— Fouillez la forge, ordonna Aviendha à une poignée de Champions.
Ils obéirent et des Aes Sedai les suivirent. Alors que des tissages faisaient trembler l’entière structure – parce que les sœurs avaient découvert d’autres forgerons –, deux Asha’man emboîtèrent le pas à leurs rivales.
Aviendha sonda la vallée, où la bataille menaçait de changer d’âme. Devant le défilé qui donnait accès au site, il y avait plus de monstres, et ils semblaient mieux préparés et organisés.
Derrière les Aiels, Ituralde sécurisait les zones déjà conquises.
Patience ! s’exhorta Aviendha. Sa mission n’était pas de se jeter dans la mêlée, mais de veiller sur les arrières de Rand tandis qu’il gravissait le chemin puis entrait dans la Fosse de la Perdition.
Une chose l’inquiétait beaucoup. Les Rejetés ne pouvaient-ils pas se transférer dans la grotte via un portail ? Rand ne semblait pas s’en soucier, mais peut-être était-il distrait par l’importance de ce qui lui restait à faire. Devait-elle le rejoindre et… ?
Aviendha leva les yeux et se pétrifia. Cette ombre immense, c’était quoi ?
Là-haut, le soleil brillait dans un ciel turbulent où dérivaient des nuages d’orage noirs et d’autres d’un blanc brillant. Mais ce n’était pas l’un d’eux qui avait voilé la face du soleil. Non, il s’agissait d’une masse noire solide qui se mettait lentement en place.
Aviendha frissonna puis trembla alors que la lumière du jour disparaissait. Des ténèbres bien réelles s’abattaient sur le mont Shayol Ghul.
Dans la vallée, des soldats stupéfiés et angoissés observaient le phénomène. Si toute lumière s’éteignait, la fin du monde ne tarderait plus.
À l’autre bout de la vallée, il y eut comme une explosion de Pouvoir. Oubliant sa surprise, Aviendha regarda autour d’elle. Partout, le sol était jonché de cadavres, de lambeaux de vêtements et d’armes. Le combat se déroulait à l’entrée de la vallée, très loin de la jeune femme. Acharnés, les Aiels tentaient de repousser les Trollocs dans le défilé.
Même si elle ne distinguait plus grand-chose, dans le noir, Aviendha vit que beaucoup de soldats regardaient le ciel. Bizarrement, un grand nombre de Trollocs les imitaient.
Mais la chape d’obscurité se déplaça, dévoilant un tout petit quartier du soleil. Puis l’astre entier réapparut. Ainsi, la fin de tout n’était pas pour aujourd’hui ?
La bataille reprit dans la vallée, et elle n’avait rien d’un jeu d’enfant. Forcer les Trollocs à reculer dans un étroit défilé devait être aussi facile que de faire passer un cheval par une fissure murale. Sans consentir à creuser, ce n’était pas faisable.
— Là-bas ! lança Aviendha en désignant un flanc de la colline, derrière les lignes aielles.
— Je sens qu’une femme canalise le Pouvoir.
— Elle est rudement puissante ! s’exclama Nesune.
— Un cercle ! beugla Aviendha. Tout de suite !
Les membres du groupe se lièrent et laissèrent à la jeune Aielle le contrôle du cercle. Aussitôt, un incroyable flot de Pouvoir se déversa en elle. Un peu comme si elle avait pris une inspiration avec des poumons à la contenance infinie. Un raz-de-marée d’énergie et de puissance qui faisait d’elle l’égale d’un cyclone. Oui, un océan de Pouvoir…
Les bras tendus, Aviendha libéra un tissage très simple et à demi formé. Car, pour qu’elle puisse le modeler, il y avait bien trop de Pouvoir en jeu. De l’Air et du Feu jaillirent de ses mains pour former une colonne aussi large qu’un homme qui se tient avec les bras en croix. Une colonne de feu liquide, mais pas des Torrents de Feu pour autant – Aviendha n’était pas si bête. Cependant, ses flux restaient destructeurs…
La colonne traversa le champ de bataille, faisant fondre le sol rocheux et embrasant des Trollocs. Une grande nappe de brume se volatilisa avec un étrange sifflement, et la terre trembla quand la colonne balaya le flanc de la colline où se tenaient les ennemies capables de canaliser.
