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À leur sujet, Aviendha avait entendu une rumeur dérangeante. Plusieurs Aiels, disait-on, étaient des gai’shain qui avaient abandonné la tenue blanche et la reprendraient, prétendaient-ils, après l’Ultime Bataille.

L’avènement de Rand était censé débarrasser les hommes de tous leurs liens affectifs. Quand il était là, les serments se dépréciaient, et toutes les loyautés, voire alliances, devenaient secondaires face à la nécessité de se mettre à son service lors du dernier combat pour la survie de l’humanité.

Quelque chose poussait Aviendha à traiter ces gens d’imbéciles, mais elle utilisait peut-être ce mot à la légère. Une Matriarche aurait dû avoir une vision des choses plus précise que ça.

Une fois de l’autre côté du portail, Aviendha s’autorisa enfin à se couper de la Source. Aussitôt, le monde lui parut plus terne, comme si la possibilité de percevoir les merveilles de la vie lui était ôtée. Chaque fois, c’était la même chose : une sensation de vide et de perte de substance.

Ituralde et Rhuarc rejoignirent le roi Darlin afin d’évoquer la bataille à venir. Aviendha, elle, accompagna Rand jusqu’à sa tente.

— Le couteau, il fonctionne, dit le Dragon. (Il sortit de sa poche l’arme, ordinaire et sans tranchant aiguisé, glissée dans un fourreau noir.) Un artham. J’en ai entendu parler durant l’Âge des Légendes, mais personne n’en avait créé un. Je me demande qui a finalement réussi…

— Tu es certain qu’il est efficace ? demanda Aviendha. Le Ténébreux t’a peut-être observé, mais sans se montrer.

— Non, j’aurais senti qu’il se concentrait sur moi. C’est efficace ! Avec cet artefact, il ne me sentira pas jusqu’à ce que je sois arrivé devant la brèche. Et quand il saura que je suis là, il aura du mal à me voir et à me… viser. Aviendha, quand je pense que tu as trouvé cet objet, que tu l’as identifié, et qu’Elayne me l’a donné… La Trame nous tisse exactement là où nous devons être.

Rand sourit puis ajouta :

— Elayne avait l’air triste, quand elle m’a offert ce couteau. Je crois qu’une part d’elle-même voulait le garder pour son propre usage – parce qu’elle aurait pu maudire mille fois le Ténébreux sans attirer son attention.

— Tu crois que c’est le moment de plaisanter ? grogna Aviendha avec un regard noir.

— Si j’ai jamais eu besoin de rire un peu, c’est maintenant, dit Rand, sans une once de joie dans la voix.

Alors qu’ils atteignaient sa tente, son anxiété était revenue en force.

— Qu’est-ce qui te perturbe ? demanda Aviendha.

— Nos ennemis détiennent les sceaux.

— Quoi ?

— Egwene est la seule à le savoir, mais c’est la triste vérité. Ils ont été volés. Peut-être là où je les ai cachés, ou après que je les lui ai donnés.

— Donc, ils sont brisés !

— Non, parce que je le sentirais… Je crois que nos ennemis attendent… Peut-être parce qu’ils savent qu’en les brisant ils me procureront l’occasion de reconstruire la prison du Ténébreux. Ils les briseront au pire moment pour nous, afin que le Ténébreux puisse toucher le monde – sans doute pour lui donner la force de vaincre, quand nous nous affronterons.

— Nous trouverons un moyen de les en empêcher, assura Aviendha.

— La guerrière, toujours…, fit Rand avec un sourire.

— Bien entendu.

Qu’aurait-elle pu être d’autre ?

— J’ai un autre souci. Quand j’entrerai pour combattre leur maître, les Rejetés tenteront de me frapper. Le Ténébreux ne peut pas me voir ni déterminer où je suis. Du coup, il répartit ses forces entre les différents fronts. Contre Lan, les Ténèbres tentent tout pour vaincre. Même chose devant Cairhien, où combat Elayne. La seule qui semble s’en sortir, c’est Egwene.

