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— Une chose est très particulièrement stupéfiante, rêvasse-t-il, c’est la disparition de ce cadavre de l’homme au charnier. Je suppose, en fait, mon cher confrère, que c’est vous qui l’avez mis en lieu sûr, n’est-ce pas ?

Sa réflexion me choque !

Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que je le berlure pour le plaisir ? L’emmène en barque, ce vaillant fils d’Albion ?

— Mon Dieu, monsieur le superbe intendant, rétorqué-je, votre réflexion me déconcerte. Pour quelle raison prétendrais-je qu’on m’a volé ce cadavre si ce n’était pas vrai ?

— Peut-être parce que la carcasse de cet homme présentait un intérêt brûlant, non ? Allons, mon cher collègue, ne me faites pas de cachotteries, ce n’est guère gentil. Notre collaboration doit être empreinte de la plus totale franchise pour être efficace.

Du coup il commence à m’arpenter les boules de gomme à l’allure d’un fantassin morpion en permission, Fouketts. Je hais qu’on mette mes dires en doute. Surtout quand je ne mens pas. La plupart des gens, tu remarqueras, c’est quand on doute de leurs mensonges qu’ils se foutent en pétard. Ben, moi, Grain de Courge, c’est quand on prend mes vérités pour du toc.

— Écoutez, Fouketts, je n’ai pas l’habitude qu’on mette ma parole en doute. Je vous affirme que ce sont les gars de la bande Himker qui m’ont barboté le corps de Merdanflak, un point c’est tout !

Le policier hoche la tête.

— Il est incorrigible, soupire-t-il.

Et sais-tu ce qu’il fait ? Non, je te laisse pas deviner : on serait encore là mardi prochain, et faut que j’aille chez le dentiste.

Il prend dans le gousset de son gilet un petit truc nickelé, ou p’t-être bien chromé, et le porte à sa bouche. C’est un sifflet. Il émet un seul son, mais terriblement aigu. J’en ai les feuilles qui biscornent de l’intérieur.

Presqu’illico[10], la porte du révérend s’ouvre en force et trois mecs armés bondissent dans la pièce. Parmi eux, non mais tiens-toi bien, car tu te laisserais choir : le vilain Krakzecs, Bulgare de son état et chauffeur-mitrailleur par amour de lard.

Écoute, julot : je viens de potasser le Robert pour chercher des synonymes à « sidérer ». J’ai trouvé qu’ « abasourdir » et « stupéfier », ce qui est d’une faiblesse crasse pour exprimer l’intensité de ce que j’éprouve. C’est de la liqueur de vocabulaire, ça. Du sirop de syllabe. Me faut donc inventer un terme susceptible de m’assouvir la sidérante et abasourdissante stupeur. Ce que je suis, à cet instant ? Eh ben, tiens, je suis « craouchte ». T’entends, Dunœud ? « Craouchte ».

Et je pèse mes mots.

Oh, naturliche, je ne mets pas des années à piger que je suis l’objet d’une machination, comme on dit dans la prose sous cellophane.

Bité jusqu’à la garde, enviandé de première. Couillonné à toute extrémité. Niqué. Zobé. Plumé. Misé. Quoi encore ? T’en veux d’autres ? Oh, et puis merde, t’as qu’à chercher toi-même avec ta cervelle en accordéon.

Le révérend a dégainé un Lüger de son paletot. Kasleen se marre comme une follingue. Le superintendant conserve son bras droit contre son buste, comme s’il soutenait un portefeuille de garçon de recettes. À ce propos, tu te rends compte qu’il n’y a pas si longtemps encore, les encaisseurs se baladaient dans la rue en uniforme, leur sacoche sous le bras ? Seulement ils ont fini par comprendre que de nos jours on n’allait pas loin avec dix ou vingt briques. Alors ils se sont déguisés en parfaits anonymes, ce qui vaut mieux pour leur larfouillet et leur santé.

De cette façon, quelques-uns parviennent à atteindre la retraite.

Ou pour le moins, le coin de la rue.