Face à la puissance de l’attaque adverse, Aviendha supposa qu’elle avait été lancée par une Rejetée.
La paume poisseuse de sueur, la jeune Aielle laissa se dissiper son tissage. Une fumée noire montait des deux flancs abrupts de la vallée. Sur ces versants, de la roche fondue s’écoulait.
Aviendha se calma et resta concentrée. En elle, le Pouvoir de l’Unique semblait se cabrer, comme s’il voulait échapper à son emprise.
Était-ce parce qu’une grande partie du Pouvoir qu’elle utilisait venait des hommes ? Jusque-là, le Pouvoir de l’Unique n’avait jamais tenté de la détruire.
Pour parer l’assaut suivant, Aviendha n’eut qu’une fraction de seconde. À l’autre bout de la vallée, il y eut une autre explosion de Pouvoir suivie par de fantastiques bourrasques.
Avec un tissage invisible de la taille d’un grand arbre, Aviendha coupa en deux ce vent assassin. Puis elle enchaîna avec une boule de feu – mieux contrôlée, cette fois. Là encore, elle n’avait pas osé recourir aux Torrents de Feu. Comme l’avait prévenue Rand, ça aurait risqué d’élargir la brèche. En d’autres termes, de briser le cadre de la réalité à un endroit où la membrane était déjà très fine.
L’ennemie d’Aviendha ne semblait pas se soumettre aux mêmes limites. Son attaque suivante survint sous la forme d’une barre liquide chauffée à blanc qui rata Aviendha d’un souffle – vraiment, c’était passé très près de sa tête – avant de dévaster la forge, derrière sa cible initiale.
Dans un épouvantable vacarme, l’entière structure s’écroula.
Bon débarras ! pensa Aviendha en se jetant à terre.
— Déployez-vous ! cria-t-elle à ses compagnons. Ne faites pas des cibles faciles !
Aviendha canalisa le Pouvoir afin de générer une tempête où tourbillonnaient de la poussière et des débris. Ensuite, elle recourut à un tissage pour dissimuler l’aura du saidar, autour d’elle. Le mieux à faire pour ne pas être repérée par le camp adverse.
Enfin, elle alla se cacher derrière un tas de scories et de morceaux de fer jetés au rebut. De la matière première dans l’attente d’être refondue.
De nouveau, les Torrents de Feu frappèrent, presque à l’endroit où la jeune Aielle se tenait un peu plus tôt. L’arme terrifiante traversa la roche aussi aisément qu’une lame coupe en deux un melon.
Comme Aviendha, tous ses compagnons avaient trouvé une cachette et ils continuaient à l’alimenter en Pouvoir.
Une telle quantité !
C’était presque suffisant pour briser la concentration d’un adversaire.
Aviendha entreprit de repérer la source des différentes attaques.
— Préparez-vous à me suivre ! cria-t-elle.
Elle ouvrit un portail donnant sur l’endroit où était né le tissage adverse.
— Suivez-moi, puis mettez-vous immédiatement à couvert !
La jeune Aielle bondit et traversa, le Pouvoir de l’Unique puissant en elle comme la foudre, mais miraculeusement contenu.
Elle atterrit sur un versant qui dominait le champ de bataille. En bas, des Promises et des guerriers affrontaient les Trollocs. D’en haut, on eût dit que les Aiels repoussaient une marée noire géante.
Aviendha n’accorda qu’un regard à ce spectacle terrifiant. Creusant le sol avec un tissage élémentaire de Terre, elle en arracha un fragment de roche de la taille d’un cheval et le fit léviter. Le Feu qui fondit sur elle une seconde plus tard désintégra ce bouclier naturel.
Les Torrents de Feu étaient une arme difficile à manier. Parfois, ils dévastaient largement, mais quand ils frappaient une cible distincte – par exemple, une personne – celle-ci se désintégrait et disparaissait. Ainsi, le « bouclier » d’Aviendha fut simplement éjecté de la Trame en un éclair, avant même d’exploser en un millier de fragments.