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Frank paraît méditer cela, puis il remarque :

— Et Hask paraît assez loyal pour se plier à sa décision, quoi qu’il lui en coûte.

— Tout juste, opine Dale avant de jeter un coup d’œil à la pendulette en cuivre. Bon, il est temps d’y aller.

— Rice & Associés, j’écoute ?

— Bonjour. Je voudrais parler à Dale Rice, s’il vous plaît.

— Maître Rice est déjà en route pour le tribunal. Souhaitez-vous lui laisser un message ?

— Euh… Oui. Pourriez-vous lui dire que le docteur Carla Hernandez a appelé ? Je dirige le service de chirurgie de l’USC Medical Center et, à ce titre, j’ai participé à l’opération qu’a subie son client, Hask.

— Je lui ferai part de votre appel.

— Bonjour à tous, déclare le juge Pringle. L’État de Californie contre Hask. Le jury est présent, de même que l’accusé et ses avocats, maîtres Rice et Katayama. Le ministère public est représenté par maîtres Ziegler et Diamond.

Elle lève alors les yeux et a le regard attiré par un mouvement au niveau de la rangée de chaises réservées aux Tosoks. Stant a le bras ventral plié de façon à atteindre la zone entre ce bras et sa jambe gauche. D’un doigt, il exerce une traction sur une écaille en partie décollée, jusqu’à ce qu’elle tombe. Il s’attaque alors aux écailles voisines, en arrachant six ou sept d’un coup. De ses doigts courts aux extrémités aplaties, il gratte la peau blanche ainsi mise à nu tandis que son toupet remue d’avant en arrière, exprimant des sentiments que le juge ne parvient pas à déchiffrer.

— Vous, là-bas, appelle-t-elle. Le Tosok au milieu du rang…

— Mon nom est Stant, dit-il en relevant la tête.

— Vous vous sentez bien ?

— Très bien, mais…

— Qu’est-ce qui arrive à votre peau ?

Une déchirure est apparue sur le flanc de Stant, partant de la zone qu’il vient de découvrir ; ses bords épousent exactement les côtés des écailles en losange.

— Je suis en train de muer, répond Stant en se soulevant de sa chaise. Veuillez m’excuser, je ferais mieux de quitter la salle.

— S’agit-il d’une expérience intime, qui doive se pratiquer dans le secret ?

— Pas du tout. Cela ne concerne que l’extérieur du corps. Toutefois…

— Dans ce cas, ne vous sentez pas obligé de sortir.

Stant hésite quelques secondes avant de se rasseoir. Au même moment, Dale bondit de sa chaise, comme entraîné par un mouvement de bascule.

— Votre Honneur, je ne crois pas que ce soit un spectacle pour le jury.

Jusque-là indécise, Linda Ziegler opte pour l’attitude la plus confortable qui consiste à prendre systématiquement le contre-pied de ce que dit son adversaire.

— Au contraire, Votre Honneur. Si une telle démonstration avait pu être programmée, je n’aurais pas manqué de l’inclure dans les pièces du ministère public.

— C’est trop tard pour ça, objecte Dale. De plus…

— Ça suffit, le coupe le juge. Mr Stant n’avait pas l’intention de perturber l’audience, aussi je l’autorise à demeurer. Au besoin, je l’appellerai personnellement à la barre.

Dale bout de rage. De son côté, Stant a ramené son bras dorsal vers l’avant et tire à deux mains sur les bords de la déchirure pour l’agrandir. La peau usagée se détache sans difficulté, avec un bruit comparable à celui d’un sparadrap arraché. Ensuite, il fait jouer les articulations de ses membres, créant une seconde, puis une troisième rupture. Dans le même temps, il se sert de ses doigts pour se gratter aux endroits où affleure sa nouvelle peau.

