Выбрать главу

— Mon révérend, je ne crois pas que…

— C’est l’évidence même. Durant la campagne, vous pouvez compter que l’électorat afro-américain vous demandera pourquoi vous réclamez la mort pour un Noir qui a tué un Blanc quand vous rechignez à éliminer un assassin extraterrestre.

— C’est plus compliqué…

— Ah oui ? Si vous ne réclamez pas la mort dans ce procès, quel message ferez-vous passer ? Qu’un Tosok vaut plus qu’un Noir ? Qu’un visiteur extraterrestre, doté d’une intelligence supérieure et issu d’une civilisation prodigieusement avancée, mérite d’être épargné quand un jeune Noir victime du racisme et de la pauvreté est bon pour la chaise électrique ?

— Croyez bien que nous pesons tous les éléments avant de décider de la peine que nous réclamerons, mon révérend.

— Je vous le souhaite, Mr Ajax. Sans quoi, vous devrez affronter la colère d’une nation opprimée. L’esprit de Dieu souffle en chacun de nous, aussi refuserons-nous d’être traités comme des êtres inférieurs tandis qu’une créature sans âme, coupable du crime le plus barbare jamais commis dans cette ville, bénéficierait de votre indulgence.

Mary-Margaret Thompson est le consultant en jury attitré de Dale Rice. Brune et svelte, elle se perche tel un oiseau sur un coin du bureau et considère Frank qui disparaît presque dans son fauteuil.

— Le processus comprend plusieurs étapes, docteur Nobilio. On opère d’abord une première sélection parmi les jurés potentiels. On en convoque ordinairement une cinquantaine. Pour l’affaire Simpson, ce chiffre a été multiplié par vingt… Vous pouvez être sûr qu’il y en aura à peu près autant cette fois. Il faudra se consulter avec le ministère public sur le formulaire qu’ils auront à remplir. Poser les bonnes questions, telle est l’étape numéro un. La suivante consiste dans l’audition individuelle des jurés. Dès lors, vous pourrez vous passer de mes services. Toutefois, je vous conseille de ne pas en rester là. Une fois la liste constituée, il serait bon de créer un « jury fantôme », statistiquement proche du vrai. En surveillant ses réactions tout au long du procès, nous verrions mieux quels sont les arguments qui portent ou non.

— Un jury fantôme, répète Dale. Ça va chercher dans les combien ?

— En général, les jurés fantômes perçoivent chacun soixante-dix dollars par jour, c’est-à-dire dix fois plus que les vrais. Mais ce qui importe avant tout, reprend-elle après un silence, c’est de trouver quelqu’un qui accepte de jouer pour nous le rôle de l’accusé. Il devra s’identifier à Hask et exprimer son point de vue au cours des débats. Et dans l’affaire qui nous préoccupe, ce choix risque d’être particulièrement épineux…

Le poste de police bouillonne d’activité : à un bureau, on procède à l’interrogatoire d’un Noir tout éclaboussé de sang et à un autre, à celui de deux putes – une Blanche et une Asiatique. Trois jeunes Noirs de quatorze ou quinze ans, membres du même gang, attendent leur tour. Comme Dale secoue la tête d’un air attristé, ils lui retournent son regard, s’attardant sur son complet à trois mille dollars, ses boutons de manchette et sa chaîne de montre en or.

— Oncle Tom, souffle l’un d’eux à son pote quand Dale passe à proximité.

L’avocat se raidit mais poursuit son chemin sans se retourner. La porte qu’il cherchait porte une plaque indiquant « J. Perez ». Scotché au-dessous, un dessin représentant une note de musique ainsi qu’un enfant avec son pouce dans la bouche : « Ré » – « Suce », soit le prénom de Perez.

Et merde pour l’Oncle Tom ! songe Dale en frappant à la porte.

Perez lui crie d’entrer ; il obtempère aussitôt.

— Maître Rice, dit Perez sans se lever. Ça faisait un bail.

