissait de brûler sur le potager en terrasse, ajoutant à la lumière de la lune celle de sa crémation – qui empuantissait l’air comme si sa chair avait été pourrie avant de se consumer.

Un peu plus loin sur le chemin, Seana gisait sur le sol, ses longs cheveux grisonnants lui faisant une corolle. Ses yeux morts rivés sur le ciel, elle avait eu le temps de sortir son couteau, mais le Draghkar ne lui avait pas laissé une chance.

Alors que Rand saisissait le marteau à la tête enveloppée de cuir accroché à côté du gong, des cris retentirent à l’entrée du canyon. Des appels d’humains et des rugissements de Trollocs. Puis vinrent les cliquetis d’armes et les hurlements de douleur.

Rand frappa de toutes ses forces sur le gong. Presque aussitôt, un autre gong lui répondit, puis un autre et encore un autre.

— Aux lances ! crièrent des dizaines de voix.

Des cris moins martiaux montèrent de la caravane de colporteurs, dans la vallée. Des lampes s’allumèrent et les portes des deux roulottes s’ouvrirent. Puis une femme dont Rand ne reconnut pas la voix se mit à hurler rageusement.

Entendant des battements d’ailes au-dessus de sa tête, Rand eut un rictus haineux et leva son épée. Des lances de feu jaillirent de l’arme, faisant exploser le Draghkar qui tentait de fondre en piqué sur le jeune homme.

— Prends ça, dit Rhuarc en approchant de Rand.

Voilé, habillé de pied en cap et armé jusqu’aux dents, le chef des Taardad précédait Mat, qui faisait bien moins bonne figure. Sans sa veste, la tête nue, la chemise à moitié sortie du pantalon, il semblait mal réveillé et tenait sa lance noire à deux mains comme s’il s’y accrochait pour ne pas être emporté par le vent.

Rand saisit le shoufa que lui tendait Rhuarc, puis il le laissa tomber sur le sol. Une forme ailée passa au-dessus du petit groupe puis partit en piqué en direction de l’autre extrémité du canyon.

— C’est moi qu’ils cherchent, souffla Rand. Laissons-les voir mon visage.

Le Pouvoir coula en lui et se déversa dans son arme, qui brilla comme un petit soleil qui aurait eu pour seule mission d’éclairer le Dragon Réincarné.

— S’ils ne savent pas qui je suis, ils risquent de ne pas me trouver…

Riant de cette plaisanterie intime, Rand courut se jeter dans la mêlée.

Mat retira sa lance de la poitrine d’un Trolloc, puis il s’accroupit et regarda autour de lui, cherchant un nouvel adversaire qui oserait franchir l’entrée du canyon.

Que la Lumière carbonise Rand !

Les ombres qu’il distingua étaient bien trop petites pour appartenir à des monstres.

Il faut toujours qu’il m’entraîne dans des boucheries.

Une silhouette qui était selon lui Moiraine venait de s’agenouiller auprès d’un Aiel blessé ou mort. Les boules de feu de l’Aes Sedai étaient presque aussi impressionnantes et dévastatrices que l’épée de Rand, qui projetait de gigantesques lances de feu. L’arme brillait toujours, signalant de très loin la présence de son propriétaire.

J’aurais dû rester sous mes couvertures, par le sang et les cendres ! Il fait un froid de gueux, et rien de tout ça ne me concerne.

D’autres Aiels apparurent – des Aielles, plutôt, venues aider les blessés. Bien qu’elles aient toutes porté des jupes, quelques-unes de ces femmes brandissaient des lances. Ce n’étaient pas des guerrières, à l’évidence, mais une fois la bataille commencée dans la forteresse, elles avaient décidé de ne pas rester les bras ballants.

Une Promise arriva aussi et s’arrêta à côté de Mat. Même si elle n’était pas voilée, le jeune homme ne distingua pas ses traits dans les ténèbres.

— Tu danses très bien avec ta lance, flambeur ! Des Trollocs attaquent la forteresse… Décidément, les temps sont difficiles. (La Promise regarda la silhouette qui devait être Moiraine, selon Mat.) Sans l’Aes Sedai, les monstres auraient peut-être réussi à entrer.

— Ce n’était pas leur objectif, dit Mat sans réfléchir. Pour ça, ils auraient dû être plus nombreux. C’était une diversion…

Pour que les Draghkars puissent plus facilement trouver et attaquer Rand ?

— Tu dois avoir raison, concéda la Promise. Dans les terres mouillées, tu es un chef de guerre ?

Mat regretta de ne pas avoir fermé sa grande gueule.

— Non, mais j’ai lu un livre sur le sujet…, marmonna-t-il avant de se détourner.

Des fichus fragments de la maudite mémoire d’autres hommes, oui !

Après cette attaque, les colporteurs décideraient peut-être de partir.

Quand il atteignit la caravane, Mat ne vit ni Keille ni Kadere. Réunis en une seule masse compacte, les conducteurs se passaient et se repassaient plusieurs flacons de ce qui semblait être, à l’odeur, l’excellente eau-de-vie qu’ils vendaient. Silencieux et tendus, ils semblaient aussi nerveux que si les Trollocs étaient venus leur chatouiller la plante des pieds. En réalité, ils n’avaient jamais été en danger.

Le regard dans le vide, Isendre se tenait au sommet des marches de la roulotte de Kadere. Même les sourcils froncés, elle restait d’une beauté stupéfiante derrière son voile. Au moins, se réjouit Mat, en ce qui concernait les femmes, ses souvenirs étaient bel et bien les siens !

Afin que la belle remarque qu’il était un héros, Mat s’appuya ostensiblement à sa lance lorsqu’il vint se camper devant elle.

S’il faut risquer de me faire fendre le crâne en deux, au moins, tirons-en quelque avantage !

— Les Trollocs sont en déroute, dit-il d’une voix lasse. (Pour avoir l’air épuisé, il n’avait pas besoin de jouer la comédie…) Un dur combat, mais tu es en sécurité, à présent.

Isendre baissa les yeux sur le « héros ». Les yeux vides et l’expression hagarde, elle resta ainsi une minute, puis se détourna, entra dans la roulotte et claqua la porte derrière elle.

Mat eut un soupir dégoûté, puis il s’éloigna des chariots. Que fallait-il faire pour impressionner cette femme ? Puisque c’était ainsi, il ne rêvait plus que de son lit. Bien au chaud sous ses couvertures, oui, et que Rand se débrouille avec les Trollocs et les Draghkars de malheur ! Ce cinglé semblait aimer ça ! La manière dont il avait ri…

La lueur de son épée le signalant toujours de loin, Rand remontait le canyon à l’affût d’un éventuel ennemi infiltré. Quand elle l’aperçut, Aviendha remonta l’ourlet de sa jupe au-dessus de ses genoux et courut comme une folle. Puis elle s’immobilisa, laissa tomber sa jupe, tira dessus pour la défroisser et marcha à côté du jeune homme. Tandis qu’elle s’enveloppait la tête avec son châle, il fit mine de ne pas la voir et elle mit un point d’honneur à ne pas desserrer les dents.

Deux têtes de pioche qui se méritaient bien, au fond…

— Rand ! appela une silhouette qui semblait être Moiraine, sa voix presque aussi mélodieuse que celle de Keille, mais dans un registre nettement moins chaleureux.

Le jeune homme se retourna. Ralentissant le pas, l’Aes Sedai entra dans le cercle lumineux de l’épée avec toute la majesté d’une reine.