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— J’ose espérer que la race de la victime n’influe pas sur le verdict. Dale continue de scruter Frank, puis il laisse tomber :

— Pourtant, c’est le cas.

— Écoutez, je dois trouver de toute urgence quelqu’un pour défendre Hask. J’ai appelé Janet Reno qui m’a dit que vous étiez le mieux placé pour ça. Maintenant, si vous n’êtes pas intéressé…

— Je n’ai pas dit ça. Mais je tiens à m’assurer que c’est bien une affaire pour moi et que vos attentes sont raisonnables. Je reçois une centaine de propositions par jour et les décline presque toutes.

— Je sais. On vous a proposé de faire partie de la « Dream Team » qui a défendu O. J. Simpson.

— C’est vrai. Et j’ai passé mon tour.

— Pour quelle raison ?

Durant quelques secondes, Dale paraît se demander si cela vaut la peine de répondre.

— Trop de fortes individualités. Ce n’est pas comme ça que je travaille. Mes clients paient pour m’avoir moi – moi et un de mes associés comme seconde chaise. Si le procès Simpson a duré aussi longtemps, c’est en partie parce que ces messieurs de la défense tenaient à occuper le devant de la scène chacun à tour de rôle.

— Il va de soi que vous auriez toute latitude pour choisir vos collaborateurs.

— Vous venez de mentionner l’affaire Simpson, reprend Dale après un instant de silence. Permettez-moi de vous poser une question. À votre avis, pour quelle raison Simpson a-t-il été acquitté ?

Frank se mord la lèvre, visiblement soucieux de fournir une réponse diplomatique.

— Pour des magouilles judiciaires, lâche-t-il enfin.

— Votre opinion est qu’il a bien tué Nicole Brown et Ronald Goldman ?

— Évidemment.

— Croyez-vous que justice ait été faite ? Frank secoue la tête.

— Dans ce cas, vous allez devoir trouver un autre avocat. Ma secrétaire vous remettra une liste de confrères.

Dale s’arrache à grand-peine de son fauteuil et tend sa grosse paluche à son interlocuteur.

— On ne se débarrasse pas aussi facilement de moi, Mr Rice, riposte Frank sans se lever. Si vous pensez que je fais erreur, dites-moi au moins pourquoi.

Au naturel, Dale a déjà l’air renfrogné. Mais quand il est contrarié pour de bon… Il se rassoit néanmoins, arrachant des protestations à son fauteuil.

— Lors du procès Simpson, explique-t-il, les délibérations ont duré à peine quatre heures. Vous savez pourquoi ? Parce que le verdict coulait de source.

— Ah bon ?

— Évidemment. Le jury n’avait à répondre qu’à une seule question : existe-t-il un doute raisonnable quant à la culpabilité de Simpson ? La réponse était oui. Comme vous, la plupart des Blancs attendaient qu’on leur dise si Simpson était ou non coupable. Mais cela, ce n’est pas aux jurés d’en décider. Tout ce qu’on leur demande, c’est s’il existe un doute raisonnable. Dans ce cas précis, les raisons de douter étaient légion. Prenez le faux témoignage de Mark Fuhram, le soupçon qui pesait sur lui d’avoir fabriqué des preuves, la présence d’acide édétique dans les échantillons de sang de Simpson, la possibilité d’une contamination de l’ADN, les gants qui n’étaient pas de la bonne taille, et cætera.

Devant le silence de Frank, Dale reprend :

— Pour toutes ces raisons, Simpson méritait d’être remis en liberté. Cela n’a rien à voir avec des magouilles.

— Ah ? fait Frank d’un air peu convaincu.

— Johnnie, Lee et les autres n’ont pas accompli de miracle ; ils ont juste mis en lumière les éléments de doute. N’importe quel avocat digne de ce nom en aurait fait autant. Est-ce cela que vous cherchez, docteur Nobilio ? Un faiseur de miracles ?

— Pardon ?

— Existe-t-il un doute raisonnable sur la culpabilité de votre alien ? Frank lève vers Dale un regard interloqué.