— Inspecteur…

Le ton guindé de Dale trahit un passé commun plutôt houleux. Perez désigne du pouce la salle que Dale vient de quitter.

— Je suis surpris qu’une de ces petites crapules s’offre un crack tel que vous.

— Mon client est Hask.

— C’est ce qu’on m’a dit, acquiesce Perez. Il vous paie comment ? En latinum plaqué or ?

— Quoi ?

— Non, rien… Vous avez raté le coche avec l’affaire Simpson et du coup, vous avez échangé O.J. contre E.T.

L’inspecteur s’esclaffe à sa propre vanne.

— C’est dommage. Jusque-là, vous n’étiez pas loin du sans-faute.

— Qui vous dit que je ne vais pas l’emporter cette fois encore ?

— Vous voulez rire ? Votre copain Mr Spock{Allusion au personnage de Spock dans la célèbre série télévisée et cinématographique Star Trek, une véritable institution Outre-Atlantique. (N.d.T.)} a réduit en bouillie une des vedettes les plus populaires de la télé. C’est l’inverse du cas Simpson : un macchabée archiconnu et un assassin sorti de nulle part.

— Hask jouit d’une célébrité d’enfer.

— C’est justement là qu’on va l’expédier.

— Vous êtes-vous au moins donné la peine de rechercher d’autres suspects ? soupire Dale.

— Bien sûr. Mais on n’avait pas grand choix. Seules vingt-cinq personnes, Tosoks compris, avaient accès à la résidence cette nuit-là. Pour ce qui est des humains, le gros problème demeure le mobile, sans parler de la méthode.

— Vous ne pouvez exclure l’hypothèse qu’on ait tenté d’attirer les soupçons sur les Tosoks dans le but de les discréditer. Il pourrait s’agir d’un complot impliquant plusieurs personnes, lesquelles se fourniraient des alibis les unes aux autres.

— Un complot, rien que ça !

— Et pourquoi pas ? Pour une fois qu’il n’est pas question des affaires internes à la police, vous devriez être content.

Perez fusille Dale du regard.

— Je vois mal un groupe d’éminents scientifiques ourdir une machination contre un Tosok pour le faire inculper de meurtre.

Lassé d’attendre qu’on lui propose un siège, Dale s’en attribue un -un joujou en acier, beaucoup trop léger et étroit, qui geint sous son poids.

— À votre place, je n’en serais pas si sûr. Il n’y a pas pire jaloux que ces universitaires. Voilà des types qui triment dans l’ombre et doivent se battre pour obtenir des subventions toujours plus maigres tandis qu’un p’tit gars de Pigeon Forge, un bled du Tennessee, empoche des millions et fraie avec un tas de célébrités. Ils ont dû penser que personne ne serait assez fou pour coffrer un alien, mais c’était compter sans la soif de pouvoir de Monty Ajax. À ce détail près, c’était un crime parfait. On pouvait être sûr que Washington ferait tout pour étouffer l’affaire…

— C’est bien ce qui s’est passé, rétorque Perez. Désolé, maître, mais la culpabilité de cette… créature ne fait aucun doute. Ce ne pouvait être qu’un Tosok.

C’est au tour de Dale de foudroyer son interlocuteur du regard.

— J’aurais cru, inspecteur Perez, que vous auriez assez souffert de ces préjugés pour ne pas les reprendre à votre compte. Ce ne pouvait être qu’un Tosok… Et pourquoi pas un Latino ? Eh ! visez le Noir, là-bas. C’est sûrement lui qui a fait le coup…

— Ne vous avisez pas de me traiter de raciste, maître Rice.

— Et pourtant… « Ce ne pouvait être qu’un Tosok. » Il y a actuellement sept Tosoks sur terre. Et à moins que vous ne prouviez que c’est bien lui le coupable – lui, et personne d’autre – mon client restera libre.

— Allons donc ! Il est évident que c’est lui.

— Vous ne pouvez pas le prouver.

— C’est ce qu’on va voir, rétorque Perez avec un sourire.