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La méthode dont personne ne parle. La seule qui permette de gagner. En défiant… Eh bien, en le défiant.

Celui dont nul ne parlait. L’esprit qui se cachait derrière tout ça, quoi que Jarid en dise ou en pense.

Bayrd se redressa. Il restait pas mal de polissage à faire, mais la tête de lance semblait de bonne qualité.

Bayrd leva la hampe de bois de son arme. Lorsque le mal avait frappé le camp, le fer s’en était détaché de lui-même. Très calmement, Bayrd adapta à cette lance la tête qu’il venait de créer. En suivant la méthode indiquée par son grand-père, une éternité plus tôt.

Les autres gardes le dévisagèrent avec des yeux ronds.

— Il nous faut plus de têtes semblables, dit Morear. Si tu veux bien…

Bayrd hocha la tête.

— Au sortir de la ville, nous nous arrêterons au pied du versant de colline où j’ai trouvé l’ardoise.

Jarid cessa enfin de brailler, même si ses yeux restaient écarquillés.

— Non. Tu es un de mes gardes rapprochés. Et tu ne me défieras pas !

Une lueur meurtrière dans le regard, Jarid voulut fondre sur Bayrd. Mais Morear et Rosse le retinrent par-derrière.

L’air stupéfié par ce qu’il venait de faire – un acte d’insubordination –, Rosse ne lâcha pas pour autant son seigneur.

Bayrd ramassa quelques objets autour de sa couverture, puis il fit signe aux autres gars, qui se joignirent à lui.

Huit membres de la garde rapprochée du seigneur l’entraînèrent dans les vestiges du camp. Alors qu’il éructait, ils passèrent devant des braises encore ardentes et des tentes écroulées. Partout, des soldats s’enfonçaient dans les ténèbres en direction du nord. Face au vent.

À la lisière du camp, Bayrd choisit un arbre solide. Dès qu’il leur eut fait signe, ses compagnons y attachèrent Jarid avec la corde qu’ils avaient apportée. Jusqu’à ce que Morear le bâillonne, le seigneur continua à brailler.

Bayrd approcha et posa une outre dans le creux du bras de son ancien chef.

— Ne te débats pas trop, seigneur, sinon, l’outre tombera. Le bâillon n’étant pas trop serré, tu devrais réussir à t’en débarrasser. En soulevant le bras, tu réussiras à boire. Regarde, j’enlève le bouchon.

Jarid foudroya Bayrd du regard.

— Ça n’a rien de personnel, seigneur. Ma famille, tu l’as toujours bien traitée. Mais on ne peut pas te permettre de nous suivre et de nous compliquer la vie. Nous devons faire quelque chose, et tu nous en empêches. Peut-être aurions-nous dû t’en parler plus tôt. Eh bien, c’est fait. Parfois, on laisse une carcasse pendre trop longtemps et tout l’arrière-train se détache…

Bayrd fit signe à ses compagnons, qui allèrent récupérer les couvertures. Puis il désigna la saillie d’ardoise, non loin de là, et précisa à Rosse ce qu’il fallait choisir pour se tailler une bonne tête de lance. Ensuite, il s’adressa de nouveau à Jarid :

— Ce n’étaient pas les sorcières, seigneur. Elayne n’y est pour rien. Enfin, la reine, car c’est ainsi que je devrais l’appeler. Ça fait bizarre d’associer ce terme à une si jolie jeune femme… Plutôt que la vénérer, je préférerais la faire sauter sur mes genoux dans une auberge, mais Andor a besoin d’une dirigeante qui le guide jusqu’à l’Ultime Bataille, et ce ne sera pas ta femme. J’en suis désolé.

Fou de rage, Jarid se tortilla dans ses liens. Bayrd remarqua qu’il pleurait. Un étrange spectacle.

— Si nous croisons des gens, nous leur dirons où tu es, promit Bayrd. En ajoutant que tu portes sans doute des bijoux. Ils viendront peut-être. Oui, peut-être. (Il hésita.) Tu n’aurais pas dû te dresser sur notre chemin. À part toi, tout le monde semble savoir ce qui va se passer. Le Dragon s’est réincarné, les anciens liens sont brisés et les vieux serments ne valent plus rien. Plutôt que laisser Andor marcher sans moi jusqu’à l’Ultime Bataille, j’aimerais mieux être pendu.

