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Un appel au sang et à la mort…

Beuglant plus que chantant, Loial entreprit de tailler en pièces les Trollocs. Erith et les autres Ogiers vinrent lui prêter main-forte. En un éclair, l’élan de ce groupe de monstres – qui flanquait le gros de leurs forces – fut brisé net.

Loial n’avait jamais eu l’intention de mener la charge. Pourtant, il l’avait fait.

Face à un Trolloc à tête de bélier, le jeune Ogier abattit son arme et coupa net le bras du monstre. Fou de douleur, celui-ci tomba à genoux – une cible idéale pour Erith, qui lui décocha un coup de pied dans la tête et l’envoya valser dans les pattes d’un autre monstre.

Même au cœur de l’action, Loial ne cessa pas de chanter. Son appel au sang et à la mort, il tenait à ce que ses ennemis l’entendent.

Sinon, la bataille, jusqu’à présent, ressemblait à une séance de coupe du bois mort. L’ancien Haman à leurs côtés – lui aussi gardait les oreilles en berne, mais il paraissait incroyablement féroce –, Erith et Loial, en somme, débitaient du Trolloc. Et l’ancien partageait leur ferveur enragée.

Les Capes Blanches que les Ogiers venaient relever s’écartèrent pour leur laisser la place.

Loial se battit, chantant, rugissant et tuant – avec une hache de bûcheron, jamais conçue pour trancher la chair. Tout ce qui touchait au bois exigeait une grande déférence. Ça, c’était de l’élagage de lianes. Des lianes tueuses et empoisonnées, certes, mais rien de plus que ça.

Face aux Ogiers, les Trollocs prirent soudain peur. Loial le lut dans leurs yeux et il adora ça. D’habitude, ces monstres affrontaient des humains, tous plus petits qu’eux.

Face à des adversaires de leur taille, ils n’en menaient pas large, et ils furent bientôt obligés de reculer. Multipliant les coups, Loial coupait des membres et ouvrait en deux des torses.

Se plaçant entre deux monstres au museau d’ours, il les massacra en criant de rage. À cause de ce que les Trollocs avaient fait aux Ogiers, cette fois… Dans leurs paisibles Sanctuaires, Loial et les siens auraient dû être en train de savourer le calme et le silence. Ils auraient dû se consacrer au chant, à construire, à se développer…

Hélas, c’était impossible à cause de ces… maudites « lianes » ! Les Ogiers contraints de tuer, c’étaient des bâtisseurs forcés de démolir. Par la faute des monstres, les humains et les Ogiers devaient se transformer en machines à massacrer.

L’appel au sang et à la mort !

Eh bien, le Ténébreux verrait ce que les Ogiers avaient dans le ventre. N’ayant pas le choix, ils allaient se battre et tuer. Mieux que n’importe quel humain, Trolloc ou Myrddraal.

La terreur des monstres indiquait qu’ils commençaient à comprendre de quoi il retournait.

— Par la Lumière ! s’écria Galad, revenu de la première ligne avec ses hommes. Par la Lumière !

La charge des Ogiers était une glorieuse boucherie. Les oreilles en berne, les yeux écarquillés et le visage dur comme une enclume, ces êtres se battaient comme des bêtes fauves. Toute placidité disparue, ils renversaient les monstres comme des quilles puis les clouaient au sol pour l’éternité.

La deuxième vague d’Ogiers, pour l’essentiel composée de femmes, se chargeait des « finitions » avec des coutelas presque aussi longs que des épées. Accessoirement, ces guerrières jetaient à terre les monstres encore debout après le passage de leurs homologues masculins.

À l’origine, Galad trouvait les Trollocs terrifiants à cause du mélange, chez eux, d’humanité et de bestialité. À présent, les Ogiers le perturbaient davantage. Les monstres, après tout, étaient faits pour répugner. Les Ogiers, eux, se montraient doux, amicaux et bienveillants. Alors, les voir charger tout en entonnant leur mortelle chanson, armés de haches plus hautes qu’un homme, avait de quoi glacer les sangs.

