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Elle semblait désemparée de m’annoncer cette décision. Je l’ai observée un moment. Elle se balançait d’un pied sur l’autre en se tortillant les mains.

— C’est noté, Clémence. Pourquoi démissionnez-vous ?

Elle était au bord des larmes.

— Certaines choses ont changé dans ma vie. J’ai rencontré quelqu’un il y a six mois. Nous comptons vivre ensemble.

Je savais qu’elle avait été mariée et qu’elle était divorcée, mais je ne savais pas qu’elle avait rencontré quelqu’un d’autre.

J’aurais dû la baiser.

J’ai complété sa phrase.

— Et avoir des enfants. Ce qui est arrivé à Claudine a joué dans votre décision ?

— Pas seulement. J’ai adoré travailler avec vous, Stanislas. J’ai beaucoup appris à votre contact. Maintenant, j’ai envie de faire autre chose, de prendre du temps pour moi et d’investir dans ma relation.

J’aurais pu lui proposer un horaire à temps partiel, elle aurait accepté.

— Comme vous voulez.

Elle a tourné les talons.

Avant qu’elle ne sorte, je l’ai rappelée.

— Vous allez me manquer, Clémence.

Elle s’est mise à chialer.

Elle est revenue dans le bureau et s’est assise. Petit à petit, elle s’est calmée. Ensuite, elle m’a regardé, a hésité quelques instants avant de me poignarder.

— Stanislas, je suis au courant de ce qui est arrivé à votre père et je sais ce que vous avez enduré après la mort de votre femme, mais arrêtez d’en vouloir à la terre entière, ne cherchez pas à punir ceux qui vous entourent et réconciliez-vous avec vous-même.

Elle est sortie, a refermé doucement la porte.

Bellini avale une gorgée d’eau, me tire de mes pensées.

— Si vous comptez loger à Paris, vous devrez me déposer à la gare, je n’ai rien avec moi et je compte rentrer à Bruxelles ce soir.

— Vous n’avez pas besoin de grand-chose.

Elle prend l’air faussement intrigué.

— Ah bon, pourquoi ?

— Nous pourrions aller à l’hôtel et nous offrir un peu de bon temps. Ça vous dirait de baiser avec moi ?

Elle éclate de rire.

— Vous me faites rire. Bon, soyons sérieux, regardez ça.

Elle fouille dans son sac, en sort une photo.

Je néglige d’y prêter attention.

— Comment faites-vous quand vous avez envie de baiser ?

— Je n’ai jamais envie de baiser, comme vous dites si joliment. Il m’arrive d’avoir envie de faire l’amour. Dans ce cas, il faut que l’homme me plaise et qu’il soit compatible.

— Qu’entendez-vous par compatible ?

— Compatible. Différent de la plupart des hommes, ni prévisible ni basique.

— Prévisible ?

— Je savais que vous alliez me proposer de baiser avant même que vous ne me posiez la question.

— Vous trouvez que les hommes sont prévisibles et basiques ?

— Prévisibles, basiques et puérils. Regardez cette photo.

Je jette un coup d’œil à la photo.

Je la reconnais sans peine. Elle représente les trois fillettes, alignées par ordre d’arrivée. Marischa, Barbara, ma mère.

Ma mère doit avoir deux ou trois ans. Elle porte une robe claire à petites fleurs et un grand nœud dans les cheveux. Les deux aînées sont en tenue d’écolière, jupette plissée blanche, blouse blanche et col marin. Marischa et Barbara tiennent un chat dans les bras, ma mère son ours en peluche.

— Et après ?

— Regardez. Elles portent toutes trois le même pendentif, cette perle noire dont je vous ai parlé. Ce devait être un cadeau de naissance. La lettre « M » est gravée sur le fermoir de celui qu’il y avait dans les affaires. C’est sans doute celui de votre tante.

— Je n’ai jamais vu ce bijou. Ma mère a dû perdre le sien.

