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Cerise sur le gâteau, de nouveau emprisonné, le Grand Seigneur ne pourrait pas la punir. Seconde cerise, la plupart des autres Élus – sinon tous – avaient quitté ce monde ou croupissaient en prison. Si c’était vrai, personne ne pourrait rivaliser avec ses connaissances.

Au fond, rien n’était perdu. Au contraire, il s’agissait peut-être d’une victoire.

S’arrêtant près d’une charrette de ravitaillement renversée, Moghedien contrôla son cour’souvra – il était toujours entier, par bonheur. Souriant aux anges, elle canalisa une petite boule lumineuse, histoire d’éclairer son chemin.

Enfin, on voyait le ciel, et plus l’ignoble masse de nuages noirs. Cette situation, l’Élue pouvait la faire tourner à son avantage. Ainsi, en quelques années seulement, elle serait en position de diriger l’univers.

Un objet froid se referma soudain autour de son cou.

Levant les mains, Moghedien cria de terreur.

— Non ! Non, pas encore !

Son déguisement disparut et le Pouvoir de l’Unique l’abandonna.

Une sul’dam patibulaire se dressa sur son chemin.

— Nous n’avons pas le droit de rafler les femmes qui se nomment elles-mêmes des Aes Sedai. Toi, tu ne portes pas leur bague au serpent, et tu rôdes comme quelqu’un qui a quelque chose à se reprocher. Je parie que tu ne manqueras à personne.

— Libère-moi ! grinça Moghedien en agrippant l’a’dam. Libère-moi, espèce de…

La souffrance envoya Moghedien se tordre de douleur sur le sol.

— Je me nomme Shanan, dit la sul’dam alors que plusieurs de ses collègues approchaient, une damane dans leur sillage. Mais tu peux m’appeler « maîtresse ». Bien, je crois qu’il est temps de retourner à Ebou Dar.

Les autres sul’dam acquiesçant, la damane ouvrit un portail.

Il fallut porter Moghedien pour la faire traverser.

Près du mont Shayol Ghul, Nynaeve sortit de la tente-hôpital. Le soleil, constata-t-elle, finissait de sombrer à l’horizon.

— Il est mort, annonça-t-elle à la petite foule massée dehors.

Prononcer ces mots lui donna le sentiment de se laisser tomber une brique sur les pieds. Ayant versé toutes les larmes de son corps, elle ne pleurait pas, mais ça n’en était pas moins douloureux pour autant.

Lan sortit à son tour et lui passa un bras autour des épaules. Émue, elle lui prit la main. Non loin de là, Min et Elayne se regardaient.

Gregorin se pencha pour parler à l’oreille de Darlin – qu’on avait retrouvé en piteux état dans les ruines de son poste de commandement. Ils observaient les deux femmes, l’air désapprobateur. Nynaeve entendit la fin du commentaire de Gregorin.

— … On pouvait s’y attendre de la part de l’Aielle – ces sauvages n’ont pas de cœur – et peut-être de la reine d’Andor, mais la troisième ? Pas une larme.

— Elles sont sous le choc, avança Darlin.

Non, pensa Nynaeve, en étudiant Min et Elayne. Ces deux-là savent quelque chose que j’ignore.

— Attends-moi là, dit-elle à Lan en s’écartant de lui.

Il lui emboîta le pas.

L’ancienne Sage-Dame le foudroya du regard.

— Dans les semaines à venir, tu ne te débarrasseras pas de moi, Nynaeve, dit le roi du Malkier, des flots d’amour se déversant du lien. Même si tu le désires.

— Espèce de tête de pioche ! grogna Nynaeve. Si je me souviens bien, c’est toi qui as insisté pour me laisser et marcher vers ta prétendue destinée.

— Tu avais raison sur ce sujet, admit Lan. Comme souvent.

Une provocation lancée sur un ton si serein qu’on ne pouvait pas s’énerver…

De toute façon, Nynaeve était déjà furieuse contre les Trois. Elle fondit d’abord sur Aviendha, Lan à ses côtés.

