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— Tu dois quitter l’organisation, Éva. Je suis désolé de devoir te l’apprendre. Tu as changé depuis que tu es enceinte. Nous ne t’en tenons pas rigueur. Le travail que nous effectuons n’est pas une tâche pour une jeune mère de famille.

Il se tourna vers Nathan.

— Qu’elle devienne ta femme, qu’elle vienne vivre avec toi à Karlsruhe et élève tes enfants, nous pouvons vous fournir un logement et lui trouver un travail, si tu le souhaites.

Nathan masqua son trouble.

Il ne faisait aucun doute que la décision était irrévocable et qu’Éva n’avait pas droit à la parole. La décision d’Aaron avait du sens, mais il ne pensait pas que l’état d’esprit d’Éva s’était manifesté aussi clairement et que son éviction surviendrait aussi rapidement.

Nathan se tourna vers sa compagne.

Elle était songeuse. L’annonce de cette décision l’avait prise au dépourvu, mais elle paraissait soulagée.

Après un moment, elle sortit de son mutisme et exprima le fond de sa pensée.

— Après tout, c’est mieux ainsi. Je préfère donner la vie plutôt que d’infliger la mort.

La phrase était ambiguë.

Aaron tiqua.

— Que veux-tu dire, Éva ?

Ses yeux s’embrumèrent.

— Ces derniers temps, je me suis demandé plus d’une fois si nous ne faisions pas fausse route. Le sang de nos bourreaux, c’est du sang d’homme. Nous nous arrogeons un droit qui ne nous appartient pas. Seul Dieu a le droit de juger et de prendre une telle décision.

Nathan voulut intervenir, mais Aaron l’arrêta d’un geste.

— J’ai senti que ta conviction était ébranlée, mais ne t’égare pas. Tu sais où se trouvent à présent la plupart des SS dont j’ai cité le nom ? Tu sais ce que font aujourd’hui les assassins qui ont massacré nos enfants ? Tu sais ce que fait en cet instant Zepf, l’homme qui attrapait les enfants par une jambe, les brandissait comme une hache et leur fracassait la tête contre le sol ?

Sa voix s’était mise à trembler.

Éva se leva.

— Je suis désolée, Aaron, mais je ne veux plus entendre ce genre de récits. Comme vous, j’ai perdu des parents et des amis dans les camps. J’en souffre tous les jours et j’en souffrirai encore longtemps, peut-être jusqu’au dernier jour de ma vie. Mais j’estime que la grandeur de l’homme, ce qui le différencie de l’animal, se mesure à sa capacité à oublier et pardonner.

Aaron frappa du poing sur la table.

— Non, Éva, tais-toi ! Pour ces monstres, il n’y aura ni oubli ni pardon.

47

Un rôle dans votre affaire

— Elle sent le brûlé, votre voiture.

— J’en ai pris livraison il y a deux heures.

— Je ne savais pas qu’il était recommandé de rôder ce type de véhicule à plus de cent soixante.

— Je conduis depuis plus de trente ans, je sais ce que je fais.

— Je n’en doute pas, mais je me suis laissé dire que vous aviez plié votre précédent bolide dans des circonstances similaires. Vous seriez aimable de ralentir ou de me déposer à la gare la plus proche.

Je lève le pied.

— On vous a déjà dit que vous étiez une emmerdeuse ?

Elle réprime un sourire.

— Jamais, mais je ne fréquente que des gens bien élevés. Si vous étiez pressé, il fallait opter pour le train. Nous serions déjà à Paris si nous avions pris le Thalys.

— Je déteste le métro, la populace et les taxis hors de prix.

Elle lève les yeux au ciel.

— J’avais oublié, agoraphobe et radin.

Un adage dit qu’une journée de merde commence dès le matin. Il ne précise pas s’il en est de même pour une semaine.

Lundi, peu après avoir envoyé mes instructions à Jean-Charles, il m’a appelé pour m’informer que Claudine avait mis un avocat sur l’affaire. Il en a profité pour me suggérer d’attendre quelques jours avant de virer Christian.

À mon tour, je lui ai suggéré de clarifier sa position.

— Qui commande dans cette boîte, toi ou l’avocat de Claudine ?

Le soir, je suis allé chez Thierry. Il avait reçu les résultats de l’échographie.

Il a pris l’air embarrassé en consultant les documents.

— Je viens de les recevoir.

— Ne tourne pas autour du pot, tu connais ces résultats par cœur, crache le morceau.

Il a ôté ses lunettes.

— Tu as une tumeur cancéreuse dans une forme agressive, elle a touché les vésicules séminales. Tu dois subir une intervention chirurgicale.

Ce n’était qu’une demi-surprise.

— Sinon ?

— Il n’y a pas de sinon, Stanislas, ne joue pas au héros. Si tu ne te fais pas opérer, ta tumeur va atteindre d’autres organes, la vessie, les intestins, sans compter les métastases osseuses. Je vais t’envoyer chez un chirurgien, c’est lui qui décidera quel type de prostatectomie il faut faire.

— Et après ?

— Commençons par l’intervention, on verra pour la suite. Autant te le dire franchement, il ne faut pas tarder.

— Que disent les statistiques ?

Il a soupiré.

— En règle générale, quatre-vingts pour cent de chance de guérison quand la tumeur est isolée. Trente pour cent quand elle s’est étendue.

— Et après ? Pour la baise ?

Il a grimacé.

— Ce genre d’intervention est bien maîtrisée, les complications sont plutôt rares, mais je ne te cache pas que ça peut entraîner des problèmes d’incontinence ou une impuissance définitive.

Je me suis levé.

— Je vais réfléchir.

Il était dépité.

Bellini indique un panneau routier.

— Vous pourriez vous arrêter là quelques minutes ? J’ai soif et j’aimerais passer aux toilettes.

Je consulte l’heure.

— Comme vous voulez, mais nous risquons d’arriver en retard, surtout à l’allure que vous m’imposez.

— S’il le faut, j’appellerai l’assistante de Karl Susfeld pour l’informer que nous aurons un peu de retard. À moins que vous ne préfériez vous en charger vous-même.

Je ne relève pas.

Hier matin, je suis passé au bureau.

Clémence s’est levée dès qu’elle m’a vu arriver. J’ai tout de suite compris que quelque chose ne tournait pas rond.

— Je peux vous parler, Stanislas ?

— Dans dix minutes.

Quinze minutes plus tard, elle a frappé à la porte, ce qu’elle n’aurait jamais fait en temps normal.

— Je peux vous parler maintenant ?

— Allez-y.

Elle est restée debout, près de la porte, avec le même air crispé que Thierry.

— Voilà, Stanislas, je voulais vous dire que j’ai pris la décision de vous remettre ma démission.

Dans ce sens-là, c’est plutôt rare.

Après l’assignation de l’avocat et l’annonce de mon cancer, le déroulement de ma semaine obéissait à la loi qui prétend qu’un événement désastreux en entraîne inéluctablement d’autres à sa suite.

Je prends la bretelle, passe la station-service et me gare au parking. Laura sort de la voiture et se précipite à l’intérieur. Je la suis de près et prends deux cafés au distributeur.

Elle me rejoint quelques minutes plus tard, recoiffée, remaquillée, nappée dans un nuage d’eau de toilette.

Elle regarde le gobelet de café d’un air pincé.

— C’est gentil, mais à cette heure-ci, je préfère un jus de fruits ou un verre d’eau, le café m’empêche de dormir.

Je me contente de soupirer.

— Je vais vous chercher ça.

Clémence est de loin la meilleure assistante que j’ai eue dans ma carrière.