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Dans le lointain, il entendait la ville s’éveiller, et l’air embaumait grâce aux aiguilles. La température étant clémente, dormir dehors n’avait pas été désagréable, même si retrouver ses vêtements avait du bon.

Un autre officier de la Garde approcha pendant que Tuon finissait de s’habiller. Alors que des aiguilles bruissaient sous ses pieds, il s’inclina humblement devant l’Impératrice.

— Très Haute, nous avons peut-être arrêté un autre tueur. Pas celui de cette nuit, car il n’est pas blessé, mais il tentait de s’introduire au palais. Tu voudras peut-être le voir avant qu’on commence à l’interroger.

— Amène-le-moi, dit Tuon en tirant sur sa robe. Et envoie chercher le général Karede.

L’officier se retira, passant devant Selucia, debout près du sentier qui menait à la clairière. Avançant, elle vint se camper à côté de Tuon. Après avoir mis son chapeau, Mat se plaça sur l’autre flanc de sa femme, l’embout de son ashandarei posé dans l’herbe jaunie.

Mat eut le cœur serré en pensant au crétin qui s’était fait coincer en essayant d’entrer. Ce pouvait être un tueur, bien sûr, mais aussi un mendiant ou un abruti en quête de sensations fortes. Ou bien…

… Le Dragon Réincarné.

Mat grogna entre ses dents. Oui, c’était Rand que des gardes escortaient sur le sentier. Rand, certes, mais en plus vieux et plus buriné que lors de leur dernière rencontre. En personne, fallait-il préciser. Parce qu’il l’avait aperçu récemment dans ces fichues visions. Même s’il s’était entraîné à ne pas penser à son ami pour éviter le phénomène, il lui arrivait encore de se faire avoir.

Quoi qu’il en soit, voir Rand en chair et en os était différent. Surtout après si longtemps…

Lumière, ça remonte à quand ? La dernière fois, je crois, c’est quand il m’a envoyé à Salidar à la suite d’Elayne.

Autant dire une éternité… Avant que Mat vienne à Ebou Dar, avant qu’il croise le gholam pour la première fois. Avant Tylin puis Tuon…

Le front plissé, Mat regarda Rand être conduit devant Tuon, les mains liées dans le dos. Avec les doigts, l’Impératrice conversait avec Selucia. Le Dragon, lui, ne semblait pas le moins du monde inquiet. En pantalon noir, veste rouge et noir et chemise blanche, il n’arborait aucun bijou et n’avait pas d’armes.

— Tuon, commença Mat, c’est…

L’Impératrice tourna la tête… et vit Rand.

— Damane ! s’écria-t-elle, coupant la chique à Mat. Qu’on aille chercher une damane ! Vite, Musicar ! Ne perds pas une seconde !

Le Garde de la Mort fit demi-tour puis s’en fut en appelant à tue-tête la damane et le général Karede.

Très nonchalant malgré ses liens, Rand regarda le militaire s’éloigner.

Bon sang, pensa Mat, troublé, il ressemble bel et bien à un roi.

Un roi cinglé, cependant. Sinon, pourquoi serait-il venu se livrer ainsi à Tuon ?

Ou alors, il avait l’intention de la tuer… Pour un type capable de canaliser, des liens n’étaient rien du tout.

Par le sang et les cendres ! Qu’est-ce que je vais faire dans cette situation ?

Dernièrement, il s’était échiné à éviter Rand…

Le Dragon croisa froidement le regard de Tuon. Prenant une grande inspiration, le jeune flambeur se plaça devant sa femme.

— Rand, mon vieux… Du calme…

— Salut, Mat, fit Rand d’un ton… guilleret.

Par la Lumière, il est dingue !

— Et merci de m’avoir conduit jusqu’à elle.

— T’avoir quoi ?

— Qu’est-ce que ça signifie ? lâcha Tuon.

— Je… Eh bien, c’est juste que…

Les yeux de l’Impératrice lancèrent des éclairs.