— … Avec la mort de Rhuarc…, disait la jeune Aielle à Sorilea et à Bair, je pense que tout ce que j’ai vu est susceptible de changer. En fait, c’est déjà commencé…

— J’ai découvert ta vision, Aviendha, dit Bair. Ou du moins, quelque chose de semblable vu par des yeux différents. Selon moi, c’est un avertissement contre quelque chose que nous ne devons pas laisser arriver.

Les deux autres Matriarches acquiescèrent. Puis elles avisèrent Nynaeve, et leur visage se ferma comme celui d’une Aes Sedai. Aviendha ne fut pas en reste, d’un calme inébranlable alors qu’elle trônait sur sa chaise, les pieds enveloppés de bandages. Un jour, elle remarcherait peut-être – mais elle ne combattrait plus jamais.

— Nynaeve al’Meara…, fit-elle.

— M’as-tu entendue annoncer la mort de Rand ? Il est parti sans un mot.

— Celui qui était blessé s’est réveillé du rêve, dit sereinement Aviendha. Tous, nous devons le faire un jour. Sa fin fut auréolée de gloire, et sa mémoire sera célébrée dans la grandeur.

Nynaeve se pencha vers la jeune Matriarche.

— Bon, assez d’âneries, dit-elle en s’unissant à la Source. Crache le morceau ! Je t’ai choisie parce que tu ne peux pas fuir.

Un instant, Aviendha sembla… effrayée. Mais ce fut très fugitif.

— Préparons son bûcher funéraire.

Perrin courait dans le rêve des loups.

Seul.

D’autres loups hurlaient à la mort pour exprimer leur tristesse de le voir si chagriné. Dès qu’il les dépassait, ils recommençaient à fêter la victoire, mais ça n’enlevait rien à leur empathie.

Perrin ne hurla pas et il ne pleura pas non plus. Il devint Jeune Taureau et il courut.

Il n’avait pas envie d’être là. Dormir, voilà ce qu’il désirait. Dormir et ne plus sentir la douleur. Dans le rêve des loups, elle lui poignardait le cœur.

Je n’aurais pas dû la laisser…

Une idée de deux-pattes… Que fichait-elle dans l’esprit d’un loup ?

Mais qu’aurais-je pu faire ? J’avais promis de ne pas la traiter comme un bibelot fragile.

Courir ! Courir ! Courir ! Jusqu’à en tomber d’épuisement.

Je devais rejoindre Rand. Il le fallait. Mais en agissant ainsi, je l’ai trahie.

En un éclair, Perrin se décala à Deux-Rivières. Puis il retourna près de la rivière Mora, fila dans le désert des Aiels, en revint et se lança dans un long bond en direction de Falme.

Je devais les protéger tous les deux, mais comme c’était impossible, j’en ai abandonné un…

Un saut à Tear. Puis à Champ d’Emond. À une vitesse folle, au point de ne plus rien voir autour de lui. Ici, il avait épousé Faile.

Ici, il hurla à la mort.

Caemlyn, Cairhien, les puits de Dumai.

Là, il avait sauvé l’un des deux.

Cairhien, Ghealdan, Malden…

Là, il avait secouru l’autre…

Les deux forces de sa vie, chacune l’attirant vers elle…

Vidé de ses forces, Jeune Taureau finit par s’écrouler non loin d’une série de collines, en Andor. Un lieu familier…

Celui où j’ai rencontré Elyas.

Jeune Taureau redevint Perrin Aybara. Ses pensées et ses angoisses n’étaient pas celles d’un loup ! Du coin de l’œil, le jeune seigneur regarda le ciel, vide de nuages depuis le sacrifice de Rand.

Il avait voulu être avec son ami au moment de sa mort.

Là, il désirait être à l’endroit où Faile avait quitté ce monde.

Il désirait crier, mais ça n’aurait servi à rien.

— Je dois laisser tomber, c’est ça ? murmura-t-il à l’intention du ciel. Mais je ne veux pas. J’ai appris ! À cause de Malden, j’ai appris ! Je ne le referai pas ! Cette fois, j’ai agi comme il le fallait.