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Je soupèse le colis. D’après le poids, je présume que le pistolet est toujours dans le fond, à l’endroit où je l’ai découvert la première fois.

J’en déduis que Fred n’a jamais ouvert cette boîte.

— C’est bien ce que je cherche.

— Tant mieux. Tu as soif, tu veux une bière ?

— Non, je vais y aller, je suis déjà en retard.

— Et l’autre caisse, celle plus grande, dans laquelle il y a d’autres papiers, tu veux la prendre aussi ? Moi, je ne sais pas quoi en faire.

— Montre-la-moi.

Il sort de la pièce, revient quelques instants plus tard avec une caisse en carton qui a transporté des oranges ou des bananes dans sa première vie.

Elle contient quelques photos et des enveloppes de différentes tailles, jetées en vrac. Une épaisse enveloppe brune a été glissée sur l’un des côtés. Il s’agit vraisemblablement de papiers et de photos ayant appartenu à ma mère ou à Marischa.

— Je la prends.

Je jette un coup d’œil à ma montre, il est près de deux heures.

Je me lève.

Un voile se met à danser devant mes yeux. La pièce tangue légèrement. Je connais les signes avant-coureurs. Dans une heure, je serai en proie à une fulgurante migraine.

Je plonge une main dans ma poche, mes doigts cherchent le contact avec la boîte métallique.

Roland observe le manège.

— Tu veux dormir ici ?

— Non, je retourne à Zusmarshausen. Mes affaires sont là-bas. Je reprendrai la route pour Bruxelles demain.

— Comme tu veux.

Il ouvre les bras.

— En tout cas, merci pour ta visite, j’espère qu’on se reverra avant vingt ans. J’aimerais que tu fasses connaissance avec Christine, c’est une femme merveilleuse. En plus, nous pourrons parler le français.

— Pourquoi pas ?

Je lui tends la main.

— Salut, Roland.

— Au revoir, Stanislas.

Je sors de la maison. L’air est doux, la nuit est étoilée.

Je monte dans la voiture. Les muscles de ma nuque se crispent. Un nœud se forme dans ma tempe droite.

Je fourre le carton à chaussures dans la caisse et pose l’ensemble sur le siège passager. Dans une demi-heure, je serai à l’hôtel, à temps pour avaler mon Imitrex, m’allonger et le laisser agir.

Aurai-je la patience d’attendre d’être de retour chez moi ou vais-je entamer l’examen de la caisse dès demain matin ?

Je parcours le chemin à l’envers et m’engage sur l’autoroute.

Hormis quelques camions, la voie est dégagée. Je prends la bretelle, enfonce le champignon. La Mercedes répond au doigt et à l’œil.

Que contient cette liasse de papiers ?

J’ai aperçu quelques photos, insérées dans le tas. Le passeport va me permettre de remonter le temps et de tracer les voyages qu’il a accomplis.

Était-ce son premier voyage au Caire ? Y était-il allé auparavant ?

Le nœud enfle dans ma tempe, la douleur étend ses tentacules autour de l’œil.

Quelles autres villes a-t-il visitées ?

Jeanne Dewitte acceptera-t-elle de me dire quels sont les voyages qu’il a réalisés pour son compte personnel ? Le fait d’avoir le pistolet entre les mains me permettra-t-il d’en savoir plus sur son origine ?

Je me masse la tempe du bout des doigts.

Ces documents me permettront-ils de savoir ce qui lui a valu d’être tué ?

Sa mort justifiait-elle celles des autres victimes ?

Je passe une main dans mon cou, relève la tête.

Un camion roule au ralenti sur la bande de droite. Je jette un coup d’œil au compteur, je suis à plus de deux cents. Je me déporte vers la gauche pour le doubler. Je frôle le poids lourd, le passe de justesse.

À la fin de la manœuvre, je ressens un léger choc à l’arrière. Le cul de la voiture décroche. Je tente de contrebraquer, mais la direction ne répond pas. Je pars de travers et fonce droit sur la berme centrale. La Mercedes rebondit comme une boule de flipper sur les barrières métalliques. Je repars en crabe dans l’autre sens, vers le centre de la route. Le camion se rapproche à toute allure sur mon flanc droit. Le choc est sec, brutal. J’ai l’impression de m’encastrer dans la masse du semi-remorque. Le pare-brise vole en éclat. Les airbags explosent. L’habitacle se déforme autour de moi dans un grincement strident. Je revois la famille sur le bord de la route. La caravane éventrée. La Mercedes part en tonneau. Ma mère me sourit. Je regrette tellement. La calèche. Les trois filles. Sébastien. Danielle. Dany. Dany, pourquoi as-tu fait ça ?

DEUXIÈME PARTIE

« Je poursuis mes ennemis, je les atteins. Et je ne reviens pas avant de les avoir anéantis.

Je les brise, et ils ne peuvent se relever. Ils tombent sous mes pieds. »

PSAUME 18, VERSETS 38 ET 39

22

La mort

Vous avez eu beaucoup de chance.

Je déchiffre chaque mot. Je les connais, je les comprends, j’en connais la signification. Je pourrais en donner une définition.

Mis les uns à la suite des autres, je n’en saisis plus le sens.

Je suis conscient, je respire, mais je ne suis pas capable d’interagir avec le monde qui m’entoure.

Vous avez eu beaucoup de chance.

Peut-être est-ce cela, la mort.

23

Cent cinquante kilomètres de Francfort

Nathan quitta New York durant le mois de décembre 1948. Pour les étudiants du Brooklyn College et la communauté, il partait poursuivre ses études en Europe.

Seul son père en savait davantage. Nathan n’avait pu se résoudre à ne rien lui révéler sur le rôle qu’il allait être amené à jouer.

Une semaine avant la date fixée, il avait levé quelque peu le voile sur les raisons de son départ en exhortant son père à ne répéter à personne ce qu’il allait lui confier.

— J’ai une mission à remplir. C’est mon devoir et il me faut l’accomplir à la mémoire de notre famille. Je te demande de ne pas essayer de me retenir et de ne pas me poser de question.

Bernard Katz parut déchiffrer le message dissimulé derrière ces mots. Il ne posa aucune question et ne tenta pas de le dissuader de partir.

Le dernier soir, il prit son fils dans ses bras.

— Tu es le seul enfant qui me reste, prends garde à toi et donne-moi de tes nouvelles de temps en temps.

— Je te le promets.

Éric Braun se chargea d’emmener Nathan vers une destination inconnue. Comme convenu, il l’attendait le samedi matin à quelques dizaines de mètres de la boulangerie d’Alexandre.

Il lui serra la main, chargea la valise et le sac de Nathan dans le coffre de sa Ford et prit la route sans prononcer un mot.

Ce n’est qu’à la sortie de la ville qu’il desserra les dents.

— C’est bien, Nathan, tu as tenu le coup, tu es courageux. Je sais combien c’est difficile.

Ils remontèrent la route 87 en direction du nord.

Trois heures plus tard, une dizaine de miles avant Albany, Éric prit une bretelle de sortie, s’élança sur de petites routes et emprunta un long chemin de terre qui menait à une grande ferme enfouie dans la forêt.

Éric sortit de la voiture, posa les bagages sur le sol et tendit la main à Nathan.

— Voilà, terminus, je retourne à New York. Je ne sais pas si nous nous reverrons. Je te souhaite bonne chance.

Il lui fit un clin d’œil.