Sa nouvelle lance sur l’épaule, Bayrd s’en fut dans la nuit.

J’ai prêté un serment bien antérieur à celui qui me lie à ta famille. Un serment que le Dragon lui-même ne pourrait pas briser.

Un serment qui le liait à Andor. Les pierres coulaient dans son sang et son fluide vital circulait dans les pierres d’Andor.

Ses compagnons dans son sillage, Bayrd prit lui aussi la direction du nord. Derrière eux, leur seigneur commença à marmonner tandis que des spectres sillonnaient le camp.

Talmanes tira sur les rênes de Selfar, qui renâcla et secoua la tête. Le rouan semblait nerveux. Peut-être parce qu’il sentait l’inquiétude de son maître.

De la fumée planait dans l’air nocturne. Des cris, aussi… À la tête de la Compagnie, Talmanes chevauchait sur une route bondée de fugitifs au visage maculé de suie. On eût dit des morceaux de bois charriés par un fleuve boueux.

Les Bras Rouges regardaient ces malheureux avec une inquiétude visible.

— En avant ! leur lança Talmanes. On ne peut pas foncer sur tout le chemin jusqu’à Caemlyn. Mais en avant quand même !

Il faisait avancer les hommes aussi vite qu’il l’osait, presque au pas de course. Du coup, tous leurs équipements cliquetaient. Elayne avait emmené une moitié de la Compagnie au champ de Merrilor – y compris Estean et la plupart des cavaliers. Peut-être parce qu’elle prévoyait de devoir se replier à la hâte.

Eh bien, dans des rues qui seraient sans doute aussi bondées que cette route, Talmanes n’aurait su que faire des cavaliers.

De nouveau, Selfar renâcla et secoua la tête. Ils n’étaient plus bien loin, à présent, le mur d’enceinte de la ville droit devant eux. Dans la nuit, il paraissait noir sur un fond de lumière rouge. Comme si la cité était une fosse à feu.

Par la Grâce et les Étendards vaincus, pensa Talmanes avec un frisson glacé. D’énormes nuages de fumée dérivaient au-dessus de la capitale. C’était terrible. Bien plus que lorsque les Aiels avaient attaqué Cairhien.

Talmanes laissa à Selfar la bride sur le cou. Un moment, le rouan galopa le long du bas-côté de la route, puis l’officier, à contrecœur, décida de fendre la foule en ignorant les appels à l’aide.

Après avoir passé si longtemps avec Mat, il regrettait de ne rien pouvoir faire pour ces gens. Vraiment étrange, l’effet que pouvait avoir Matrim Cauthon, quand on le fréquentait beaucoup. Désormais, Talmanes ne voyait plus le peuple de la même façon. Était-ce parce qu’il ne savait toujours pas s’il devait penser à Mat comme à un seigneur ou à un roturier ?

De l’autre côté de la route, en attendant ses hommes, Talmanes observa la cité en flammes. Même s’ils n’étaient pas des cavaliers aguerris, tous les gars de la Compagnie disposaient d’un cheval pour les longs voyages. Donc, il aurait pu leur ordonner à tous de chevaucher. Ce soir, il n’avait pas osé. Alors que des Trollocs et des Myrddraals sillonnaient les rues, les Bras Rouges devaient être prêts à se battre. Sur les flancs des piquiers en colonne, les arbalétriers avançaient avec leur arme chargée. Si urgente que fût leur mission, Talmanes refusait de laisser ses gars vulnérables à une charge de Trollocs.

Mais s’ils perdaient les dragons…

Lumière, brille pour nous !

Avec toute cette fumée, on eût dit que la ville était en ébullition. Cela dit, certains secteurs de la Cité Intérieure – au sommet de la colline, donc visibles de l’extérieur – n’étaient pas encore en flammes. Le palais, par exemple. Ses soldats parvenaient-ils à résister ?

De la reine, pas un mot n’était arrivé. Et d’après ce que l’officier voyait, la capitale n’avait reçu aucun secours. La souveraine ignorait ce qui se passait, et ça n’augurait rien de bon.

Non, rien de bon…