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— La Roue tisse comme elle l’entend, souffla Moiraine en savourant son infusion.

Préparée par le Dragon, la boisson était aussi bonne et intense qu’en de bien meilleurs jours. Exempte de la souillure du Ténébreux, en quelque sorte.

Oui, la Roue tissait comme elle l’entendait. Parfois, Moiraine aurait souhaité que la Trame soit plus facile à comprendre…

— Tout le monde sait ce qu’il doit faire ? demanda Lan en se tournant sur la selle de Mandarb.

Andere acquiesça. Il avait fait passer le mot aux souverains, qui l’avaient transmis à leurs officiers supérieurs. Au dernier moment, les ordres avaient été communiqués aux soldats.

Parmi eux, il devait y avoir des Suppôts, comme partout ailleurs. Même en faisant venir des hordes de chats, on ne débarrassait jamais une ville de ses rats. Si la Lumière le voulait bien, les espions du Ténébreux ne pourraient pas prévenir à temps leur maître.

— En avant ! dit Lan en talonnant Mandarb.

Andere leva bien haut l’étendard du Malkier et vint galoper à côté de son roi. Derrière eux, tous les braves du défunt royaume se mirent en branle. Parmi ces hommes, beaucoup, en réalité, avaient très peu de sang du Malkier. Issus d’autres nations frontalières, ils avaient pourtant choisi de chevaucher sous l’étendard de Lan et ils arboraient même un hadori.

Des milliers et des milliers de cavaliers suivaient Lan, les sabots de leurs chevaux faisant trembler le sol. Pour ces hommes, la retraite avait été longue et difficile. Grâce à leur supériorité numérique, les Trollocs avaient plus d’une fois menacé de les encercler. En principe, les cavaliers de Lan étaient d’une extrême mobilité, mais celle-ci avait quand même ses limites, et les Trollocs pouvaient avancer très vite. Plus que les humains, surtout quand des Blafards les stimulaient à coups de fouet. Par bonheur, la politique de la terre brûlée avait considérablement ralenti les monstres. Sans ça, les héros du Malkier n’auraient sans doute pas pu s’échapper.

Quand les Seigneurs de la Terreur déchaînèrent leur Feu, Lan se coucha sur l’encolure de sa monture. Sur sa gauche, attaché à son cheval parce qu’il avait perdu une jambe, l’Asha’man Deepe ne quittait pas Lan d’un pouce. Quand une boule de feu jaillit, le visant directement, Deepe se concentra, tendit les mains et la fit exploser en plein vol.

Des braises retombèrent en pluie au milieu de la fumée. L’une s’abattant sur le crâne de Mandarb, Lan la chassa de sa main gantée. Dans son excitation, l’équidé parut ne pas s’en être aperçu.

Le sol, ici, était composé de glaise. Quant au terrain, il consistait en une succession de collines moutonnantes couvertes d’herbe flétrie, de buttes rocheuses et de bosquets décrépits. Lors de leur retraite, les hommes de Lan avaient longé la rivière Mora. Une protection efficace contre les Trollocs qui menaçaient de les attaquer depuis l’ouest.

À l’horizon, on distinguait deux colonnes de fumée. Fal Dara et Fal Moran. Les deux plus grandes villes du Shienar, incendiées par leurs habitants, à l’instar des fermes et des vergers environnants. Bref, de tout ce qui aurait pu servir à nourrir les hordes de Trollocs.

Tenir ces cités aurait été impossible. Du coup, il avait fallu les détruire.

À présent, l’heure était à la contre-attaque.

Face à la cavalerie légère du Shienar et du Malkier, les Trollocs érigèrent une barricade de lances. Mettant la sienne à l’horizontale, Lan la cala le long du corps de Mandarb. Puis il se pencha en avant, serra avec ses genoux les flancs de l’étalon et espéra que ses forces non conventionnelles – grâce à des renforts envoyés par Egwene, il disposait désormais de quatorze personnes capables de canaliser – feraient leur part du boulot.

Devant les Trollocs, le sol s’ouvrit en deux. Aussitôt, leur première ligne se débanda.

Lan choisit sa première cible, un monstre à hure de sanglier qui insultait ses congénères parce qu’ils tentaient de fuir les explosions. Lan visa le cou, sa lance le transperça et Mandarb envoya le moribond valser sur le côté – tout en piétinant une autre créature répugnante.

