— Oui.
— A-t-il été ôté à l’aide du même instrument ?
— On dirait que oui. Le globe oculaire a dû être arraché avec les doigts mais les muscles et le nerf optique ont été proprement sectionnés, sans doute à l’aide du même instrument.
— Que manquait-il encore ?
— L’appendice vermiforme.
— L’appendice « vermiforme » ? répète Ziegler en se tournant vers le jury. Vous voulez dire, l’appendice qui se trouve ici ? demande-t-elle en se touchant le flanc droit. Celui qui est responsable de l’appendicite ?
— Tout à fait.
— Et comment a-t-il été ôté ?
— Eh bien, pas selon le procédé habituel -je veux dire, celui qu’on emploie lors d’une appendicectomie, en opérant de l’extérieur. En fait, il a été retranché de l’intérieur, au cours de la dissection.
— En êtes-vous sûre ? N’aurait-il pu avoir été ôté des années auparavant ? Après tout, beaucoup de gens n’ont plus leur appendice -c’est d’ailleurs mon cas.
— On n’a relevé aucune cicatrice d’appendicectomie sur le corps du docteur Calhoun. Toutefois, je me suis renseignée auprès du médecin de la victime et de sa compagnie d’assurances. Mon confrère n’a pas trouvé mention d’une telle intervention dans le dossier de son patient et son assureur n’avait enregistré aucune demande de prise en charge pour ce motif.
— Manquait-il encore autre chose ?
— Oui, le maxillaire inférieur et le cou.
— Le cou ? s’écrie Ziegler, feignant de nouveau la surprise.
— Tout juste. Comme je vous l’ai dit, la tête était séparée du tronc. En fait, il m’a fallu chercher jusqu’à la première dorsale pour trouver une vertèbre intacte. La tête, quant à elle, n’était plus reliée à aucune vertèbre. Les sept cervicales ont disparu, ainsi que la pomme d’Adam et la mandibule, autrement dit la mâchoire inférieure.
— Docteur, savez-vous ce qui a pu pousser le meurtrier à prendre ces parties plutôt que d’autres ?
— Non.
— Êtes-vous sûre que ce n’est pas leur ablation qui a causé la mort du docteur Calhoun ?
— Sûre et certaine. Il était déjà mort à ce moment-là.
— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
— D’après les éclaboussures, je peux affirmer que le thorax a été ouvert après que le cœur a cessé de battre. Il en va de même pour la décapitation. En fait, le corps était presque entièrement vide de sang quand la tête a été coupée. Quant à l’œil… Il faut une force colossale pour arracher un œil. Si le docteur Calhoun avait encore été en vie, on verrait des ecchymoses sur sa joue et sur la partie droite de son nez. Or, comme vous pouvez le constater sur la photo quatorze, il n’en est rien.
— Je vous remercie, dit Ziegler. Et toutes mes excuses pour les détails sordides qui ont émaillé ce témoignage, ajoute-t-elle en se tournant vers le jury. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de revenir dessus, mais j’espère que vous aurez tous compris en quoi ces précisions étaient indispensables. Je laisse maintenant la parole à la défense, conclut-elle en regardant Dale.
Celui-ci se lève, songeant combien son adversaire est redoutable. Ziegler s’est excusée auprès des jurés en leur promettant qu’on ne les ennuierait plus avec des descriptions sanglantes – un bon moyen de le faire passer pour un goujat s’il revenait dessus au cours de son contre-interrogatoire.
— Docteur Flemingdon, commence-t-il, vous avez bien dit qu’une personne peu habituée au maniement du scalpel faisait preuve d’un manque de fermeté dans le trait ?
— En effet. Ce type d’incisions, hésitantes et superficielles, se remarquent également dans les tentatives de suicide par ouverture des veines. Les étudiants en médecine y sont sujets tant qu’ils n’ont pas acquis de l’expérience.
