— Alors, vous acceptez ?
— J’accepte.
— Merci, du fond du cœur. Quand pensez-vous rencontrer Hask ?
— Où l’ont-ils emmené ? À Parker Center ? Frank acquiesce de la tête.
— Je vais demander à Karen de décommander mes rendez-vous de l’après-midi.
Avec une lenteur majestueuse, Dale se soulève de son fauteuil.
— Allons-y, reprend-il.
— Pour commencer, ajoute Frank en se levant à son tour, nous allons vérifier son alibi.
— « Nous » ? répète Dale en abattant une main géante sur l’épaule de Frank. Je le verrai seul, mon garçon.
— Pardon ? s’exclame Frank, l’air effaré.
— Vous n’êtes pas avocat, aussi vous ne pouvez assister à notre entretien.
— Et pourquoi cela ?
— Parce que les conversations d’un avocat et de son client doivent rester confidentielles. Dans le cas contraire, n’importe lequel des participants – vous, mais également moi ou lui – peut être cité par les parties adverses.
— Mais je dois absolument être présent ! Le Président compte sur moi.
— Je comprends bien, mais c’est exclu.
— Ne pourriez-vous… me déléguer, par exemple ?
— Je vois ce que vous voulez dire, mais non. Il est plus que probable que vous serez cité comme témoin par l’une ou l’autre partie. Navré, mon petit, soupire Dale en se dirigeant vers les portes en acajou de son bureau. Mais maintenant que tu m’as engagé, il va falloir me faire confiance.
Chapitre 10
Hask a été placé dans une cellule individuelle, mais c’est bien le seul avantage que lui confère son statut unique : la pièce est sale et ses murs couverts de graffitis. Elle contient en tout et pour tout un lavabo et des toilettes (tous deux bien en évidence) ainsi qu’une chaise. Celle-ci n’étant pas adaptée à la morphologie tosok, Hask vient de passer plusieurs heures debout, cramponné à l’un des barreaux avec sa main dorsale, quand un gardien introduit Frank Nobilio et Dale Rice dans sa cage.
— Frank ! s’écrie Hask alors que son toupet se dresse sur son crâne. Merci d’être venu.
— Pardon pour tout, Hask. À l’évidence, la police a commis une erreur effroyable. Mais nous allons y remédier sans attendre. Permets-moi de te présenter Dale Rice, ton avocat. Dale, voici Hask.
— Pourrais-tu répéter le nom ? demande Hask.
— Rice, reprend Frank. R-I-C-E. Dale. D-A-L-E. Les Tosoks ont parfois du mal à analyser les noms humains, explique-t-il à l’homme qui l’accompagne.
— Soyez le bienvenu, Mr Rice. C’est vous qui allez me sortir d’ici ?
— Appelez-moi Dale, je vous en prie. Je vous promets de faire tout mon possible.
— Je vous en serais très reconnaissant. Je…
— Une seconde. Frank, veuillez sortir à présent.
— C’est bon, obtempère Frank avec une mauvaise grâce évidente. Hask, j’ai à faire ailleurs. Mais je reviendrai quand tu en auras terminé avec Dale.
— Je préférerais que tu restes, proteste Hask.
— C’est impossible, lui objecte Dale. La loi stipule que les conversations entre un avocat et son client sont confidentielles – c’est-à-dire que leur contenu ne peut être divulgué devant la cour, à condition qu’elles aient lieu en privé. Demain, je viendrai accompagné de mon associée, miss Katayama – elle doit plaider au tribunal aujourd’hui. Mais je vous préviens que seules les conversations que vous aurez avec elle ou moi seront protégées par la loi.
— Tout va bien se passer, assure Frank à Hask. Dale est un des meilleurs avocats au monde.
Frank sorti, Dale s’arroge l’unique chaise qui geint furieusement sous son poids.
— Dale, je tiens à vous dire que…
— Silence.
— Pardon ? fait Hask en reculant d’un demi-pas.
