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Il tenta de presser la détente, mais une force intérieure l’en empêcha. Le Lüger se fit plus lourd dans sa main.

Il ressentit un trouble et crut que l’arme allait lui échapper.

La voix de Müller résonna.

— J’ai une requête à vous faire, jeune homme.

Le ton était froid, détaché.

Nathan se sentit glacé de la tête aux pieds.

— Je vous écoute.

— Je ne suis pas un lâche. Et si vous n’en êtes pas un, abattez-moi d’une balle dans le front, j’aimerais voir les yeux de mon assassin.

Nathan fit le tour de la chaise, pointa l’arme entre les yeux de Müller.

Il serra la crosse et voulut appuyer sur la détente, mais ses muscles n’obéirent pas à l’ordre que son cerveau leur donnait.

Müller le fixait dans les yeux avec dédain.

Nathan se remémora le visage de sa mère, la détresse de son père, il pensa à ses sœurs, revit les scènes d’horreur auxquelles il avait assisté.

Nicolas avança d’un pas.

— Nathan, tu veux que…

Nathan hocha la tête en signe de dénégation. Ses lèvres se mirent à trembler. Des larmes inondèrent son visage. Müller l’interpella.

— Le courage, c’est ce qui vous a toujours manqué, à vous autres, sales…

Le bruit de la détonation couvrit la fin de sa phrase.

44

La clé de l’énigme

Je pose les deux feuillets au milieu du garage, le numéro 47 à la gauche du numéro 1.

En vingt ans, j’ai testé un tas de logiciels censés m’aider à y voir plus clair dans mon enquête, depuis de simples programmes de gestion de projets jusqu’à des applications sophistiquées de mind mapping.

Je me suis posé les sept questions d’Aristote : quoi, qui, quand, où, comment, pourquoi, avec qui ? J’ai élaboré des topogrammes, dessiné des cartes mentales, développé des diagrammes d’Ishikawa, pondu des schémas heuristiques.

Perte de temps.

Au final, je suis revenu au papier, au crayon et à ma méthode personnelle.

Je prends une feuille A4 par personne. Je la numérote et j’y inscris les informations que j’ai obtenues grâce à mes recherches, mes entrevues ou mes échanges épistolaires.

Entre parenthèses, je note les hypothèses que j’ai envisagées.

Je tire ensuite des flèches qui partent vers les bords supérieurs ou inférieurs du document. À l’extrémité de celles-ci, j’inscris le numéro des personnes avec lesquelles j’ai établi un lien. Les flèches qui partent vers le haut indiquent les liens directs, celles vers le bas les rapports plus éloignés.

Lors de mon enquête, j’ai créé trois cent quarante-six fiches de ce type. Il m’est arrivé de les étaler dans mon garage. Mises bord à bord, elles forment un puzzle de vingt-quatre mètres carrés.

J’ai passé des heures à genoux, à les déplacer, à en retirer, à en rajouter, à en empiler pour composer un mystérieux domino géant.

La méthode marque rapidement ses limites. Bon nombre de flèches pointent vers plus d’une personne et m’obligent à former des tas ou à les disposer en éventail. Les manipulations sont longues et répétitives, mais le sociogramme qui s’en dégage me permet de visualiser les relations et les interactions entre les protagonistes.

Je fais un pas en arrière, considère les feuilles.

Je me suis réveillé au milieu de la nuit. Je suis monté dans ma voiture et je suis allé au bureau. J’étais à poil sous mon manteau.

Ce 21 juillet est jour de fête nationale, les employés qui faisaient la permanence ont cru que leur dernière heure était venue. J’ai traversé le plateau, pris le classeur qui contenait les trois cent quarante-six fiches et je suis reparti.

J’aurais pu recommencer à zéro et créer de nouvelles fiches, mais j’ai préféré réutiliser les pages que j’avais compulsées des centaines de fois.