Or, donc (conjonctionné-je) j’entrave le ciné de ces gens-là. Je pige une foule de choses importantes : par exemple que tout l’îlot est occupé par la bande. Je réalise aussi que ça n’est pas eux qui m’ont fauché le corps de Merdanflak. Je comprends qu’ils tiennent à le récupérer ABSOLUMENT. Ils pensent que c’est moi qui l’ai planqué et m’ont joué cette ravissante saynète bouffonne pour tenter de m’arracher la vérité par la ruse. Je me rends parfaitement compte que l’avenir qui se prépare est plus merdatoire que des chiottes de gare régulatrice en période de mobilisation générale. Car, du moment que cette idée d’un San-Antonio receleur d’adjoints défunts est ancrée dans leur bulbe, ils vont revenir aux grands moyens, comme tantôt dans la cuve à anchois.

Tu risques de la sentir passer, baby.

Gare à tes plumes !

XVI

C’est pas la première fois qu’une petite poulette me double. Leçon de modestie, mon frère. D’humilité. Ça te ramène l’orgueil à zéro. Et puis, te l’avouerais-je ? Je me dis que ça m’apprendra à faire du contrecarre à Zoé. In petto, comme causent les anglo-italiens, je vois dans la trahison de Kasleen une espèce de rédemption. On aura un chouette avenir, Zoé et moi. On sera heureux. Avec pas beaucoup d’enfants. Bien, parfait, mettez-m’en six caisses avec robinet. Seulement, pour pouvoir déguster l’avenir, il faut se dépatouiller du présent, et ce ne sera pas commode.

Cette forêt de mitraillettes qui me cernent ne m’émeut pas outre mesure. Je pense que ces tordus sont tellement certains que je leur cache le cadavre, et ils tiennent tellement à me faire dire où je le planque, qu’ils se garderont bien de me buter pour l’instant.

Tu vois, le nœud gordien (comme on dit vulgairement) de cette affaire, c’est l’instant démentiel où j’ai eu l’idée aussi sotte que grenue d’embarquer le cadavre dans ma propre tire, l’autre noye. Suis leur raisonnement : ce cadavre leur est indispensable. Je l’enlève. Ensuite je fais semblant de les faire chanter. Tu comprends bien qu’après ça, pas un instant ils ne doutent de ma culpabilité. J’ai beau, par la suite, jurer sur mon honneur de flic-Bayard, sans peur et sans trop de reproches, que j’ai agi de la sorte pour les démasquer, tu penses qu’ils s’en tapotent la jugulaire, ces braves ! Comment leur faire admettre que j’ai agi d’INSTINCT, exactement comme un homme INFORMÉ ? Là est le prodige san-antonien. La démonstration absolue de son don de flic, par l’absurde.

J’ai cravaté un corps, et, au lieu de confondre les meurtriers, moi, grand flic, j’ai amorcé une opération chantage. Elle tourne court. Là-dessus le cadavre disparaît. Je crois qu’ils l’ont récupéré, mais il paraîtrait que non. Et eux, de leur côté, ne doutent pas un instant que je l’aie mis au frais (nécessairement). Tu te rends compte d’un salmigondis !

Cela dit, il représente quoi, une fois mort, ce Merdanflak ? Il a gobé les bijoux de la couronne d’Angleterre avant de canner ? Ou bien on lui a tatoué sur la fesse gauche la formule d’un nouveau missile absolu terre à terre ou solstice ? Voilà qui serait intéressant à découvrir. Amusante, l’énigme, non ? Un bistrotier de banlieue, honorablement connu, puisqu’il est le premier adjoint de sa commune, occupe ses loisirs à faire dissoudre des cadavres d’Arabes. Les gens de son organisation (ou d’autres, après tout ?) tentent de le faire disparaître de façon détournée. Leur plan échoue. Apprenant qu’on a tenté de le liquider, le bistrotier vient au renaud auprès de la bande. On le bousille brutalement et on emporte son corps. Pourquoi prendre un tel risque ? À compter de cet instant, le San-Antonio se met à brouiller les brêmes, manière de faire joujou, et c’est l’effarement de la bande, le sauve-qui-peut, les cellules qui s’affolent… Le cadavre disparaît de l’auto du commissaire bien-aimé. Qui l’a volé ? Pour le conduire en quelle morgue ? Personne ne sait plus rien, ni d’un côté ni de l’autre, tout le monde se soupçonne. Tout le monde se tient par la barbichette ! Insensé, hein ?

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10

Vient du mot presqu’île. Et y retourne.