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Gaul soupira de soulagement.

Comment ai-je fait ça ? se demanda Perrin.

On ne pouvait pas dire qu’il s’était entraîné. Et sur le coup, l’idée ne lui avait même pas paru bonne.

La Traqueuse de Cœurs – ça ne pouvait être qu’elle – bougea très légèrement les doigts. Le toit de la tente s’ouvrant en deux, elle s’éleva dans les airs et se dirigea vers les nuages noirs.

— Reste ici et sois à l’affût de tout danger, souffla Perrin à Gaul.

L’Aiel hocha la tête.

Prudemment, Perrin suivit la Traqueuse, lévitant par la seule force de sa pensée. Il essaya de générer un autre paravent-illusion, mais ça se révéla vite impossible, car les images changeaient sans arrêt au gré de leur vol. Faisant plus simple, il garda ses distances et fit apparaître au-dessus de lui une sorte de nuage verdâtre. Si elle regardait derrière elle, la Rejetée ne remarquerait sans doute pas cette bizarrerie très mineure.

La Traqueuse accélérant le rythme, Perrin dut se faire violence pour la suivre. Baissant les yeux, il eut l’estomac retourné en constatant que le champ de Merrilor semblait minuscule, contemplé de si haut. Bientôt, il ne fut plus visible derrière les nuages noirs.

Perrin et sa proie ne traversèrent pas cette masse obscure. Alors que le sol disparaissait, les nuages firent de même et ils se retrouvèrent dans une obscurité sans substance. Soudain, des points lumineux apparurent tout autour de Perrin.

La Rejetée s’immobilisa, en vol stationnaire, puis se décida à bifurquer vers la droite.

Perrin suivit le mouvement. Pour se dissimuler, il colora tout en noir – sa peau, ses vêtements et tout ce qui allait avec.

La femme approcha d’un point lumineux qui grossit peu à peu et finit par obstruer l’horizon devant elle.

La Traqueuse de Cœurs tendit les mains et les projeta vers la lumière. Ensuite, elle recommença à marmonner.

Certain qu’il devait entendre ce qu’elle disait, Perrin osa approcher. Et tant pis si les battements affolés de son cœur le trahissaient.

— … me voler ça ? grommelait la Traqueuse. Tu crois que ça me touche ? Me doter d’une gueule cassée ? Et alors, qu’est-ce que j’en ai à faire ? Ce n’est pas moi ! Je prendrai ta place, Moridin ! Elle sera à moi ! Avec ce visage, ils me sous-estimeront, c’est tout ! Que la Lumière te brûle !

Perrin plissa le front, perplexe. Il ne comprenait rien à ce que racontait la Rejetée.

— Vas-y, crétin, lance tes armées contre eux ! éructa la Traqueuse. La victoire finale, c’est à moi qu’elle reviendra. Un insecte peut avoir mille pattes, mais il n’aura jamais qu’une tête. Celui qui la détruit remporte le gros lot. Toi, tu t’échines à couper les pattes, imbécile heureux ! Idiot congénital ! Je recevrai mon dû, tu peux me croire…

La Rejetée hésita, puis elle se retourna. Surpris et inquiet, Perrin se décala sans tarder sur le sol. Par chance, ça fonctionna, ce qu’il n’aurait pas parié d’avance.

Gaul sursauta et le jeune seigneur prit une grande inspiration.

— Allons…

Une boule de feu s’écrasa près de Perrin.

Le jeune homme lâcha un juron, chassa la chaleur en invoquant une bourrasque et imagina qu’il avait son marteau en main.

La Traqueuse de Cœurs se laissa tomber à côté de lui dans une gerbe étincelante d’énergie.

— Qui es-tu ? demanda-t-elle. Et où es-tu ? Je…

La Rejetée étudia Perrin comme si elle le voyait pour la première fois depuis que ses vêtements n’étaient plus noirs.

— Toi ! s’écria-t-elle. Tu es responsable de tout ça !

Ses yeux brillant de haine, la Traqueuse leva les mains. Malgré le vent, Perrin sentit les émotions de son ennemie.

Quand elle projeta sur lui une lance de feu, il la détourna sans le moindre effort.