Rentré chez moi, je suis descendu au garage, j’ai débarrassé le fourbi qui y traînait et j’ai installé deux lampadaires halogènes.

Le 1 est mon père.

Une cinquantaine de flèches pointent vers d’autres individus. Pour la plupart, le lien qui les unit est la mort ou les dommages corporels qu’ils ont subis le 21 août 1954 au Caire.

Le 47 est ma mère.

J’avais écrit épouse, et l’initiale de son prénom, I. Aucune flèche ne conduit vers d’autres feuillets. Plus d’une fois, je me suis demandé pourquoi j’avais créé cette fiche.

Comment ai-je pu me tromper à ce point ?

En l’espace de quatre semaines, elle est devenue le personnage central de l’affaire.

Je contemple un instant mon père et ma mère, allongés côte à côte sur le sol en béton, unis pour le meilleur et pour le pire. Je ne les ai jamais vus ensemble de mon vivant. Je repense à la photo de leur mariage. Ils avaient l’air de s’aimer.

J’ai préparé quelques nouvelles fiches en vue de l’exercice : mon grand-père, son frère Wladyslaw, ma grand-mère, Barbara, Marischa, Weigl, Feldmann, Rudi.

Je relie ma mère à ses parents et à ses deux sœurs. J’établis un pont entre Marischa et Rudolf Weigl, le biologiste avec lequel elle a travaillé. Je relie Samuel Feldmann, l’apprenti pharmacien, à mon grand-père. Je le raccorde également à mon père et note la date de la lettre qu’il lui a envoyée : 15 mars 1953.

Vient le personnage énigmatique de l’histoire, Rudi. Je lui ai attribué le numéro 354.

Rudi a un rapport avec Marischa. Il lui a envoyé une lettre en juillet 1942. Il était à Berlin. Il parle allemand. Il glorifie la patrie et le Führer. Il a un frère. Il parle de venir à Lemberg le 16.

Le 16 juillet 1942 ?

Quel événement a eu lieu ce jour-là à Lemberg ?

Je note à voir.

Je retire l’ensemble des feuilles pour ne laisser que Marischa et Rudi.

Deux ans plus tard, en juillet 1944, elle reçoit une autre lettre de sa part. Il se trouve à Alexandrie. Il lui reproche quelque chose. Il ne peut rien faire pour elle. Il a déjà assez fait pour sa famille.

En juillet 1944, les Russes reprenaient pied en Pologne, sa famille quittait Lwów, elle devait rejoindre Cracovie pour poursuivre son travail.

Quelle demande lui a-t-elle faite ? De la dispenser de son travail ? Cela correspondrait à la réponse qu’il lui a donnée.

Qu’avait-il déjà fait pour eux ?

Je prends l’enveloppe, en sors la photo du nazi et la pose sur la fiche de Rudi.

Berlin, la patrie, le Führer.

Je suis convaincu que Rudi et l’officier SS ne font qu’un.

Alexandrie est la deuxième ville d’Égypte. Elle se trouve à deux cents kilomètres du Caire.

Je retire la fiche de Marischa, la remplace par celle de ma mère. Un lien ténu la relie à ce Rudi, une lettre qu’elle lui a écrite et ne lui a pas envoyée. Une lettre anodine qui parle de tissus et de costume. Est-ce le costume dont il parle dans sa première lettre, celui qu’il voulait porter lors de l’événement du 16 juillet 1942, à Lemberg ?

Selon Bellini, ma mère ne l’aimait pas, mais le craignait.

Pourquoi avait-elle peur de lui ?

Qu’y a-t-il eu entre eux ?

La réponse à ces questions me donnera à coup sûr la clé de l’énigme.

45

Dans le couloir

Fin de non-recevoir, une porte se ferme, la semaine commence mal.

Karl Susfeld est un homme très occupé, il ne reçoit pas les journalistes, il n’a pas le temps de discuter avec un pseudo-auteur de récits historiques et a autre chose à faire que d’écouter un inconnu qui a un service à lui demander.