Elle me dévisage.

— Une autre différence entre les hommes et les femmes est la fulgurante intuition féminine dont la nature m’a généreusement pourvue. Ne me demandez pas comment ni pourquoi, mais mon intuition me dit que ce bijou tient un rôle dans votre affaire.

48

La veille

Le cabinet de Karl Susfeld est situé dans une rue à sens unique qui débouche sur les Champs-Élysées. L’élégance de l’immeuble est occultée par la boutique de prêt-à-porter qui squatte le rez-de-chaussée.

Un stagiaire nous accueille, nous pilote dans les couloirs et nous fait entrer dans un bureau.

La pièce est spacieuse. Le mobilier semble sortir d’un château du XIXe siècle : table de travail en acajou, tapis d’Orient, fauteuils aux pieds filiformes. Un portrait du président de la République occupe l’un des murs.

Susfeld flirte avec les quatre-vingts berges, mais en paraît vingt de moins. Il affiche l’embonpoint et la mine radieuse du bon vivant décontracté. Les touffes de cheveux blancs qui encadrent son front hâlé ajoutent à son allure de vieux séducteur.

Il s’empare de la main de Laura, y appose un baisemain.

— Madame Bellini, je suis très heureux de faire votre connaissance.

Le regard qu’il promène sur ses courbes confirme mes a priori.

Laura minaude et me présente avec sobriété.

— Je vous présente Stanislas Kervyn.

Il incline la tête.

— Très honoré, monsieur Kervyn. Mon assistante m’a parlé de vous.

— J’étais de mauvaise humeur.

Bellini renchérit.

— Ça lui arrive de temps en temps.

Il fait une grimace.

— Moi aussi, ça m’arrive de temps en temps.

D’un geste théâtral, il nous indique les fauteuils.

— Prenez place. Que puis-je faire pour vous ?

Laura me devance et entame le compte-rendu de mes tribulations. Elle évoque la mort de mon père dans la Tuerie du Caire, mon enquête, le bouquin qui a suivi, l’émission de télévision et le témoin de dernière minute.

Susfeld pose son menton dans ses mains, l’écoute avec recueillement, le regard conquérant, le sourire enjôleur.

Lorsqu’elle retrace l’histoire de Marischa, le travail obligatoire, la ville de Lwów, Rudolf Weigl et la photo du SS, son sourire s’estompe et ses prunelles s’enflamment.

L’instinct du chasseur prend le dessus.

Il attend qu’elle ait terminé avant d’intervenir.

— Vous avez la photo de cet homme ?

Je la sors du porte-documents posé à mes pieds.

Il la prend, chausse une paire de lunettes et l’ausculte sous toutes les coutures.

— Ça ne me dit pas grand-chose.

— Et celle-ci ?

Je lui présente la seconde, celle où Kevin lui a mis un costume.

Il analyse le cliché.

Lorsque l’examen est terminé, il se lève.

— Suivez-moi.

Il sort du bureau, le nez sur la photo.

Laura lui emboîte le pas, je ferme la marche. Il parcourt le couloir à grands pas, franchit une porte dérobée située au fond de celui-ci.

Nous empruntons un escalier de service et gagnons l’étage supérieur. Un couloir s’ouvre devant nous. Susfeld s’arrête devant la seconde porte, extrait un trousseau de clés de sa poche et nous ouvre le passage.

Les stores sont baissés, la pièce est plongée dans la pénombre. Nous entrons à l’aveuglette.

Susfeld actionne l’interrupteur.

De puissants luminaires éclairent les lieux. La pièce est aussi vaste que son bureau. Une rangée d’armoires métalliques longe l’un des murs. Trois plans de travail équipés de Mac dernier cri sont disposés en triangle au centre de la surface. Des centaines de photos sont affichées de toutes parts. Des fiches signalétiques sont épinglées sous chaque cliché.