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— Je ne vais pas vous le dire, puisque vous l’avez deviné, monsieur le directeur, le pourléché-je. Il faut dire que l’émir Ben Baaskulante connaissait parfaitement notre pays où il avait fait ses études et où il séjournait une grande partie de l’année ! Le surprenant, je vous l’accorde, c’est qu’il se soit reconverti dans l’hostellerie de banlieue, mais peut-être rêvait-il de cela quand il était monarque ? Il se piqua tellement au jeu qu’il s’intéressa aux affaires de sa commune et devint conseiller municipal.

J’éclate d’un franc rire :

— Le seul émir, à ma connaissance qui soit adjoint à un maire de l’Île-de-France !

Le Dabe fait chorus, ce qui n’engage que lui.

— La suite, mon petit, implore-t-il.

J’adore quand il est tout mutin, le vioque. Tout tendre, d’une gentillesse guillerette. Je suis son « petit », son chouchou, son préféré. Il me couve du regard, comme une maman qui voit pour la première fois son grand garçon en tenue de Saint-Cyrien.

— Himker et l’émir fondèrent alors une espèce d’association qui devait par la suite prendre un grand développement.

— Quelle genre d’association ? mélodise le Vénérable (de lièvre).

— Elle concernait le pétrole. Vous n’ignorez pas que l’émirat (des champs) de Kivivrâvérâh est un des plus gros producteurs du Moyen-Orient ?

— Certes !

Jolie tournure de phrase, que « Certes ». C’est bref, distingué comme un rond de jambe, ou deux ronds de flan, et ça évite des commentaires fastidieux. Je devrais l’utiliser plus souvent.

— Ben Baaskulante, en sa qualité d’ancien monarque d’un pays possédant d’immenses gisements, était initié à tous les secrets concernant le pétrole arabe. Il connaissait les tenants et aboutissants des marchés les plus occultes, des tractations les mieux cachées, de tous les accords effectifs ou en devenir. Vous le savez mieux que quiconque, monsieur le directeur, mais les secrets sont des armes redoutables pour qui sait les manier. Et Himker sut admirablement utiliser ceux de l’émir Ben Baaskulante.

— Chantage ?

— Cela le devint progressivement, surtout quand un étrange couple entra dans la vie du vieux bougre : Dora et Aldo Von Schuppen, les jumeaux du diable qui avaient mis au point un numéro de music-hall étonnant. Himker tomba amoureux de Dora qui se fit promptement épouser. Elle intrigua bientôt pour que son riche mari fasse une situation au frère en chômage. Himker consentit à prendre Aldo avec lui. Ce dernier devint son secrétaire particulier, très particulier et déploya une grande compétence dans les missions dont son beau-frère le chargea. Au point qu’une fois initié à ses affaires, il prit barre sur le vieux avec l’aide de Dora. En quelques années, Léopold Himker, bien « conditionné et médicamenté » par les jumeaux, ne fut plus qu’un nom, une raison sociale sous le couvert de laquelle Dora et Aldo donnèrent libre cours à leur formidable appétit de fric. Il fut relégué dans sa chambre jusqu’à l’autre nuit où on l’y assassina proprement, en forçant les doses de calmants que ses « proches » lui administraient quotidiennement.

— Je vois, dit le Vieux.

Ça aussi, c’est de la fine expression de belle qualité. Délicatement posée dans le monologue d’un quidam, elle lui donne du rythme, de l’impulsion. Du moment « qu’il voit », je peux poursuivre. Mais il ne m’en laisse pas le temps. La faim de savoir vite, de tout savoir, l’empare.

— Le charnier, le charnier, San-Antonio ?

— Des organisations secrètes arabes ayant eu vent que l’émir Ben Baaskulante n’était point mort, le firent rechercher. Le sieur Merdanflak, qui tenait farouchement à sa tranquillité et aussi à sa peau, n’ayons pas peur des mots, l’apprit et supprima purement et simplement tous les Arabes venus draguer dans son espace vital. Une espèce de maladie de la persécution. Dès qu’un Arabe débarquait chez lui et lui semblait suspect, il le trucidait et le jetait dans son puits. Procédé un peu sommaire, j’en conviens, ces mœurs barbares étaient héritées de sa dynastie, sans doute. Il constitua donc, au fil des ans, ce gentil charnier dont peut-être aucun des « membres passifs » ne lui voulait le moindre mal.

