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— C’est-à-dire ?

— Chez l’être humain, on trouve au-dessus du larynx un espace dans lequel la nourriture peut s’engager accidentellement. Un homme peut très bien s’étouffer en mangeant ; pas un singe.

— Merci, docteur Wills. Maintenant, venons-en à l’appendice. Bien sûr, tout le monde en a entendu parler, mais pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ?

— Sans problème. L’appendice est un tube constitué de tissu lymphoïde, mesurant entre deux et vingt centimètres et pas plus gros qu’un crayon. En bref, il ressemble à un ver – c’est pourquoi on l’appelle parfois l’appendice vermiforme, d’un mot latin signifiant « en forme de ver ». Ce ver est rattaché au caecum, l’espèce de poche qui forme la première partie du gros intestin, son autre extrémité étant fermée.

— Et quel est le rôle de cet appendice ?

— Comme on a coutume à le dire, il ne sert à rien. C’est ce qu’on appelle un organe vestigial. Nos lointains ancêtres étaient herbivores et, à l’origine, il est probable que l’appendice aidait à la digestion. D’ailleurs, les herbivores modernes présentent un prolongement du caecum qui évoque notre appendice en plus développé. Mais en ce qui nous concerne, l’appendice ne sert pas à grand-chose, sinon à rien.

— Peut-il néanmoins représenter un danger ?

— Certes ! Il a tendance à s’infecter et à s’enflammer. Environ une personne sur quinze souffrira d’appendicite au cours de sa vie.

— C’est une affection bénigne, non ?

— Au contraire, c’est un problème grave, douloureux, qui peut même conduire à une issue fatale. Dans la plupart des cas, on pratique une ablation chirurgicale.

— Je vous remercie, professeur. Je laisse la parole à l’accusation. Ziegler échange quelques mots avec sa collaboratrice, Trina Diamond, puis elle hausse les épaules.

— Je n’ai pas de questions.

— Très bien, dit le juge. Étant donné l’heure tardive, je déclare la séance levée jusqu’à demain matin, dix heures. Veuillez tenir compte de mes instructions, poursuit-elle en se tournant vers le box des jurés. Ne discutez pas de l’affaire entre vous, ne formez aucune opinion, ne menez aucune délibération et ne laissez personne communiquer avec vous au sujet de l’affaire. L’audience est suspendue, conclut-elle en abattant son marteau sur la table.

Depuis sa libération sous caution, Hask passe toutes ses nuits dans sa chambre à Valcour Hall. Frank a l’habitude de le raccompagner avec une escorte de quatre policiers, deux dans la même voiture qu’eux et deux autres dans un second véhicule. Si les bâtiments de la résidence sont achevés, le parking n’a toujours pas reçu de revêtement, aussi Hask doit-il descendre de voiture à presque deux cents mètres de l’entrée. La police a établi un périmètre de sécurité tout autour du bâtiment, matérialisé par un ruban jaune tendu entre des piquets. Pourtant, tous les soirs, des centaines de personnes (étudiants, personnel de l’Université ou curieux venus de toute la ville) se pressent le long du chemin dans l’espoir d’apercevoir Hask. Comme toujours, Frank peine à suivre l’allure que lui imposent les longues foulées de son compagnon. Il est à peine cinq heures moins le quart et le soleil est encore haut dans le ciel sans nuages.

Deux bruits parviennent simultanément aux oreilles de Frank, quoique l’un ait forcément précédé l’autre. Le premier est si fort qu’il agresse les tympans – on dirait un coup de tonnerre, le craquement d’un os cassé ou un lac gelé cédant sous le poids d’un homme. Les hautes façades de brique et de verre répercutent son écho durant de longues secondes.

Le second, suraigu et modulé, ne ressemble à rien de connu. Il évoque vaguement le fracas du verre brisé, le crissement des roues d’un train freinant sur des rails en métal ou les gémissements d’une centaine de téléphones laissés décrochés.