— Tu as fait ça ? lança-t-elle à Mat, accusatrice. Tu es venu me voir, prétendument en quête d’affection, tout ça pour le conduire jusqu’ici ? C’est la vérité ?

— Ne le blâme pas, dit Rand. Toi et moi, il fallait qu’on se revoie. Tu sais que c’est vrai.

Mat resta entre les deux belligérants et leva les mains, paume orientée vers la poitrine de chacun.

— Eh, vous deux, on arrête ! Vous m’entendez ?

Des flux invisibles soulevèrent le jeune flambeur du sol.

— Arrête ça, Rand !

— Ce n’est pas moi, fit le Dragon, l’air très concentré. Tiens, je suis sous un bouclier !

Tout en lévitant, Mat palpa son cou puis son torse.

Où est mon médaillon ?

Sous le regard furibard du jeune flambeur, Tuon, l’air vaguement honteuse, glissa une main dans la poche de sa robe. Elle en tira le bijou, peut-être avec l’intention de se protéger de Rand.

Brillant ! pensa Mat.

Elle lui avait subtilisé son bien pendant qu’il dormait, et il ne s’était aperçu de rien. De plus, les copies n’étaient plus dans sa poche.

Les flux d’Air daignèrent reposer Mat sur le sol, à côté de Rand. Karede venait de débouler avec une sul’dam et une damane. Tous les trois écarlates, comme s’ils avaient couru très vite. Les flux d’Air étaient l’œuvre de la damane, bien entendu.

Tuon regarda Rand et Mat, puis elle agita les doigts pour s’adresser à Selucia.

— Merci beaucoup pour ce coup-là, marmonna Mat à l’intention de Rand. Tu es un ami formidable !

— Content de te revoir aussi, fit Rand avec l’ombre d’un sourire.

— Et voilà, ronchonna Mat, tu m’as de nouveau fourré dans la mouise. Comme d’habitude.

— Sans blague ?

— Sans blague… Comme à Rhuidean, dans le désert des Aiels, puis à la Pierre de Tear… et à Deux-Rivières. As-tu compris que je suis parti pour le sud afin d’échapper à ta petite réunion avec Egwene au champ de Merrilor ? Histoire de t’échapper, en fait…

— Tu pensais pouvoir rester loin de moi ? demanda Rand, souriant. Tu croyais qu’on te laisserait faire ?

— Je pouvais toujours essayer… Ne le prends pas mal, Rand, mais tu vas devenir fou et tout ça… J’entendais que tu aies un ami de moins à tuer. Histoire de t’épargner du souci. Au fait, qu’est-ce que tu as fichu avec ta main ?

— Et toi avec ton œil ?

— Un petit accident avec un tire-bouchon et treize aubergistes mauvais coucheurs. Ta main ?

— Perdue en capturant une Rejetée.

— Capturer ? Tu te ramollis.

— Dis-moi que tu as fait mieux ?

— J’ai tué un gholam.

— Moi, j’ai libéré l’Illian de Sammael.

— Certes, mais j’ai épousé l’Impératrice du Seanchan.

— Mat, tu veux vraiment faire un concours de vantardise avec le Dragon Réincarné ? De toute façon, j’ai purifié le saidin. Donc, je gagne.

— Ça ? C’est sans valeur, ce truc…

— Sans valeur ? L’événement le plus important depuis la Dislocation du Monde ?

— Tes Asha’man et toi, vous êtes dingues, alors, qu’est-ce que ça change ? Cela dit, tu as l’air en forme. Tu as fait plus attention à toi, ces derniers temps ?

— Donc, tu te soucies de moi ?

— Bien sûr que oui… Je veux dire… il faut que tu restes en vie… Pour ton petit duel contre le Ténébreux, histoire de nous sauver tous. Content de voir que tu fais tout pour.

— C’est agréable à entendre… Pas de sarcasmes sur ma jolie veste ?

— Pardon ? Des sarcasmes ? Tu es encore vexé pour quelques vannes qui remontent à deux ans ?

— Des vannes ? Tu as refusé de me parler pendant des semaines.