— Ah ? dit-il enfin. Dans ce cas, je vous laisse faire.
Il s’écarte, cédant sa place à Hernandez qui achève son travail en moins de deux minutes.
— Quand va-t-il reprendre conscience ? interroge le chirurgien.
— Auriez-vous de l’acide ascétique ?
— De l’acide… Oh ! Vous voulez dire du vinaigre ? Vous devriez trouver ça à la cafétéria.
— Demandez qu’on en apporte, reprend Stant. Une gorgée devrait suffire à le réveiller. Merci de votre aide, conclut-il à l’adresse d’Hernandez. – Ça a été un plaisir.
Hask ayant besoin de repos, la Cour est dans l’incapacité de siéger le lendemain. Toutefois, Dale et Linda Ziegler se retrouvent dans le cabinet du juge Pringle.
— Votre Honneur, attaque Ziegler, le ministère public demande l’ajournement du procès.
Apparemment, le juge s’attendait à une telle démarche.
— Pour quel motif ?
— Le jury n’étant pas séquestré, ses membres ont certainement eu connaissance de l’attentat perpétré contre l’accusé.
— Votre Honneur, riposte Dale, le présent jury donne toute satisfaction à la défense. Nous nous opposons fermement à une motion qui reviendrait à jeter par les fenêtres le fruit de tant de mois de travail, sans parler de l’argent de milliers de contribuables.
— Votre Honneur, reprend Ziegler d’un ton pressant, la vision d’un accusé couvert de pansements, titubant en pleine salle d’audience, risque de provoquer chez le jury un élan de sympathie susceptible d’influer sur le verdict.
— Je doute que vous trouviez quelque part douze personnes qui ignorent tout de cette tentative d’assassinat, remarque le juge Pringle en levant les sourcils.
— De plus, renchérit Dale, le fait qu’au moins une personne considère Hask comme un démon pourrait porter préjudice à mon client.
— Si c’était le cas, répond sèchement Ziegler, mon confrère de la défense aurait tout intérêt à soutenir ma demande d’ajournement. Il ne le fait pas pour une raison évidente : si ce fanatique, ce Jensen, s’est donné tant de mal pour supprimer Hask, c’est qu’il redoutait son acquittement. Son acte est un message adressé au jury, lui indiquant comment le perçoit l’opinion.
— L’opinion d’une personne isolée, la corrige Dale. Et puis, ai-je besoin de rappeler à ma consœur que Hask était censé être sous la protection de la police de cette ville quand on a tenté de l’assassiner ? L’État est ici fautif ; n’aggravons pas le dommage subi par mon client en lui imposant un second procès.
— Mais, le jury…
— Comme maître Ziegler ne peut l’ignorer, j’ai fondé toute ma carrière sur la certitude que les jurés sont capables-de surmonter leurs préjugés.
— Que dit la jurisprudence ? s’interroge le juge. Je me rappelle plusieurs cas où l’accusé était décédé durant son procès, mais aucun où il avait réchappé d’un attentat.
— Nous n’avons encore rien trouvé, répond Ziegler.
— Eh bien, à moins d’un motif déterminant, je suis plutôt de l’avis de maître Rice. Un ajournement coûte cher.
— Dans ce cas, réplique Ziegler, Votre Honneur m’autorise-t-elle à requérir une instruction spéciale pour les jurés ?
Après un instant de réflexion, Drucilla Pringle lui signifie son consentement de la tête.
— Accordé. Je les aviserai que les blessures de l’accusé ne doivent en aucun cas être un motif d’indulgence. Je leur dirai aussi, poursuit-elle à l’adresse de Dale, que le fait qu’un homme isolé ait pu assimiler Hask au démon ne présume en rien de sa culpabilité.