Dans un vacarme infernal, la cavalerie arriva au contact avec l’ennemi. Portée par son élan, elle enfonça sans peine leurs premiers rangs.

Lorsque la charge ralentit, le mari de Nynaeve lança son arme à Andere, qui la saisit adroitement au vol. Presque dans le même mouvement, Lan dégaina son épée.

Le Bûcheron Étête la Jeune Pousse. Les Fleurs de Pommier dans le Vent…

Pour un homme à cheval, les Trollocs faisaient des cibles faciles. Avec leur taille, ils offraient leur cou et leur tête à l’adversaire – juste à la hauteur idéale.

Une boucherie sans subtilité mais efficace. Alors que Deepe continuait à neutraliser les attaques des Seigneurs de la Terreur, Andere vint se placer à côté de Lan.

Pour l’engeance du démon, l’étendard du roi qu’elle croyait toujours sans couronne agissait comme un aimant sur de la limaille. Alors que les monstres rugissaient et tempêtaient, Lan entendit deux mots de leur langue qui revenaient sans cesse.

Murdru Kar. Murdru Kar. Murdru Kar.

Dans son cocon de vide, Lan se déchaîna, versant froidement le sang des abominations du Ténébreux.

Voilà deux fois que ces horreurs lui volaient le Malkier ! Jamais ces monstres ne comprendraient combien il avait souffert de devoir encore abandonner son royaume natal. Sa tristesse et son deuil, ils n’en avaient rien à faire. En revanche, ils allaient payer pour tout ça. En leur transperçant le torse, sa lame solderait la dette.

Comme souvent, la bataille sombra dans le chaos. Alors que l’armée de Lan avait passé les quatre derniers jours à éviter les escarmouches, les Trollocs étaient assoiffés de sang. Mais les soldats s’étaient concentrés sur leur repli avec assez de maîtrise pour ne pas devoir ferrailler. Bien entendu, les incendies les y avaient beaucoup aidés.

Quatre jours sans l’ombre d’un combat. Puis un assaut massif. C’était la première partie du plan.

— Dai Shan ! appela une voix.

Celle du prince Kaisel, qui désignait l’endroit où les Trollocs avaient réussi à isoler la garde rapprochée de Lan. Son étendard piquait du nez, constata celui-ci.

Andere ! Alors que Lan faisait passer Mandarb entre deux Trollocs, le cheval du porte-étendard s’écroula. Avec une poignée d’hommes, Kaisel accourut afin de soutenir son chef.

Pour ne pas risquer de piétiner son ami, Lan sauta de selle, atterrit souplement et se baissa pour éviter le coup de taille d’un Trolloc.

Vif comme l’éclair, Kaisel coupa au niveau du genou la jambe du monstre.

Lan passa à côté du Trolloc ainsi fauché. Du coin de l’œil, il vit son étendard et le corps qui gisait à côté. Mort ou vivant, il n’aurait su le dire. En tout cas, un Myrddraal levait sa lame noire.

Lan bondit, dévia le coup du Blafard avec son arme et, en ferraillant, piétina son propre étendard. Au sein du vide, on n’avait pas le temps de penser. Seuls l’instinct et l’action existaient.

Sauf que… Un second Blafard caché derrière le cheval mort d’Andere se redressa de toute sa hauteur. Un piège, donc… Abattre l’étendard pour attirer l’attention du roi sans couronne…

Les Myrddraals attaquèrent en même temps. En Lan, le vide ne frémit même pas. Une épée connaissait-elle la peur ? Et à cet instant, Lan n’était plus qu’une lame.

Il opta pour le Héron Déploie ses Ailes. Attaque et défense à l’infini. Si les Blafards étaient insaisissables comme de l’eau, Lan Mandragoran, lui, devenait aussi virevoltant que le vent. Dansant entre les monstres, il esquivait un coup à gauche, en déviait un à droite, en portait un troisième au centre.

Les Myrddraals éructèrent de rage. Sur la gauche de Lan, un rictus sur ses lèvres pâles, le plus grand attaqua. Lan fit un pas de côté, para un estoc surpuissant et coupa le bras de son adversaire au niveau du coude. Profitant de son élan, il frappa de nouveau et trancha net la main de l’autre abomination.