Stant mettra un peu plus d’un quart d’heure à se défaire de sa peau. Durant tout ce temps, les regards de l’assistance resteront fixés sur lui. La plupart des visages expriment la fascination, bien qu’un homme affecté d’un sévère coup de soleil ne puisse s’empêcher de grimacer. La dépouille comprend quatre parties ; Stant les roule en boule puis les fourre dans un sac en toile qu’il avait glissé sous sa chaise. Sa nouvelle peau est d’un blanc légèrement teinté de jaune et elle brille d’un éclat intense sous les néons fluorescents.

— C’est fascinant, murmure le juge avec une satisfaction évidente. À présent, revenons à l’ordre du jour. Maître Rice, vous pouvez appeler le témoin suivant…

Chapitre 29

Dale pousse la porte de son bureau et la tient ouverte pour Frank qui gagne aussitôt son fauteuil habituel. Dale jette un coup d’œil à sa montre -17 h 40 – et va extraire une bouteille de cognac du bar au fond de la pièce. Il la tourne vers Frank de sorte qu’il puisse lire l’étiquette. Comme il lui fait un signe de tête approbateur, il se retourne afin de remplir deux verres puis revient vers le bureau et tend son verre à Frank avant de s’abîmer dans son fauteuil personnel.

La secrétaire a laissé sur la table, formant une pile bien nette, un paquet de fiches arrachées à un bloc téléphone. Après avoir bu une gorgée de cognac, Dale entreprend de passer les messages en revue : son frère, un membre de la bande à Larry King, une invitation à donner une conférence émanant de l’association de défense des droits civiques des Noirs…

— Excusez-moi, Frank, mais il faut que je rappelle Carla Hernandez.

Frank retient la question qui était déjà sur ses lèvres (tout compte fait, ce nom lui dit quelque chose) tandis que Dale compose le numéro sur le clavier de son téléphone.

— Allô ? Ici Dale Rice. Pourrais-je parler au docteur Hernandez ? Merci, j’attendrai. Elle est déjà en ligne, explique-t-il en plaquant une main sur le micro. Docteur Hernandez ? Ici Dale Rice. Désolé de n’avoir pas rappelé plus tôt, mais j’ai passé la journée au tribunal. Non, rien ne s’oppose à ce que vous entriez en relation avec moi. QUOI ? Vous êtes sûre d’en avoir vu trois ?

Intrigué, Frank se penche en avant.

— Il ne pouvait pas s’agir d’autre chose ? Vous avez des clichés ? Ah ! Elles n’apparaissent pas sur les radios. Néanmoins, vous êtes certaine de ce que vous avancez ? Très bien. Non, vous avez eu raison de m’en parler. Merci. Je vous rappelle bientôt. Merci encore. Au revoir.

— Qu’est-ce que c’est ? l’interroge Frank après qu’il a raccroché.

— Trop tôt pour le dire. Peut-être le miracle qu’on espérait.

Dale a déjà cité le révérend Oren Brisbee comme expert dans d’autres affaires (rien de tel qu’un prédicateur baptiste pour vous captiver un jury) quoique, dans le cas présent, ce choix puisse paraître incongru au vu de ses déclarations en faveur de l’exécution de Hask Mais, d’un autre côté, la culpabilité de celui-ci n’a pas encore été établie.

— Mon révérend, commence Dale, un des yeux du docteur Calhoun a disparu. Pouvez-vous dire à la Cour ce qui fait à votre sens la spécificité de l’œil humain ?

Brisbee arbore un large sourire, ravi qu’on lui donne l’occasion de s’exprimer sur un de ses sujets favoris.

— Ah ! mon frère, l’œil humain… Cette preuve absolue du génie de Dieu ! De toutes les merveilles de la création, aucune ne dénonce plus clairement le mensonge de la théorie de l’évolution.

— Pourquoi cela, révérend ?

— Pourquoi, mon frère ? Mais parce qu’un instrument aussi complexe que l’œil humain ne peut être dû au hasard. Les évolutionnistes voudraient nous faire croire que la vie a progressé par étapes successives, petit à petit, au lieu d’avoir été créée par Dieu en une seule fois. Mais l’œil, l’œil est un parfait contre-exemple de cette thèse impie. Non, l’œil ne peut être le fruit d’une évolution…