— Seigneur ! exclame élégamment le Tondu.

Et, goulu toujours, il passe d’un charnier à l’autre.

— L’île de Godmichey, San-Antonio ; l’île de Godmichey ?

— Ceci est une autre histoire, monsieur le directeur (de l’île de Sein), je vous ai dit plus haut, si vous voulez bien vous donner la peine de me relire à partir du chapitre vingt et un, que l’association Himker-Merdanflak allait connaître par la suite un grand développement. Ce furent les jumeaux qui le lui apportèrent en devenant des membres influents du B.I.T.A.U.C.U.L., cette association secrète, sorte de remake de la Mafia, qui groupe ce que l’on pourrait appeler les rois du pétrole. Une franc-maçonnerie surpuissante, monsieur le directeur. Qui eut à faire face, dernièrement, à un grave problème dont les conséquences pouvaient être dramatiques pour elle.

— Vraiment ! interjecte Mister Dirluche.

— Jugez-en, monsieur le directeur : une découverte a été faite, d’une importance mondiale : il est possible de fabriquer du pétrole synthétique à partir de l’eau de mer !

— Quoi !

— Parfaitement.

— Non ?

— Si !

— Sûr ?

— Certain.

— C’est impossible !

— Ça l’est !

— Ça alors !

— N’est-ce pas ?

— On croit rêver !

— Eh bien non !

— J’en suis…

— Je l’ai été aussi.

— Mais alors ?

— C’est exact !

— L’avenir…

— Oui.

— Tout…

— Tout !

— C’est dingue !

— Dingue !

— Je…

— Pareillement !

— Bon, alors ?

— Alors, voilà…

Alors, tu vois, là je lui raconte que le B.I.T.A.U.C.U.L. ayant été informé de cette découverte a immédiatement pris les grandes mesures qui s’imposaient. Car, tu penses que si on se met à confectionner du pétrole avec de la flotte, c’est plus la peine de se casser l’oigne à creuser des puits et à bâtir des derricks.

Surtout au moment où « l’or noir » vaut plus cher que l’or jaune !

Finito le joyeux commerce des barils, le ballet marin des pétroliers, les pipes de Line, les actions en bourse. C’est la ruine, nette, sans bavure, instantanée.

Pas de ça, ma Lisette ! Oh que non ! Oh que non non non ! Mobilisation générale ! Achtung ! Tout le monde sur le bridge ! Feu à volonté !

Avant tout, s’assurer un endroit perdu, désert, propre aux plus louches perpétrations : l’îlot de Godmichey ! Un vrai beurre ! On y rabat tout ce qu’on parvient à déplacer de gré chez l’ennemi, sous des prétextes variés ou avariés. Une fois insulaire, le tueur de vrai pétrole est un homme mort. Sa carcasse est ensuite emballée et expédiée à d’autres chercheurs, pour l’exemple. Car rien n’est plus déprimant que de recevoir le cadavre d’un confrère lorsqu’on te demande de changer de métier. Ceux dont on a pas pu se saisir ont leur môme enlevé pour qu’ils se tiennent tranquilles. Du travail sérieux, ainsi que tu peux le constater. Radical. D’envergure. Le B.I.T.A.U.C.U.L. procède à un monumental nettoyage. Il neutralise les chercheurs, leurs commanditaires, s’empare des formules, fait sauter les laboratoires.

— Vous avez des noms ? demande le Vieux.

— J’en ai, Patron. Ils vous surprendront. Vous n’en croirez pas vos yeux lorsque vous verrez qui appartient au B.I.T.A.U.C.U.L.

J’attrape son bloc, son beau porte-mine si majestueux qu’on dirait un bâton de m’sieur-l’agent. J’écris des blazes. Je préfère. Tellement ils sont énormes, j’ai peur de les prononcer, tu te rends compte ?