— Les étudiants en médecine, répète Dale.
— Oui.
— Des étudiants humains.
— Euh… oui. Mais…
— Il n’y a pas de « mais ». À présent, parlons un peu de ces fameuses parties manquantes. Diriez-vous que le défunt était un homme célèbre, docteur Flemingdon ?
— Eh bien, on est ici à Los Angeles. Je ne doute pas que Mr Calhoun soit considéré comme une huile là d’où il venait…
— De Pigeon Forge, dans le Tennessee.
— Oui, eh bien, j’imagine qu’aux yeux des gens de Pigeon Forge, il était une star. Mais ici ? N’oubliez pas qu’il passait sur PBS…
Quelques ricanements se font entendre dans le public. Le juge Pringle abat son marteau, réclamant le silence.
— Dolly Parton aussi vient de Pigeon Forge, remarque Dale.
— Vous voyez que même à l’échelle du Tennessee, il n’était pas si célèbre que ça.
— Tout le monde ne partage pas votre opinion, reprend Dale en se tournant vers le jury. Je suis sûr que parmi le jury, une majorité considérait le docteur Calhoun comme une vedette.
— Objection, proteste Ziegler en écartant les bras. Quel rapport cela a-t-il avec l’affaire ?
— Je suis moi-même perplexe, avoue le juge Pringle. Maître Rice ?
— Encore quelques secondes, s’il vous plaît, Votre Honneur.
— Très bien. Mais venez-en au fait.
— Avec plaisir. Docteur Flemingdon, est-ce vous qui avez pratiqué l’autopsie de Billy Williger, le chanteur de rock décédé l’an dernier ?
Le docteur Flemingdon se raidit en entendant la question.
— Oui.
— Et certaines parties du corps de Mr Williger n’ont-elles pas disparu de votre laboratoire ?
— Oui.
— Est-il exact que cette affaire vous ait valu un blâme ?
— Oui, souffle le docteur entre ses dents.
— Donc, il est déjà arrivé qu’un corps placé sous votre responsabilité voie s’envoler certaines de ses parties ?
— Je vous l’ai déjà dit, oui.
— Aussi, qu’est-ce qui nous prouve que les parties que vous nous avez énumérées ont été conservées par l’auteur du crime ?
— Sur les photos du corps, on voit qu’il manque la mâchoire et l’œil droit.
— Il est vrai que ces éléments sont absents des photos, mais celles-ci ne montrent qu’une partie de la pièce.
— Vous avez ma parole que ces parties manquaient.
— Votre parole, hum… À supposer que ces disparitions soient encore le fait d’un fan un peu trop zélé, vous n’auriez aucun intérêt à ce que cela s’ébruite, pas vrai ?
— Billy Williger était une immense vedette, maître. Je n’ai jamais entendu dire qu’un astronome suscite de tels excès de passion chez des groupies.
Cette fois, des rires fusent de l’assistance ; le juge elle-même a du mal à garder son sérieux.
— Nous aurions aimé vous faire lire le courrier des fans du docteur Calhoun, reprend Dale. Mais pour l’heure, nous devons élucider un meurtre dont les aspects les plus mystérieux reposent sur le témoignage d’une personne qui a déjà égaré des parties de corps par le passé.
— Objection ! s’insurge Ziegler.
— Accordée. Veuillez poursuivre, maître.
— Vous avez dit qu’il arrivait que des meurtriers humains prélèvent des parties des corps de leurs victimes, reprend Dale.
— C’est vrai.
— Dans quel but ?
— Sans doute pour garder un souvenir de leur crime, comme je l’ai déjà dit.
— Ou à des fins de cannibalisme ?
— En effet.
— Ou comme trophées, dans les crimes à caractère sexuel ?
— Sans doute.
— Pourriez-vous nous donner une définition du cannibalisme, docteur ?
— C’est… eh bien, c’est un comportement qui consiste à consommer de la chair humaine.