Выбрать главу

— Tu as affecté les Seanchaniens sur le champ de bataille d’Egwene ? demanda Moiraine, stupéfiée. Tu trouves ça… prudent ?

— Ces derniers temps, je ne distingue plus la sagesse de la folie. Mais je serais rassuré si quelqu’un surveillait un peu ces deux factions… Min, tu veux bien le faire ?

— J’espérais…

Min détourna le regard.

Tu espérais qu’il t’emmènerait dans la grotte, pensa Aviendha.

Ça, Rand ne le pouvait pas.

— Désolé, mais j’ai besoin de toi ailleurs.

— Je ferai ce que tu voudras.

— Rand, intervint Nynaeve, quand tu attaqueras le Ténébreux, emporteras-tu Callandor ? Ses faiblesses… Lorsque tu canaliseras le Pouvoir dans cet objet, n’importe qui pourra te contrôler. Tes ennemis seront en mesure de t’utiliser, et de te vider – via l’épée – d’une énorme quantité de saidin. Tu seras impuissant et carbonisé, alors qu’ils auront gagné assez de force pour raser des montagnes et détruire des villes.

— J’emporterai l’arme, dit Rand.

— Mais c’est un piège !

— Oui, soupira Rand, très las. Un piège dans lequel je dois me précipiter, le laissant se refermer sur moi. (Soudain, il inclina la tête en arrière et éclata de rire.) Comme d’habitude ! Pourquoi devrais-je être étonné ? Nynaeve, fais passer le mot. Dis à Ituralde, à Rhuarc et au roi Darlin que nous nous lancerons demain à l’assaut du mont Shayol Ghul. Oui, nous déclarerons qu’il est à nous ! Puisque nous devons fourrer nos têtes dans la gueule du lion, faisons en sorte qu’il s’étouffe avec.

21

Une erreur à ne pas ignorer

Grimaçant de douleur, Siuan remua les épaules.

— Yukiri, marmonna-t-elle, il faut que tu améliores ton tissage…

La petite sœur grise jura entre ses dents. Agenouillée près d’un soldat qui avait perdu une main, elle se releva à contrecœur. Cet homme, elle ne l’avait pas guéri, le confiant à des thérapeutes plus classiques – du genre qui recouraient à des pansements.

Dépenser de l’énergie pour soigner ce blessé n’aurait pas été raisonnable, puisqu’il ne pourrait jamais plus se battre. Les sœurs devaient réserver leurs forces pour les hommes aptes à retourner sur le front.

Un raisonnement brutal ? Certes, mais à quoi s’attendre d’autre en des temps brutaux ?

Siuan et Yukiri passèrent au soldat suivant. Sans guérison, le manchot s’en tirerait. Enfin, probablement. Les sœurs jaunes étaient à Mayene, mais elles s’épuisaient à secourir les Aes Sedai survivantes et les soldats pas trop gravement amochés.

Dans tout le camp improvisé installé sur le sol de l’Arafel – à l’est du gué du fleuve – des soldats gémissaient ou sanglotaient. Tellement de blessés… Au sein des Aes Sedai présentes, Siuan et Yukiri comptaient parmi les rares encore en mesure d’intervenir. La plupart des autres s’étaient épuisées à ouvrir des portails afin de permettre à l’armée d’échapper à l’étau qui se refermait.

Les Shariens avaient attaqué agressivement. Par bonheur, sécuriser le camp de la Tour Blanche les avait occupés assez longtemps pour permettre aux soldats de fuir. Pas à tous, hélas…

Yukiri sonda le blessé puis hocha la tête. Siuan se pencha et canalisa un tissage thérapeutique. Dans cet exercice, elle n’avait jamais vraiment brillé, et même avec un angreal, ça lui coûtait d’énormes efforts. En guérissant sa plaie au flanc, elle ramena l’homme des portes de la mort. Il eut un spasme, parce que la plus grande partie de l’énergie requise pour le sauver venait de son propre corps.

Siuan vacilla puis se laissa tomber sur les genoux. Par la Lumière ! Elle titubait autant qu’une noble dame le premier jour d’une traversée en mer.