— Bien sûr que oui ! Il est impossible que Hask ait commis ce meurtre.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Eh bien…

— Je vous ai vu dans Nightline il y a une quinzaine de jours, le coupe Dale. Vous disiez que du fait de leur avance technologique, les Tosoks nous étaient forcément supérieurs sur le plan moral. Parce qu’ils avaient surmonté leur crise d’adolescence.

— C’est exact. Et je n’ai pas changé d’opinion.

— Monty Ajax n’aurait jamais engagé de poursuites s’il n’avait pas la certitude de tenir là une affaire exceptionnelle, objecte Dale.

— Je… Sans doute avez-vous raison, lui concède Frank.

À voir son expression, il est évident que l’idée de la culpabilité de Hask ne l’avait pas effleuré jusque-là.

— Si votre alien est coupable, il est probable qu’il sera condamné, reprend Dale. Ici, ce n’est pas le Los Angeles de Perry Mason : le DA est gagnant dans quatre-vingt-dix pour cent des cas.

— Tant que ça ? s’étonne Frank.

— N’oubliez pas que les district attorneys sont élus, docteur. Vous croyez que les gens continueraient de voter pour un loser ? Si je vous dis ça, c’est pour vous engager à être réaliste. Si votre Hask a prémédité et commis ce meurtre, il est vraisemblable qu’il écopera du maximum.

— Impossible. Il faut à tout prix qu’il soit libéré.

— Je ne peux rien vous promettre. Et à supposer qu’il soit coupable et que la police n’ait pas enfreint ses droits, il n’y a pas de raison qu’il soit libre.

— Mais bon sang, comprenez que c’est le premier contact que nous ayons avec des aliens… Je n’ose même pas imaginer ce qui pourrait arriver si les choses tournaient mal. Tout à l’heure, vous m’avez pris au dépourvu avec votre question. Si je suis venu vous trouver, ce n’est pas parce que vous êtes noir mais à cause de votre carrière. Dans tous les cas que vous plaidez, qu’il s’agisse des droits des minorités ou d’attaquer des lois iniques, l’enjeu dépasse toujours le cadre strict de l’affaire. C’est pour ça que je tiens à vous avoir, vous.

Dale s’abîme dans ses réflexions. Son visage ne trahit aucune émotion et seul le sifflement de sa respiration trouble le silence de la pièce.

— Je me réjouis qu’il n’entre pas de critères raciaux dans votre choix. Mais quelle que soit la couleur de sa peau, nul être humain n’échappe à la marche du temps. Vous êtes encore jeune, docteur Nobilio. Tandis que je vais gaillardement sur mes soixante-dix ans. J’ai prévu de passer ma retraite dans un petit chalet que je possède en Géorgie. Cette affaire pourrait être extrêmement longue et complexe.

— Je ne le nie pas. Je sais également que vous n’avez pas besoin de ce procès pour parachever votre carrière. Vous êtes assuré de rester dans les annales pour une dizaine d’autres affaires.

— Quoi ? Seulement une dizaine ? réplique Dale d’un ton tranchant. Je demande toujours une provision de cinquante mille dollars, reprend-il au bout de quelques secondes. Mes honoraires s’élèvent à cinq cents dollars de l’heure et ceux de mon associé à deux cents… Sans compter les frais annexes.

— Euh… Vous soulevez là un point crucial.

— Vous vous attendiez à ce que je bosse à l’œil ?

— Le capitaine Kelkad a donné son accord pour l’exploitation des technologies tosoks par des firmes terriennes. Il vous propose un droit de 0,25% sur les bénéfices liés à l’exploitation de ces brevets.

— À vie ? Et quelle que soit l’issue du procès ?

— Exactement, confirme Frank. Vous risquez de vous retrouver plus riche que Bill Gates avant d’avoir compris ce qui vous arrivait, ajoute-t-il avec un demi-sourire.

— Je ne cours pas après le fric, docteur Nobilio. Toutefois…

— Songez à tout le bien que vous pourriez faire avec cet argent. Dale opine.