— J’ai dit, silence. Vous alliez me dire si vous étiez coupable ou innocent, pas vrai ? Surtout, ne me dites rien sans que je vous le demande. D’après un arrêté de la Cour suprême, un avocat n’a pas le droit d’appeler son client à la barre pour attester de son innocence si celui-ci lui a déjà avoué sa culpabilité. C’est considéré comme une subornation de témoin.
— Mais…
— Maintenant, plus un mot à moins que je ne vous interroge. Compris ?
— Oui, répond Hask, quoique les ondulations de son toupet dénotent une perplexité sans bornes.
— Comment vous traite-t-on ici ?
— On m’a donné une chaise dont je ne peux même pas me servir.
— J’enverrai quelqu’un vous en chercher une à la résidence de l’USC.
— Je voudrais m’en aller d’ici.
— Je le comprends bien et je peux vous assurer que nous avons déjà fait le nécessaire pour obtenir votre mise en liberté sous caution. Si tout se passe bien, vous pourrez sortir aujourd’hui même.
— Et tout sera terminé ?
— Non, mais vous pourrez rejoindre vos compagnons et demeurer avec eux jusqu’au procès.
— Qui doit avoir lieu quand ?
— C’est là le premier point que nous devons aborder ensemble. En principe, vous avez droit à une procédure rapide mais je vous demande d’y renoncer. Il va nous falloir du temps pour préparer votre défense.
— On m’a dit que j’étais présumé innocent. Dans ce cas, pourquoi devrais-je me défendre ?
— Sur le plan technique, rien ne vous y oblige. Seulement, l’accusation va faire tout son possible pour vous coincer. Si on ne fait rien pour les contrer, ils sont sûrs de gagner.
— J’ai déjà proclamé publiquement mon innocence. Que puis-je faire de plus ?
— Eh bien, la ligne de défense la plus simple est précisément d’affirmer que vous n’êtes pas coupable. Mais dans ce cas, c’est quelqu’un d’autre qui l’est. La résidence était tellement surveillée que personne ne pouvait y entrer ou en sortir sans se faire repérer. En conséquence, l’assassin se trouve parmi vos sept camarades ou parmi les dix-huit membres de l’espèce humaine – policiers compris – qui constituaient votre escorte. Si on ne trouve aucune preuve contre l’un ou l’autre, vos protestations d’innocence risquent de ne pas suffire.
— Alors, il faut retrouver l’assassin.
— Ce n’est pas à nous de le faire et en temps normal, je ne m’y risquerais pas. Mais vu le nombre restreint des suspects, ça vaut la peine d’y réfléchir. Voyez-vous qui pourrait avoir eu intérêt à tuer Cletus Calhoun ?
— Non.
— Il est certain que l’accusation s’attachera à prouver que le meurtre a été commis par un Tosok et non par un être humain. Pensez-vous qu’un de vos congénères puisse être coupable ?
— Les Tosoks ne sont pas des tueurs.
— En règle générale, les humains non plus. Il n’empêche qu’un homme a été tué.
— Je sais.
— Au cours de votre séjour terrestre, avez-vous jamais vu Calhoun se disputer ou se battre avec quelqu’un ?
— Non.
Dale pousse un soupir aussi puissant que le souffle d’un réacteur.
— Eh bien, on peut dire qu’on a du pain sur la planche. Pour le moment, le mieux à faire est de préparer l’audience préliminaire.
La prison n’est qu’à quelques minutes de marche du palais de justice du comté – un gros cube de béton avec des ailes pareilles à des gaufres géantes. Sitôt franchi le seuil, Frank doit se soumettre à un détecteur de métaux manipulé par deux gardes en uniforme. De tous côtés, les murs sont tendus de décorations de Noël.
Un cireur de chaussures a installé son stand dans l’immense et sombre hall, signalé par un panneau blanc rédigé au feutre marron :
A.J. DONNE L’ÉCLAT DU NEUF À VOS CHAUSSURES,