Chapitre 28
Carla Hernandez n’est jamais chez elle aux heures où la télé diffuse des reportages en direct du palais de justice. Tous les soirs, CNN consacre une heure d’émission aux débats, mais c’est plus qu’elle ne peut en ingérer. Son travail la retient à l’hôpital au moins quatre-vingts heures par semaine et, du reste, elle a plus que soupé de Greta Van Susteren et Roger Cossack durant les deux procès Simpson. Par chance, toutes les chaînes de la ville consacrent une large part de leurs éditions du soir au procès. Sa préférence va au commentaire de Bob Pugsley, à 22 h 30 sur Channel 13.
Carla croyait ne plus jamais avoir affaire aux Tosoks mais alors qu’elle préparait Hask en vue de l’intervention, elle a vu quelque chose qui l’a rendue perplexe et qu’elle ne s’explique toujours pas.
À l’écran, Dale Rice vient d’apparaître sur le seuil du tribunal. Il est aussitôt assailli par une centaine de reporters qui lui hurlent des questions sur les chances d’acquittement de son client et sur l’influence supposée de sa blessure sur le verdict.
Il est probable que le numéro personnel de Dale Rice n’est pas dans le bottin (une précaution commune à beaucoup de médecins et avocats), mais il y figure certainement à titre professionnel. Hernandez ne connaît pas le nom de son cabinet, mais cela vaut quand même la peine d’essayer. Elle se lève de son canapé et va chercher l’annuaire.
Il existe bien un cabinet du nom de Rice & Associés, situé dans West Second Street.
Elle se promet d’appeler dès le lendemain.
Tous les matins, Frank a rendez-vous à huit heures trente au siège de Rice & Associés pour un rapide briefing. Ce matin-là, en pénétrant dans le bureau de Dale, il trouve celui-ci engoncé dans son fauteuil, ses grosses paluches nouées sur la nuque.
— Je crois que c’est Stant l’assassin.
— Pourquoi ça ? interroge Frank, interloqué.
— S’il a invoqué le Cinquième Amendement quand on l’a questionné à propos du sang, c’est sûrement qu’il avait quelque chose à cacher. Avec ça, c’est un chirurgien expérimenté – après tout, c’est lui qui a extrait la balle du corps de Hask. Or, il a été établi que le meurtrier avait de solides connaissances médicales.
— Et son alibi, alors ?
Dale repousse l’objection d’un haussement d’épaules.
— Son alibi repose entièrement sur les témoignages de ses congénères. Leurs chaises se trouvant derrière le dernier rang de spectateurs, ils étaient regroupés au fond de la salle. La conférence de Stephen Jay Gould était illustrée de diapos ; il s’est écoulé plus d’une heure avant qu’on ne rallume la salle pour une séance de questions. L’amphithéâtre n’est qu’à cinq minutes de la résidence. Stant avait amplement le temps de sortir – sous le prétexte d’aller aux toilettes, par exemple –, d’accomplir son méfait et de revenir avant la fin. Comme il possède une clé de la résidence, il pouvait très bien entrer par-derrière.
— Et il aurait traversé le campus sans que personne ne le voie ?
— N’oubliez pas qu’il faisait nuit noire. En plus, le campus était presque désert en raison des vacances de Noël.
— Possible, admet Frank en se grattant le menton. Et après ? Vous comptez sur le flou qui entoure la chronologie des faits pour démonter le dossier de l’accusation ?
— Il est un peu tard pour réviser notre stratégie mais d’après notre jury fantôme, Hask est toujours en passe d’être condamné si nous n’apportons pas d’éléments nouveaux. J’espérais que l’attentat dont il a été victime inclinerait les jurés à une plus grande clémence, mais on dirait qu’il n’en est rien.
— S’il s’avère que les Tosoks cherchent à couvrir Stant, on ne pourra pas compter sur leur aide. À ce propos, je me demande bien pourquoi ils le protégeraient lui plutôt que Hask…
— Hask a lui-même répondu à votre question. Il a le titre de premier, c’est-à-dire qu’il est le membre le moins important de l’équipage. Peut-être Kelkad a-t-il délibérément choisi de lui faire porter le chapeau.