Yukiri étudia sa compagne puis s’empara de son angreal – une petite fleur de pierre.

— Va te reposer, Siuan.

Siuan serra les dents, mais elle ne tenta pas de reprendre le ter’angreal. Alors que le Pouvoir de l’Unique lui échappait, elle soupira, à la fois soulagée et attristée d’être privée de la beauté du saidar.

Yukiri passa au blessé suivant. Siuan s’étendit là où elle était, son corps protestant d’être couvert de bleus et perclus de douleur.

Pour elle, les détails de la bataille étaient brouillés. Elle se souvenait d’avoir vu le jeune Gawyn Trakand entrer sous le pavillon en criant qu’Egwene avait ordonné un repli.

Bryne avait réagi très vite, laissant tomber un ordre écrit dans son fameux portail horizontal. Sa nouvelle façon de transmettre les consignes – un message fermé par un long ruban attaché à la hampe d’une flèche dépourvue de tête mais lestée d’une pierre, pour qu’elle tombe plus vite.

Avant l’arrivée de Gawyn, Bryne était sur des charbons ardents. Le déroulement de la bataille lui déplaisant, il avait déduit de la façon d’agir des Trollocs que leurs maîtres mijotaient quelque chose. L’ordre de se replier, il l’avait sûrement rédigé à l’avance.

Puis il y avait eu des explosions – Yukiri leur criant de sauter dans le portail vertical. Un instant, Siuan avait cru que la sœur grise était devenue folle.

Une folle qui leur avait sauvé la vie à tous, semblait-il.

Que la Lumière me brûle ! pesta Siuan. Pas question que je reste étendue là comme un poisson pêché la veille et oublié sur le pont !

Après un coup d’œil au ciel, l’ancienne Chaire d’Amyrlin se redressa et entreprit de traverser le camp.

Bien que Siuan n’en ait jamais entendu parler, Yukiri maintenait que son tissage n’était pas si obscur que ça. Pour simplifier, il s’agissait d’un coussin d’Air géant conçu pour amortir une chute vertigineuse.

Le tissage avait attiré l’attention des Shariennes – bon sang, il ne manquait plus que ça, des Shariennes ! – mais tous les occupants du pavillon s’étaient esquivés à temps.

Siuan, Bryne, Yukiri et quelques officiers avaient chuté pendant une petite éternité – un souvenir qui retournait encore l’estomac pourtant solide de l’ancienne dirigeante. Lui donner le mal de mer à elle, il fallait le faire !

Selon Yukiri, ce tissage était peut-être le secret qui permettrait de découvrir comment voler. La fichue idiote ! Si le Créateur n’avait pas donné d’ailes aux humains, ce n’était pas pour rien.

Siuan trouva Bryne à la lisière du camp. Épuisé, il s’était laissé tomber sur une souche. Tenues par des pierres, deux cartes déroulées gisaient à ses pieds. Des documents froissés, car il s’en était emparé à la dernière seconde, alors que le pavillon se désintégrait autour d’eux.

Quel crétin ! Risquer sa vie pour des cartes…

— C’est ce que disent les rapports, annonça le général Haerm, qui conversait avec Bryne. Désolé, seigneur, mais les éclaireurs n’ont pas osé s’approcher de notre ancien camp.

Nouveau commandant des Compagnons illianiens, Haerm était un officier expérimenté.

— Pas de signe de la Chaire d’Amyrlin ? demanda Siuan.

Les deux militaires secouèrent la tête.

— Continue à ouvrir grand les yeux, jeune homme, fit l’ancienne dirigeante en pointant un index sur le général.

À l’évidence, l’usage de l’adjectif « jeune » le déconcerta. Logique, quand ça venait d’une femme au visage de gamine.

Que la Lumière me brûle !

— Je suis sérieuse. La Chaire d’Amyrlin est vivante et tu vas la trouver, compris ?

— Oui, Aes Sedai.

L’homme se voulait respectueux, mais ce n’était pas ça… Les Illianiens ne savaient pas comment se comporter avec les sœurs.