La Traqueuse sursauta. C’était toujours la même chose : ces gens ne comprenaient pas que rien ici n’était réel. Se dématérialisant, Perrin apparut derrière la Rejetée et leva son marteau. Mais il hésita. Tuer une femme ?

La Traqueuse se retourna, cria et éventra la terre devant les pieds du jeune homme. Quand il se projeta dans le ciel, des tissages d’Air tentèrent de l’immobiliser, mais il se défendit en générant entre eux et lui un mur de néant.

Libre de ses mouvements, il se volatilisa et réapparut sur le sol. Voyant des boules de feu fondre sur lui, il invoqua une sorte de digue de terre.

— Je veux te voir mort ! cria la Traqueuse. Tu devrais l’être, parce que mon plan était parfait.

Perrin se dématérialisa, laissant derrière lui une statue à sa ressemblance. Il réapparut près de la tente, où Gaul regardait autour de lui, une lance brandie. Le jeune seigneur érigea un mur entre eux et la furie, le colorant pour qu’elle ne les voie pas, puis il bloqua aussi les sons.

— Elle ne peut plus nous entendre, dit-il à Gaul.

— Tu es très fort, ici, souligna l’Aiel. Extrêmement fort. Les Matriarches le savent-elles ?

— Comparé à elles, je ne suis qu’un débutant.

— C’est possible… Je ne les ai jamais vues à l’œuvre ici, et elles ne parlent pas de cet endroit aux hommes. (Gaul secoua la tête.) Beaucoup d’honneur, Perrin Aybara. Tu as beaucoup d’honneur.

— J’aurais dû l’abattre quand j’en avais l’occasion, dit Perrin.

Après avoir carbonisé la statue, le Rejetée en approcha, l’air désorientée. Puis elle regarda autour d’elle, avide de trouver un indice.

— Oui, approuva Gaul. Un guerrier qui ne frappe pas une Promise lui refuse tout honneur. Mais pour toi, le plus grand honneur…

… Serait de capturer la Rejetée, comprit Perrin. En était-il capable ? Inspirant à fond, il se décala jusque dans le dos de la Traqueuse, puis imagina que des lianes s’enroulaient autour d’elle pour la neutraliser. Tout en l’injuriant, la femme trancha les tentacules végétaux avec des lames invisibles. Quand elle tendit une main vers Perrin, il se décala sur le côté.

Ses semelles écrasant sur le sol des petites plaques de gel qu’il n’avait pas remarquées, il vit que la Rejetée se tournait vers lui, et lâchait une salve de Torrents de Feu.

Intelligent, pensa Perrin en déviant l’attaque d’extrême justesse. Le feu percuta le versant de la colline, derrière lui, et y fit un trou bien rond.

La Traqueuse ne relâcha pas son tissage, son hideux visage distordu par la haine. Le terrible tissage de Feu rebroussa chemin, fondant de nouveau sur lui. Les dents serrées, il le garda à distance.

Très puissante, la Rejetée insista, mais il ne céda pas et elle dut renoncer.

— Comment… ? Comment peux-tu ?

Perrin remplit de fourche-racine la bouche de la Traqueuse. Pas un jeu d’enfant, ça… Intervenir sur une personne, ici, n’était jamais simple. Cela posé, c’était plus facile que de la métamorphoser en animal, ou une fantaisie dans ce genre.

Les yeux brillant de panique, la Rejetée porta une main à sa bouche. Tentant de cracher, elle n’y parvint pas et, à bout de ressources, ouvrit un portail à côté d’elle.

Perrin imagina des cordes qui volaient vers leur cible, mais elle les détruisit avec une simple lance de flammes – donc, elle devait avoir réussi à cracher la fourche-racine. Alors qu’elle s’engouffrait dans le portail, Perrin se décala pour se retrouver devant l’ouverture, prêt à bondir aussi.

Il s’en abstint quand il vit la Rejetée, sous un ciel nocturne, déboucher au milieu d’une grande armée de Trollocs et de Blafards.

Tous regardaient le portail, l’air avide.

Alors que Perrin reculait, la Rejetée porta de nouveau une main à sa bouche. Tandis qu’elle crachait les restes de fourche-racine, le portail se referma.