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Les deux épées noires de Thakan’dar tombèrent sur le sol. Sidérés, les Blafards se pétrifièrent. Pas longtemps, mais assez pour que Lan décapite le plus petit et, enchaînant dans la foulée, égorge le plus grand. Une figure joliment baptisée Des Galets Noirs sur la Neige…

Lan s’écarta et secoua un peu son épée pour la débarrasser du sang empoisonné des Blafards. Dans une mare de fluide vital noir, les deux engeances du démon agonisaient en se tordant de rage impuissante.

Autour de la scène, cent cinquante Trollocs au moins s’écroulèrent, raides morts. Liés aux deux Blafards, ils ne leur avaient pas survécu.

Lan se pencha pour tirer Andere de la boue. Le pauvre semblait sonné et son bras droit pendait selon un angle qui aurait dû être impossible. Lan le hissa sur son épaule, puis il souleva l’étendard du bout d’un pied et le saisit dans sa main libre.

Ralliant Mandarb sans incident – dans le coin, il n’y avait plus l’ombre d’un Trolloc –, il confia l’étendard à un des hommes de Kaisel.

— Fais-le nettoyer, puis lève de nouveau mes couleurs.

Une fois Andere hissé en travers de Mandarb, Lan sauta en selle puis essuya son épée sur sa couverture de selle.

À bien y regarder, Andere ne semblait pas touché à mort.

Dans son dos, Lan entendit le prince Kaisel s’exclamer :

— Je savais qu’il était bon, mais là…

— Inutile d’épiloguer, fit sèchement Lan. (Balayant le champ de bataille du regard, il laissa se dissiper le vide.) Deepe, envoie le signal.

L’Asha’man projeta dans les airs un ruban de lumière rouge. Faisant volter Mandarb, Lan pointa son épée en direction du camp. Très vite, ses hommes se rassemblèrent autour de lui. Cette attaque avait toujours été conçue comme une percée suivie d’un repli. L’objectif n’était pas de défendre un front statique. De toute façon, c’était compliqué lors d’une charge de cavalerie.

Alors que les forces de Lan se retiraient, celles du Saldaea et de l’Arafel vinrent prendre la relève, fondant sur les Trollocs pour défoncer leurs lignes et protéger les hommes qui rompaient le combat.

Mandarb écumait de fatigue. Même pour lui, porter deux gaillards lourdement équipés n’était pas un jeu d’enfant, surtout après une charge. Se sachant hors de danger, Lan lui permit de ralentir pour reprendre son souffle.

— Deepe, demanda-t-il quand ils atteignirent leurs lignes arrière, comment va Andere ?

— Quelques côtes brisées, un bras cassé et une blessure à la tête… Je serais surpris qu’il réussisse à compter jusqu’à dix tout seul, en ce moment. Mais j’ai vu pire que ça. D’abord, je guérirai sa plaie à la tête. Le reste peut attendre.

Lan acquiesça et entra dans le camp. Un des gardes – Benish, un type maussade qui portait un voile du Tarabon mais arborait un hadori au-dessus – aida à débarquer Andere du dos de Mandarb. Puis, avec Lan, il leva le blessé à hauteur de l’encolure du cheval de Deepe. Non sans peine, saucissonné à sa monture comme il l’était, l’Asha’man unijambiste posa une main sur la tête d’Andere et se concentra.

La vie revint dans le regard du miraculé. Redevenu conscient, il s’empressa de jurer comme un charretier.

Il s’en sortira, pensa Lan en sondant le front.

Les monstres battaient en retraite. Et le crépuscule ne tarderait plus.

Le prince Kaisel vint avancer au pas à côté de Lan.

— L’étendard du Saldaea arbore les rayures rouges de la reine, dit-il. Lan, elle se mêle de nouveau aux combats.

— Elle porte la couronne. Donc, elle peut faire ce qu’elle veut.

— Tu devrais lui parler, dit Kaisel. Lan, ce n’est pas bien. D’autres femmes du Saldaea commencent à chevaucher avec les hommes.

