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— C’est tout ?

— Non, j’attends que vous me disiez bonjour, s’il vous plaît, merci et au revoir, quatre mots qui semblent absents de votre vocabulaire.

Elle tourne les talons et sort du bureau sans refermer la porte.

Redoutables baiseuses et caractère de merde.

32

Mes cubes de bois ont disparu

Ses pas résonnent dans le couloir. Elle entre dans la pièce, me sourit. La sonnerie du téléphone m’empêche de me concentrer. Elle décroche. Je perçois le marmonnement nasillard, à l’autre bout du fil.

Elle s’immobilise.

Dans quelques instants, elle va dire non. Elle le répétera plusieurs fois avant de s’effondrer lentement.

Je ferme les yeux, je me concentre.

Elle prononce le mot.

Le répète.

Lâche le combiné.

Cette fois, je l’ai perçu distinctement. Le mot n’est pas non, elle dit nein.

J’ouvre les yeux.

Mes cubes de bois ont disparu.

33

C’est très exagéré

Laura Bellini m’attend à l’heure fixée devant l’entrée de l’aéroport.

Je descends du taxi en pointant la monumentale Samsonite qui gît à ses pieds.

— Vous auriez dû prendre un bagage à main, ce genre de malle doit aller dans la soute. Nous allons perdre une heure pour la récupérer à Bologne.

Elle répond du tac au tac.

— Vous auriez dû m’envoyer un programme des festivités, j’aurais fait un tri dans mes affaires et j’aurais pris un bagage à main.

J’en reste là.

Il me faut composer avec elle. J’ai besoin de ses compétences, elle a besoin de mon fric. Clémence m’a laissé peu de chances de lui trouver un remplaçant en cette période.

J’entre dans l’aéroport pendant qu’elle se démène avec sa valise.

Je suis parvenu à apaiser les tensions.

Comme nous l’avions convenu, elle m’a téléphoné hier en fin de matinée pour faire un point sur l’état d’avancement de son travail.

— Laura Bellini.

— Qu’est-ce que ça donne ?

— Ce sont des titres de propriété, des actes notariés, des échanges de lettres entre l’acquéreur et une banque, des protocoles de ventes. Les actes notariés m’ont posé le plus de problèmes, ils sont rédigés à la main dans un jargon administratif désuet.

C’étaient les seuls documents que je lui avais fait parvenir.

Je voulais tester son expertise et son temps de réponse. Il lui avait fallu quarante-huit heures pour déchiffrer le contenu de l’enveloppe.

Compte tenu de la quantité de papiers, j’estimais que le délai était acceptable.

— Vous m’envoyez ça par mail ?

— C’est ce que je comptais faire. Pour la suite ?

— Nous partons demain matin à Bologne, rendez-vous à l’aéroport à huit heures. Mon assistante s’occupe de votre billet. Vous le recevrez dans la journée.

— Quand prévoyez-vous le retour ?

— Après-demain. En principe.

— Bien, à demain.

La tension était palpable, elle s’est dépêchée de raccrocher.

Nous faisons l’enregistrement de son bagage et passons le contrôle de sécurité sans échanger un mot. Arrivés dans le terminal, elle m’apostrophe avant de filer dans l’autre direction.

— Je vais faire quelques emplettes, je vous retrouve dans l’avion.

Je la regarde s’éloigner en pressant le pas.

Belles jambes. Joli cul.

Un homme se retourne sur son passage.

Je fais quelques achats et me dirige vers la porte d’embarquement. Je m’installe dans l’avion, déplie un journal.

Elle me rejoint au moment de la fermeture des portes. Elle remonte le couloir, s’assied à mes côtés, déplie un journal.

Les vols sur Milan étaient complets. J’ai réservé une voiture de location pour parcourir les cent quatre-vingts kilomètres qui séparent Bologne de Caprino Veronese.

Le patelin ne compte pas d’hôtel. Clémence nous a trouvé deux chambres dans un agriturismo, une sorte de bed and breakfast à l’italienne.

J’attends que nous ayons atteint l’altitude de croisière pour lui tendre la lettre que j’ai préparée.

— Vous pouvez me la traduire ?

Elle s’empare du papier sans un mot.

C’est la seule lettre dans laquelle j’ai reconnu l’écriture de ma mère. Elle est courte, moins d’une page, adressée à un certain Rudi. Elle ne comporte pas de date. Elle est écrite en allemand, ce qui m’a surpris dans un premier temps, mais je me suis rappelé que Marischa m’avait expliqué qu’elles avaient appris l’allemand à l’école.

Elle relève la tête après quelques minutes.

— Vous voulez une traduction mot à mot ou un résumé ?

— Un résumé.

— La lettre est en allemand. Elle est adressée à un certain Rudi. En allemand, les adjectifs sont invariables, mais d’après la tournure des phrases et le style d’écriture, je dirais que c’est une femme qui l’a rédigée. C’est écrit à la forme de politesse, l’équivalent du vouvoiement.

— Elle est datée ?

Elle examine le document.

— Non, elle n’est pas datée.

— De quoi parle-t-elle ?

— De tissus. La femme explique qu’elle a cherché le tissu que le Rudi en question lui a demandé pour son costume, mais qu’il est de plus en plus difficile de trouver du tissu anglais à Lemberg parce qu’il y a de moins en moins de stock et que les Juifs ne font plus de marché noir parce qu’ils sont dans les ghettos. Le seul tissu que son couturier lui a trouvé est de couleur brun foncé et coûte six cent cinquante reichsmark. Avec les accessoires, cela risque de monter à mille cinq cents reichsmark. Elle lui demande ce qu’elle doit faire, mais trouve que c’est de la folie de dépenser autant d’argent pour un costume.

Quelques lignes qui ne veulent rien dire, mais me laissent un goût amer dans la bouche.

Si elle parle de Lemberg et non de Lwów, qu’elle écrit en allemand, que les Juifs sont dans les ghettos et que les prix mentionnés sont en reichsmark, j’en déduis que cette lettre a été écrite entre 1941 et 1944, pendant l’occupation allemande.

Ma mère devait avoir entre quinze et dix-huit ans.

Que signifie cette histoire de tissus ?

Qui est ce Rudi ?

— OK.

Elle me rend la lettre.

— Ça vous aide ?

— Non.

— Dites-moi, monsieur Kervyn, vous comptez me décrire le contexte global de mon travail ou continuer à me distribuer les éléments au compte-gouttes ?

— Je vous expliquerai ce soir.

— Ça m’aiderait, merci.

Kevin m’a remis une photo du SS. Du bon boulot. Dans son costume, il a presque l’air humain.

Nous atterrissons à Bologne à onze heures. La température est de trente-six degrés. Nous sommes priés de rester assis et de patienter jusqu’à l’arrivée du bus.

La chaleur s’engouffre dans l’appareil. Un môme se met à brailler derrière moi. Il est rouge de colère et hurle dans mes oreilles.

Après quinze minutes, le bus ne s’étant pas présenté, nous nous rendons à pied à l’aérogare. Nous traversons le tarmac, escortés par une hôtesse et un homme en salopette.

Nous entrons dans le bâtiment. Il est en pleins travaux. Il fait sombre, l’air conditionné est déficient.

Bellini marque ses premiers signes d’impatience.