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— Des douleurs quand vous éjaculez ?

— Non.

— Le docteur Kösztler propose de faire d’autres examens dans notre service d’urologie, pour établir un diagnostic plus précis.

— Je ferai ça chez moi.

Elle traduit.

Le toubib lâche quelques phrases. Il n’a pas l’air satisfait de ma réponse.

Elle revient à la charge.

— Dans ce cas, le docteur Kösztler vous conseille de ne pas tarder. Le cancer de la prostate peut être bien traité. Plus tôt il est soigné, plus de chances vous avez de guérir.

— D’accord.

Ils sortent, l’un derrière l’autre.

Quel enfoiré ce Kösztler ! Il aurait pu attendre que je sorte du cirage pour m’annoncer cette nouvelle. Certains types n’ont aucun tact.

25

L’uniforme noir des SS

Je tente de me lever dès que la porte est refermée.

J’ai surestimé mes forces. Tous les muscles de mon corps sont contusionnés. Le seul mouvement de ma respiration provoque des élancements qui irradient de mon thorax jusque dans le dos. J’ai l’impression d’avoir les côtes fracturées et les poumons perforés.

Vous avez eu beaucoup de chance.

J’essaie de basculer pour me mettre sur le flanc. Je tends un bras, à la recherche de la poignée de mobilisation qui équipe certains lits. Pas le mien. Je parviens à agripper l’un des montants et à me hisser quelque peu. Chaque centimètre se gagne au prix de geignements plaintifs.

L’opération me prend une dizaine de minutes.

Vous avez eu beaucoup de chance, vous avez un cancer de la prostate.

Je remarque à présent que je ne suis pas seul dans la chambre. Un individu est allongé dans le lit contigu. Des tuyaux lui sortent de tous les côtés. Il est cramoisi. Ses cheveux lui collent au front, ses yeux roulent dans ses orbites. À mon avis, il n’en a plus pour longtemps.

Il m’observe et cherche à accrocher mon regard. Il ouvre la bouche, prononce quelques mots que je suis bien en mal de comprendre.

À bout de souffle, il suffoque et se met à tousser.

Qu’est-ce qu’ils lui ont raconté ? Qu’il a eu beaucoup de chance ? Qu’ils ne lui ont enlevé qu’un poumon ?

Il me faut quelques minutes de plus pour parvenir à m’asseoir dans le lit. La tête me tourne, un vertige me prend.

Vaincu, je me recouche et appelle l’infirmière. Une jeunette débarque. Je lui demande en anglais de faire venir sa collègue qui parle français.

Il lui faut une demi-heure pour arriver.

— Oui, monsieur ?

— J’aimerais changer de chambre.

Elle écarquille les yeux.

— Changer de chambre ? Pourquoi ?

— Je veux aller dans une chambre individuelle.

Elle secoue la tête.

— Ce n’est pas possible. Nous avons peu de chambres individuelles et elles sont réservées à certains patients. Je ne suis pas sûre que vous remplissiez les conditions.

— Renseignez-vous.

Elle tourne les talons.

À midi, deux infirmiers débarquent pour me transférer dans une chambre individuelle. Tout bien pesé, je répondais aux exigences. Comme partout, tout est question de pognon.

Les deux gaillards ouvrent l’armoire et posent mes affaires sur le lit.

Je repère les vêtements que je portais lors de l’accident. Ils sont dans un sale état. Ils y joignent le sac que Roland est allé chercher à Zusmarshausen. En revanche, je ne vois ni carton ni téléphone. Plus inquiétant, il n’y a pas de trace de mon Mac, resté à l’hôtel Die Post.

Les gardes-malades manœuvrent et emportent le lit hors de la chambre, sous l’œil interrogateur de mon voisin.

Nous parcourons un long couloir. Le moindre écart me fait souffrir. Au passage, je croise mon regard dans l’une des vitres. J’entrevois les lésions dont l’infirmière parlait. J’ai le front écorché et l’œil gauche à moitié fermé.

Le court trajet en ascenseur est éprouvant. Mes sbires s’en contrefichent. Ils me poussent dans un nouveau couloir, franchissent une porte et immobilisent le lit. Ils prononcent ensuite quelques syllabes gutturales et ressortent de la pièce.

La chambre est identique à celle que je viens de quitter. Un second lit occupe la pièce, vide cette fois.

Au prix d’un effort douloureux, je m’empare de la télécommande et allume la télé. La plupart des chaînes diffusent des séries américaines.

— Monsieur ?

J’ouvre les yeux, j’ai dû m’endormir.

La porte est ouverte.

Deux flics en uniforme font leur apparition. Mon infirmière traductrice les a précédés. L’un d’eux tient le carton dans les mains. Leurs voix résonnent dans la chambre.

L’infirmière me fait un bref topo.

— Ces messieurs sont de la police.

— Je vois.

— Ils aimeraient vous poser des questions sur l’accident.

— D’accord.

Elle écoute ce que dit l’un des flics et entame la traduction.

— Votre voiture a été détruite. Vous avez embouti un camion, le camion est sorti de la route et le chauffeur a été blessé. Il y a aussi des dégâts sur l’Autobahn, des barrières de sécurité sont abîmées et un arbre a été déraciné.

— Dites-leur que je suis assuré.

Avant qu’elle ne traduise mes propos, le flic se lance dans un mauvais français.

— Quelle vitesse rouliez-vous ?

— Je ne sais pas.

— Sur cette section, la vitesse est limitée à cent trente kilomètres-heure.

— C’est possible.

— Vous aviez bu ?

Je ne comprends pas pourquoi il me pose cette question. Ils connaissent mieux que moi les résultats des analyses de sang, cela fait sûrement partie de la procédure. J’ai un PSA au-dessus de 10, mais pas un milligramme d’alcool.

— Non.

— Il va y avoir une action en justice, il y a un blessé.

— Je paierai la contravention.

Il traduit à son collègue qui ne semble pas apprécier mon sens des réalités. Qu’est-ce qu’il attend ? Que j’aille replanter l’arbre ?

Ils m’indiquent le carton.

— Vous reconnaissez ces affaires ?

— Elles étaient dans ma voiture.

— D’où viennent-elles ?

— Ce sont des affaires de famille, je suis allé les récupérer chez mon cousin.

— À qui appartiennent-elles ?

— Ce sont des photos et de vieilles lettres qui viennent de ma tante et de ma mère, elles sont toutes deux décédées.

— Vous connaissez le contenu de ce carton ?

— J’ai jeté un coup d’œil chez mon cousin, mais je ne suis pas entré dans le détail.

Le deuxième flic sourit avec bonhomie, comme ils le font habituellement avec les suspects avant d’exhiber des preuves accablantes.

— Que comptiez-vous faire avec le contenu de ce carton ?

La plaisanterie a assez duré.

— Je suis citoyen belge, dois-je justifier mes actes et mes déplacements auprès de la police ?

Ils se regardent, échangent quelques mots.

— C’est votre tante ou votre mère qui tirait au pistolet ?

Il ne peut s’empêcher de sourire en coin, fier de sa sortie.

— Quel pistolet ?

— Il y avait un pistolet dans ce carton.

— C’était celui de mon père.

— Celui de votre père ?

— Il a été tué au Caire, en 1954, dans la tuerie du même nom. Vous allez me foutre la paix maintenant ?

Il plonge une main dans le carton et en ressort un sachet en plastique qui contient les restes de mon téléphone portable.