— J’ai vu quelques-unes de ces guerrières à l’entraînement, dit Lan, sans détourner le regard du champ de bataille. Si je devais miser sur le résultat d’un défi entre l’une d’entre elles et un type des armées du Sud, je parierais sur la gente dame – sans hésiter, crois-moi.

— Mais…

— Cette guerre, c’est tout ou rien. Si je pouvais recruter toutes les femmes des Terres Frontalières et leur mettre une épée dans la main, je le ferais. Faute de mieux, je vais m’abstenir de prendre des décisions stupides. Comme interdire à d’excellentes combattantes de participer à la bataille. Si tu n’es pas d’accord, essaie donc d’aller leur dire de rentrer à la maison. Quand j’aurai retiré ta tête du bout d’une pique, je te promets des funérailles somptueuses.

— Je… Oui, seigneur Mandragoran, souffla Kaisel.

Lan prit sa longue-vue pour mieux voir ce qui se passait sur le front.

— Seigneur, demanda timidement Kaisel, tu crois vraiment que ce plan sera couronné de succès ?

— Il y a trop de Trollocs… Les chefs des hordes du Ténébreux les font pousser comme des mauvaises herbes depuis des années. Les Trollocs sont des goinfres. À chacun, il faut trois fois plus de nourriture qu’à un homme. À l’heure actuelle, il ne doit plus rien rester de consommable dans la Flétrissure. Pour créer cette armée, les Ténèbres ont épuisé leurs réserves. En misant sur l’aptitude des monstres à dévorer leurs congénères tombés au combat…

Les hostilités ayant cessé, les monstres envahissaient déjà le champ de bataille comme une nuée de charognards. Fins gastronomes, ils préféraient la chair humaine, mais ils feraient avec les cadavres de leurs compagnons, s’il le fallait.

Ces quatre derniers jours, Lan les avait passés à éviter les tueries. Avec l’idée, bien entendu, d’affamer les monstres.

Toute la stratégie reposait sur le sacrifice de Fal Dara, de Fal Moran et d’autres cités de l’ouest du Shienar. Fouiller les ruines fumantes en quête de nourriture avait ralenti les monstres, permettant aux hommes de Lan d’organiser et d’exécuter leur repli tactique.

Dans les villes, les « incendiaires » n’avaient pas laissé un gramme de nourriture. Quatre jours de jeûne. Sans aucun système de ravitaillement, les Trollocs devaient manger ce qui leur tombait sous les crocs. Du coup, ils crevaient de faim.

Lan les observa avec sa longue-vue. Un grand nombre n’attendaient pas qu’on ait fait cuire la « viande ». Des bêtes fauves, sans rien d’humain…

Non, ni bêtes ni hommes, mais des Créatures des Ténèbres, pensa Lan en baissant sa longue-vue. Son plan était morbide, mais si la Lumière le voulait bien, il serait efficace. Ses hommes s’étaient battus, et il y avait eu des pertes – en d’autres termes, des appâts pour rendre possible la véritable bataille.

— C’est maintenant…, murmura Lan.

Le seigneur Agelmar le vit aussi. Les cors sonnèrent, et un trait de lumière jaune monta dans l’air. Lan fit volter Mandarb, qui hennit pour protester. Il était fatigué, mais son maître aussi. Pourtant, tous les deux devraient survivre à une autre bataille. Il le fallait.

— Tai’shar Malkier ! rugit Lan.

Abaissant sa lame, il lança ses troupes dans une nouvelle charge. Comme une seule, les cinq armées des Terres Frontalières fondirent sur la horde de Trollocs en train de festoyer.

Oubliant le combat, les monstres se disputaient les charognes.

Tandis qu’il fonçait, Lan entendit les cris des Myrddraals, qui tentaient de remettre les Trollocs en formation de combat. Mais il était trop tard. Occupés à s’empiffrer, la plupart des monstres ne relevèrent pas les yeux avant que leurs bourreaux soient sur eux.

Au moment du contact, les choses ne se passèrent pas comme la fois précédente. Alors, les cavaliers avaient été ralentis par les rangs serrés de monstres, leur percée se révélant très brève avant qu’ils soient obligés d’utiliser leur épée ou leur hache. Mais là, les Trollocs étaient éparpillés…