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Au même moment, la porte du bureau s’ouvre et Hask entre à grands pas.

— Je souhaite témoigner, annonce-t-il en prenant place sur l’unique chaise tosok de la pièce.

Dale et Frank échangent un regard.

— Je ne vous le conseille pas, dit Dale.

— C’est à moi d’en décider, rétorque Hask après quelques secondes de silence.

— Exact. Mais contrairement à vous, j’ai assisté à des centaines de procès et je peux vous dire que l’accusé a presque toujours tort de se présenter à la barre.

— Pourquoi ? Et comment pourrais-je faire reconnaître mon innocence si je ne m’exprime pas ?

— Nul ne peut jamais dire ce qui se passe dans la tête des jurés.

— Ce n’est pas vrai. Votre jury fantôme m’a déjà condamné, n’est-ce pas ?

— Pas du tout.

— Vous mentez.

— D’accord, lui accorde Dale. Même si c’est le cas, il vaut toujours mieux éviter de faire témoigner un accusé, sauf quand les circonstances l’exigent.

— Comme aujourd’hui…

La voix des Tosok ayant tendance à grimper dans les aigus sur les fins de phrase, il est difficile d’apprécier s’il s’agit d’une question ou d’une simple remarque.

— Sans doute, lâche Dale avec un nouveau soupir. Mais vous devrez subir un contre-interrogatoire de la part de Linda Ziegler…

— Je sais.

— Et vous souhaitez quand même le faire ?

— Oui.

— C’est bon, dit Dale d’un ton résigné. Mais on vous fera passer à la barre en premier.

— Pourquoi ça ?

— Parce que au cas où Linda vous étriperait – excusez la métaphore – il nous resterait une chance de rattraper le coup. Il va falloir préparer votre témoignage, reprend Dale en se grattant le menton.

— Bien entendu, je dirai la vérité… Toute la vérité et rien que la vérité.

— Ah bon ? fait Dale, l’air surpris.

— Vous n’avez aucun moyen de savoir, n’est-ce pas ? s’enquiert Hask.

— Savoir si vous êtes innocent ? Sachez que je vous crois, Hask, mais…

— Savoir si je dis la vérité.

— Non. Pourquoi, ce n’est pas le cas ?

Pour une fois, Hask laisse la question sans réponse.

Le lendemain, une foule de journalistes encore plus importante que d’habitude se presse devant le palais de justice. Des dizaines de questions fusent sur le passage de Frank et de Dale, mais ce dernier reste muet. À l’intérieur règne un climat d’excitation presque tangible.

Le juge Pringle fait son entrée, salue comme chaque jour les jurés et les avocats, puis se tourne vers Dale :

— La parole est à la défense.

Dale se lève et gagne le pupitre. Après avoir laissé planer un silence, histoire de faire monter la pression, il annonce avec la voix caverneuse d’un Dark Vador :

— La défense appelle Hask à la barre.

Un brouhaha s’élève de l’assistance, obligeant les journalistes à tendre l’oreille.

— Une seconde, ordonne le juge. Hask, savez-vous que la loi vous autorise à ne pas témoigner ? Que nul ne peut vous y obliger contre votre volonté ?

— Je sais, Votre Honneur, répond Hask qui s’est déjà levé.

— Personne ne vous a contraint à témoigner ?

— Personne. En fait…

Dale dissimule son soulagement sous un visage impassible. Dieu merci, Hask s’est tu juste comme il allait avouer que son avocat lui avait déconseillé de s’exprimer. Au moins lui aura-t-il appris à tenir ses langues…

— Très bien. Mr Ortiz, veuillez faire prêter serment au témoin. Hask s’avance vers la barre derrière laquelle un huissier vient de placer une chaise modifiée.

— Veuillez placer votre main de devant sur la Bible, indique le greffier à Hask qui s’exécute. Jurez-vous devant Dieu de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ?

— Je le jure.

— Merci. À présent, veuillez vous asseoir puis décliner et épeler votre nom.

— Hask. Cela doit s’écrire H-A-S-K, j’imagine.

— Maître Rice, vous avez la parole.

— Merci, Votre Honneur.

Dale se lève avec lenteur et vient se placer près du pupitre :

— Mr Hask, quelle était votre fonction à bord du vaisseau tosok ?

— J’avais le titre de « premier ».

— Est-ce l’équivalent du grade de premier maître ?

— Non. Cela veut dire que j’étais le premier à sortir d’hibernation. Mon travail consistait à parer aux imprévus qui auraient pu survenir en vol et, une fois à destination, à déterminer s’il n’y avait pas de risques à réveiller les autres.

— J’en conclus que vous occupez un rang important au sein de l’équipage.

— Au contraire, j’étais le plus exposé.

— L’accusation a laissé entendre que les circonstances de la mort du docteur Calhoun vous désignaient comme coupable. Est-ce le cas ?

— Je ne me trouvais pas seul avec lui quand il a été tué.

— Mais vous ne pouvez pas justifier d’un alibi dans l’intervalle où a été commis le meurtre.

— J’ai un alibi, seulement je ne peux pas le prouver. Un autre que moi pouvait tout aussi bien commettre ce crime.

— Selon l’accusation, vous aviez également les moyens de tuer le docteur Calhoun. Il a été suggéré que vous auriez pu utiliser un trancheur à monofilament pour sectionner sa jambe. Cet outil pourrait-il servir à cet usage ?

— Je pense que oui.

— Mais une conviction de meurtre ne se fonde pas uniquement sur les circonstances et les moyens. Il…

— Objection !

— Accordée.

— Parlons un peu du mobile, Hask. Aviez-vous quelque raison de vouloir la mort du docteur Calhoun ?

Cette fois, Ziegler bondit de sa chaise.

— Objection ! Selon l’article 2.51 du Code d’Instruction criminelle de l’État de Californie, « il n’y a pas lieu de démontrer quel est le mobile du crime ».

— Objection rejetée. C’est moi qui dispense les instructions aux jurés, maître Ziegler.

— Je répète ma question, Hask : aviez-vous un motif de souhaiter la mort du docteur Calhoun ?

— Aucun.

— Les Tosoks pratiquent-ils la dissection ou le démembrement à des fins religieuses ?

— Non.

— Il existe chez nous des formes de sport plutôt violentes. Ainsi, certains hommes s’adonnent-ils à la chasse. Votre peuple chasse-t-il pour le plaisir ?

— Dans ce contexte, qu’entendez-vous par « plaisir » ?

— Pour se divertir, histoire de passer le temps.

— Non.

— Pourtant, vous êtes carnivores.

— Pardon, omnivores.

— À ce titre, vous consommez de la viande.

— C’est vrai. Mais nous ne chassons pas. Nos ancêtres l’ont fait, mais c’était il y a des siècles. Comme la Cour a pu le constater, nous fabriquons de la viande dépourvue de système nerveux central.

— Donc, vous n’avez jamais eu l’impulsion de tuer un être vivant de vos propres mains ?

— Certainement pas.

— Ce n’est pas ce que vous disiez dans ce film où l’on vous voyait deviser avec le docteur Calhoun.

— Je me situais dans l’abstrait. Ce que je voulais expliquer, c’est que nous avions peut-être perdu quelque chose en renonçant tout à fait à la chasse. Mais pas plus que vous, je n’ai envie de tuer pour me nourrir.

— Voyez-vous des raisons qui pourraient vous pousser à tuer un être vivant ?

— Non.

— Et le docteur Calhoun ?

— Encore moins.

— Que pensiez-vous du docteur Calhoun ?

— Je l’aimais. C’était un ami.