Frank a cru – ou plutôt espéré – que le premier bruit était une pétarade de moteur, mais il n’en était rien. Rapides comme l’éclair, deux policiers foncent vers la foule massée derrière le cordon de sécurité et plaquent un homme par terre. Frank baisse alors les yeux vers la poitrine de Hask : sa veste, sa chemise et sa cravate présentent une tache rose en forme d’étoile.

Alors seulement, il comprend d’où venait le second bruit.

Hask est toujours debout mais au moment où Frank tourne son regard vers lui, il s’affaisse comme au ralenti, les articulations de ses longues jambes se repliant l’une après l’autre. Son buste se renverse en arrière et il cesse de crier, sa bouche étant réduite à une simple fente horizontale. Comme il tombe toujours, son bras dorsal pendant, inerte, Frank se précipite afin de le retenir mais il entre en contact avec le sol avant qu’il ait seulement pu l’atteindre.

Les policiers maintiennent toujours l’agresseur, un jeune homme blanc d’à peine trente ans, qui hurle à pleine gorge :

— Le démon est mort ? Je l’ai eu ?

La balle a fait un trou dans la tunique de Hask, ornant sa poitrine d’un œillet rose bien visible. Malgré son diplôme de secouriste – une précaution indispensable pour quiconque est amené à côtoyer le Président –, Frank se trouve complètement désemparé. Faisant h" du cordon de sécurité, les spectateurs se ruent vers l’alien à terre et font cercle autour de lui. Frank s’accroupit, approche son oreille d’un des orifices respiratoires de Hask et sent un souffle sur sa joue. En revanche, il n’a aucune idée de la manière dont on prend le pouls d’un Tosok. Une faible quantité de sang s’est écoulée de la blessure, ce qui pourrait indiquer que les quatre cœurs ont cessé de battre.

Frank relève la tête pour demander qu’on appelle une ambulance, mais un des flics est déjà occupé à le faire sur la radio de la voiture. Frank plonge la main dans la poche de sa veste et en tire son portable. En pressant une touche, il sélectionne le numéro du téléphone confié au capitaine Kelkad et tend l’appareil à la femme flic à ses côtés, sans attendre la réponse de son correspondant. Puis il se penche à nouveau vers Hask :

— Hask ? Est-ce que tu m’entends ?

Hask reste sans réaction. Frank desserre sa cravate, la roule en boule et l’utilise pour comprimer la blessure. Il n’est pas certain de bien agir, étant donné son ignorance de la physiologie tosok, pourtant…

— Frank, le prévient la femme flic, j’ai Kelkad en ligne.

Frank prend l’appareil de sa main gauche sans cesser de tamponner la blessure.

— Kelkad, qu’est-ce que je dois faire ? Quelqu’un vient de tirer sur Hask !

Kelkad et les autres Tosoks se trouvent à bord de la voiture qui les ramène du tribunal, aussi la liaison n’est-elle pas très bonne. Un long silence fait suite à la déclaration de Frank, puis celui-ci saisit des bribes de tosok, prononcées par une voix qui n’est pas celle de Kelkad. D’autres mots résonnent ensuite à son oreille – cette fois, c’est bien le capitaine qui parle –, suivis de leur traduction :

— Décrivez la blessure.

Frank se représente Kelkad déplaçant le téléphone du micro de son traducteur à son oreille. Il relâche la pression qu’il exerçait sur la plaie et examine celle-ci. Si la cravate est maintenant maculée de sang tosok (celui-ci cristallise en séchant, formant une croûte friable au lieu de caillots), l’hémorragie semble peu importante.

— Il a été touché par un projectile en métal, sans doute du plomb. Il est étendu sur le dos, il respire encore mais paraît inconscient. La balle a pénétré entre le bras ventral et la jambe gauche, à une vingtaine de centimètres de l’orifice respiratoire. Je ne peux pas dire quelle a été sa trajectoire à l’intérieur du corps, j’ai comprimé la plaie mais on dirait qu’elle a cessé de saigner et que le sang cristallise.