Galad fit signe à ses Fils de continuer à se replier, puis il se baissa pour éviter un Trolloc volant qui alla s’écraser contre un arbre. Dans leur rage, certains Ogiers saisissaient les Trollocs blessés par les bras et les envoyaient valser dans les airs. Partout, des congénères de Loial, couverts de sang, coupaient et hachaient de la chair comme des bouchers s’occupant d’une carcasse.

De temps en temps, un de ces êtres tombait, mais c’était rare. La peau très dure, ils n’avaient pas besoin d’une cuirasse ou d’un plastron.

— Lumière ! lança Trom en rejoignant Galad. As-tu jamais vu une chose pareille ?

Le jeune seigneur général secoua la tête. La réponse la plus honnête qu’il pouvait donner.

— Si j’avais des régiments pareils…, fit Trom.

— Ce sont des Suppôts, dit Golever, qui venait d’arriver. L’engeance du démon, même…

— Les Ogiers ne sont pas des Créatures des Ténèbres ! lança Galad. Pas plus que moi ! Regarde, ils réduisent en bouillie les Trollocs.

— Avant de se retourner brusquement contre nous, insista Golever. Écoute…

Il se tut, tendant l’oreille pour capter le chant martial des Ogiers.

Se fichant des éructations de leurs Myrddraals, des Trollocs se débandaient sans demander leur reste. Mais les tueurs de Loial ne les laissaient pas s’en tirer à si bon compte. Les poursuivants, ils leur coupaient les jambes puis les laissaient achever par les femmes qui les suivaient.

— Et là, qu’en dis-tu ? demanda Trom à Golever.

— C’est peut-être un plan… Une ruse pour gagner notre confiance.

— Golever, ne sois pas idiot !

— Qui t’autorise à… ?

Galad leva une main.

— Rassemblez les blessés ! On file vers le pont.

Rand laissa se dissiper les couleurs tourbillonnantes.

— Je vais bientôt partir, annonça-t-il.

— Te battre ? demanda Moiraine.

— Non, voir Mat. Il est à Ebou Dar.

Rand revenait du camp d’Elayne, au champ de Merrilor. Sa conversation avec Tam continuait à tourner en boucle dans sa tête.

Tout lâcher !

C’était plus facile à dire qu’à faire. Pourtant, depuis ce dialogue, un poids avait cessé de peser sur lui. Dans les propos de Tam, qui pouvaient sembler évidents, il y avait une profondeur cachée.

Rand secoua la tête. Il n’aurait pas dû perdre son temps à penser à des choses pareilles. Son seul souci, ce devait être l’Ultime Bataille.

J’ai réussi à approcher de mon objectif sans attirer l’attention, pensa-t-il en tapotant le manche en corne du couteau offert par Elayne. On dirait que c’est vrai. Quand je le porte, le Ténébreux ne sent pas mon approche.

Avant de s’occuper de son ennemi mortel, Rand devait encore régler le problème des Seanchaniens. Si Thom disait vrai, Mat pouvait être la clé de cette affaire. L’Empire devait signer la Paix du Dragon. Sinon…

— Ton expression, là, je m’en souviens très bien, Rand al’Thor. La consternation ! Tu es très bon pour ça.

Rand se tourna vers Moiraine. Derrière elle, sur une table, on avait déroulé les cartes envoyées par Aviendha. On y voyait les positions où les forces de Rand pourraient se rassembler dans la Flétrissure.

Moiraine vint se camper près de Rand.

— Sais-tu que j’ai passé des heures à réfléchir, tentant de découvrir ce que ton esprit bizarre mijotait ? Je m’étonne encore de ne pas m’être arraché les cheveux de frustration.

— J’ai été idiot de ne pas vous faire confiance, avoua Rand.

L’Aes Sedai eut un rire de gorge. Celui d’une sœur qui contrôle totalement ses réactions.

— Tu me faisais assez confiance… Le peu que tu ne partageais pas, c’était ça, le plus frustrant. Parce que sinon, tu te fiais à moi.

Rand inspira à fond. Au champ de Merrilor, l’air était meilleur qu’ailleurs. Parce qu’il y avait ramené la vie. L’herbe poussait et les fleurs bourgeonnaient.