» Sur tous ces fronts, le Ténébreux me cherche, et il n’hésite pas à engager d’immenses troupes. Quand nous attaquerons le mont Shayol Ghul, nous devrons tenir la vallée face à des hordes d’adversaires. Les Rejetés, eux, utiliseront des portails pour rejoindre leur maître. Nos Teariens ne les empêcheront pas de passer, même chose pour les Seigneurs de la Terreur, mâles et femelles. Ma confrontation contre le Ténébreux les attirera, comme ce fut le cas quand j’ai purifié le saidin. Mais l’appel sera mille fois plus fort ! Ils viendront avec le feu et le tonnerre, et ils feront un massacre.

— Nous aussi.

— J’espère bien… Mais je ne peux pas t’emmener dans la grotte du Ténébreux, Aviendha.

Même si elle la combattit, la poignarda et la laissa mourir, Aviendha éprouva une profonde déception.

— Je m’en doutais… Mais n’ose pas penser m’envoyer en sécurité, Rand al’Thor. Tu risquerais…

— Loin de moi cette idée ! Si j’essayais, tu me ferais la peau, et de toute façon, on n’est plus en sécurité nulle part. Si je ne peux pas t’emmener dans la grotte, c’est parce que tu devras être dans la vallée pour t’occuper des Rejetés et des sceaux. J’ai besoin de toi, Aviendha ! Pendant ce combat, il faut que vous soyez toutes les trois mes yeux et mes mains. Min, je l’enverrai auprès d’Egwene. Sur ce front, il va se passer quelque chose, j’en suis certain. Elayne se battra dans le Sud, et toi… J’ai besoin que tu surveilles mes arrières dans la vallée de Thakan’dar.

» Je laisserai des ordres pour les Aes Sedai et les Asha’man. Ituralde commande nos troupes, mais les hommes en noir et les sœurs, c’est toi qui les dirigeras. Tu dois empêcher mes ennemis d’entrer dans la grotte après moi. Dans ce duel, tu seras ma lance. Si on m’attaque quand je serai face au Ténébreux, je ne pourrai rien faire. Pour gagner, j’aurai besoin de toute ma concentration et de toute ma puissance. En un sens, je serai un bébé couché au pied d’un arbre dans la forêt, à la merci des bêtes sauvages.

— En quoi est-ce différent de ta situation habituelle, Rand al’Thor ?

Rand sourit. Aviendha se félicita de pouvoir voir et apprécier ce sourire.

— Je croyais que l’heure n’était pas à la plaisanterie ?

— Il faut bien que quelqu’un te rappelle à l’humilité, dit l’Aielle. Il serait désolant que tu attrapes la grosse tête simplement parce que tu vas sauver le monde.

Rand sourit encore puis guida sa compagne jusqu’à la tente où attendait Min. Nynaeve et Moiraine patientaient devant – l’une en fulminant, l’autre sereine comme à son habitude.

Avec des cheveux trop courts pour être nattés, Nynaeve avait l’air… bizarre. Aujourd’hui, elle s’était fait une sorte de chignon.

Assise sur un rocher, Callandor sur les genoux, Moiraine gardait une main protectrice posée sur sa poignée. À côté d’elle, Thom taillait un morceau de bois en sifflotant en sourdine.

— Tu aurais dû me choisir, Rand, grogna Nynaeve, les bras croisés.

— Tu as une mission à accomplir. As-tu essayé, comme je te l’ai ordonné ?

— Sans relâche. Impossible de contourner le défaut, Rand. Tu ne peux pas utiliser Callandor. Ce serait trop dangereux.

Rand approcha de Moiraine et saisit l’épée que la sœur lui tendait. La levant au niveau de ses yeux, il étudia sa surface cristalline. À son contact, l’arme brilla faiblement.

Sur ces entrefaites, Min sortit de la tente.

— Min, j’ai une tâche à te confier, souffla Rand. Egwene s’en tire très bien, et j’ai le pressentiment que son front sera décisif. Je veux que tu la rejoignes pour garder un œil sur elle et sur l’Impératrice du Seanchan, qui devrait venir la retrouver dès que ses forces seront prêtes.