— Je suppose que Votre Honneur ne souhaite pas non plus faire porter au compte-rendu qu’il s’agit d’écailles de Tosok ?
— Je ne suis pas à même de le faire pour l’instant. Que voulez-vous, maître Ziegler, Los Angeles ne s’est pas construit en un jour.
— Nous avons des agrandissements de photos en noir et blanc de la peau d’un Tosok, à partir desquelles il serait.possible d’établir des comparaisons.
— Cette proposition vous convient-elle ? demande le juge à Dale.
— C’est d’accord, répond celui-ci après un temps de réflexion. À condition qu’il soit dit que ces photos montrent la peau d’un Tosok quelconque et non celle de Hask.
— Maintenant, veuillez regagner vos places.
Dale retourne s’asseoir à la table de la défense tandis que Ziegler se dirige vers le pupitre pour reprendre son interrogatoire. Sur un signe d’elle, un de ses assistants présente au témoin une photo d’environ soixante centimètres sur quarante.
— Vous voyez là l’agrandissement d’une photo montrant la peau d’un Tosok. Je précise qu’il s’agit d’un cliché en noir et blanc, ajoute-t-elle en se tournant vers Dale. Aussi, je vous prie de ne pas tenir compte de la dominante grise de l’image. Vous remarquerez l’échelle au bas de la photo, qui vous donnera une idée de la taille réelle des écailles. Maintenant, Mr Feinstein, pouvez-vous dire à la Cour s’il existe des similitudes de forme entre ces objets et les écailles des Tosoks ?
— En effet, les deux sont très semblables.
— Et des similitudes de taille, en tenant compte de l’échelle ?
— Là encore, les deux paraissent très proches.
— Merci, Mr Feinstein. Outre les cristaux roses et l’objet qui ressemble à une écaille de Tosok, avez-vous trouvé autre chose sur le lieu du crime ?
— Nous avons trouvé ce qui paraît être une empreinte sanglante.
— Pourriez-vous être plus précis ?
— Puis-je me lever, Votre Honneur ? Merci. Elle est visible ici, sur la photo onze, et là aussi, sur la quatorze. Vous voyez ? Là et là…
— Vous voulez bien décrire ce que vous voyez ?
— C’est une trace en forme de U ou de fer à cheval, large d’environ vingt-cinq centimètres.
— Qu’est-ce qui a pu laisser cette empreinte, Mr Feinstein ?
— Je n’en avais jamais vu de semblable pour ma part, mais l’inspecteur Schmitter…
— Objection ! Ce sont des ouï-dire.
— Rejetée.
— La remarque de l’inspecteur Schmitter m’a conduit à vérifier la chose de mes propres yeux, reprend Feinstein avec un regard furieux à l’adresse de Dale. C’est ainsi que j’ai pu voir une empreinte similaire.
— Où ça ?
— Sur les conseils de l’inspecteur Burt Schmitter, je me suis rendu au numéro 6925 d’Hollywood Boulevard.
— Qu’y a-t-il à cet endroit ?
— Le Mann’s Chinese Théâtre.
— Poursuivez.
— Là, devant le théâtre, j’ai vu deux marques similaires dans le ciment… C’étaient les empreintes de pieds d’un Tosok.
— Merci. Une dernière chose : a-t-on trouvé une quantité importante de sang sur le lieu du crime ?
— Objection ! Ces allégations sont tendancieuses.
— Le jury a déjà vu les photos prises sur place, maître Rice, remarque le juge. Il n’y a rien de tendancieux à souligner une évidence.
— Une quantité importante ? C’est le moins qu’on puisse dire !
— À votre avis, dans quel état devait se trouver l’auteur de cette dissection à l’issue de celle-ci ?
— Objection ! La question appelle des spéculations de la part du témoin.
— Rejetée.
— Étant donné la nature brutale de l’opération – rappelez-vous, les côtes ont été écartées à la main et le cœur a subi une entaille profonde lors de l’ouverture du thorax –, le ou les responsables devaient être littéralement couverts de sang.
— Merci. Je cède la parole à la défense.
Dale se lève lentement et se dirige vers le pupitre.
— Mr Feinstein, vous avez bien dit que l’auteur du crime devait être couvert de sang ?
— Oui.
— Connaissez-vous le témoin précédent, le Dr Anne Flemingdon ?
— Oui.
— Elle est médecin légiste, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Avez-vous déjà eu l’occasion de lui rendre visite sur son lieu de travail ?
— Cela m’arrive de temps en temps.
— Lorsqu’elle vous accueille sur le seuil de son laboratoire, est-elle couverte de sang ?
— Non, répond Feinstein en grommelant.
— On ne dirait pas un monstre surgi d’un film d’horreur, laissant des traces sanglantes sur la moquette ?
— Non.
— Donc, il est possible de disséquer un corps humain sans être couvert de sang de la tête aux pieds ?
— Dans les conditions d’un lab…
— Contentez-vous de répondre, Mr Feinstein. Est-il possible de pratiquer une dissection, même aussi poussée que celle qui a été réalisée sur le docteur Calhoun, sans se salir ?
— Je suppose que oui.
— Merci. Venons-en maintenant à ces fameux objets en forme de losange. Vous pensez que ça pourrait être des écailles de Tosok ?
— En effet, monsieur.
— Sur quoi cette impression est-elle fondée ?
— Ils ont la même forme et la même taille que les écailles qu’on voit sur la photo.
— Avez-vous déjà vu des écailles de Tosok isolées ?
— C’est-à-dire… non.
— À vrai dire, vous n’êtes même pas sûr que la peau des Tosoks soit composée d’écailles, n’est-ce pas ? Ce motif en losanges pourrait être simplement formé de lignes entrecroisées.
— Je… C’est possible.
Dale prend un objet sur la table près de lui.
— Voici un échiquier en carton. On dirait qu’il est composé de carrés rouges et noirs, pas vrai ? Et pourtant, poursuit-il en le pliant légèrement, il est formé d’une seule pièce. Il est impossible d’en séparer les cases, à moins de les découper à l’aide d’une scie. Vous êtes d’accord ?
— Euh… oui.
— Qu’avez-vous dit, déjà ? Que les supposées écailles étaient de la même taille que les objets sur la photo ?
— C’est ça.
— Qu’entendez-vous par là ?
— Vous savez bien… Elles ont les mêmes dimensions.
— Mais la photo donne seulement une idée de la longueur et de la largeur des losanges. Or, nous vivons dans un monde en trois dimensions, Mr Feinstein, pas dans un dessin animé. En plus d’une longueur et d’une largeur, les objets possèdent une épaisseur. Quelle est l’épaisseur des objets recueillis par vous sur le lieu du crime ?
— Environ sept millimètres.
— Et celle des losanges qu’on voit sur la photo ?
— Je… je n’en ai pas la moindre idée.
— Je ne vous le fais pas dire, Mr Feinstein. À présent, j’attire votre attention sur la photo numéro huit. Que représente-t-elle ? Ne serait-ce pas une de vos supposées écailles ?
— Si.
— Et si je ne m’abuse, poursuit Dale d’un ton lourd de sarcasmes, elle apparaît bien couverte de sang ?
— En effet.
— Lorsque vous l’avez récupérée, ses deux faces étaient-elles tachées ?
— Non.
— Laquelle des deux faces ne l’était pas ?
— L’inférieure.
— En d’autres termes, le sang s’est répandu sur elle alors qu’elle se trouvait sur la moquette ?
— Selon toute apparence, oui.
— J’en déduis que la supposée écaille était déjà sur les lieux quand le docteur Calhoun s’est mis à saigner. Oui ?