Выбрать главу

Les Aiels aperçurent la jeune Matriarche, mais elle n’approcha pas d’eux. Les gens des terres mouillées, en revanche, ne la virent pas – à l’exception d’un Champion, quand elle atteignit le camp des Aes Sedai.

Ici, des gens bougeaient un peu partout. Quelque chose était arrivé, mais quoi ? Une attaque de Trollocs ?

Tendant l’oreille, Aviendha apprit que les monstres avaient conquis Caemlyn, en Andor. On s’inquiétait qu’ils abandonnent la ville pour aller dévaster le royaume.

Aviendha devait en apprendre plus. Danserait-on avec les lances ce soir ? Avec un peu de chance, Elayne partagerait ses informations avec elle.

La jeune Matriarche s’éloigna du fief des Aes Sedai. Ne pas faire de bruit, sur une terre meuble hérissée de végétaux, se révélait plus difficile qu’au cœur de la Tierce-Terre. Là-bas, le sol sablonneux étouffait les bruits de pas. Ici, une brindille sèche pouvait être nichée entre deux plantes vertes.

Aviendha essaya de ne pas penser à l’état pitoyable de l’herbe. Au début, son aspect ne l’avait pas étonnée. Aujourd’hui, elle savait que les végétaux des terres mouillées ne devaient pas avoir l’air si ratatinés et creux.

Des végétaux creux ? Que racontait-elle donc ? Secouant la tête, elle continua à s’éloigner du camp des sœurs. Un instant, elle songea à faire demi-tour et à s’y infiltrer pour prendre par surprise ce fichu Champion. Caché dans les ruines d’un bâtiment envahi par la végétation, il était vraiment difficile à repérer.

La jeune Matriarche renonça vite à son plan. L’urgence, c’était de voir Elayne et de l’interroger sur l’attaque.

À l’approche d’un autre camp grouillant d’activité, Aviendha se cacha derrière les branches dénudées d’un grand arbre qu’elle fut incapable d’identifier. Puis elle s’infiltra dans le périmètre de surveillance des sentinelles.

Près d’un feu, deux hommes en blanc et rouge « montaient la garde ». Ils n’aperçurent jamais la jeune Aielle. En revanche, ils bondirent sur leurs pieds, armes brandies, quand un animal nocturne fit bruire les broussailles.

Honteuse pour eux, Aviendha continua son chemin.

Avancer, elle devait continuer à avancer ! Mais que faire au sujet de Rand al’Thor ? Que préparait-il pour le lendemain ?

D’autres questions qu’elle entendait bien poser à Elayne.

Quand Rand al’Thor en aurait fini avec eux, les Aiels auraient besoin d’une raison de vivre. Ce point ressortait clairement des visions de Rhuidean. Et Aviendha comptait bien la leur trouver.

Devraient-ils retourner dans la Tierce-Terre ? Eh bien, non… Cette réponse arrachait le cœur à Aviendha, mais il fallait regarder les choses en face. S’ils agissaient ainsi, les Aiels se mettraient en chemin vers leur tombe. Leur mort en tant que peuple ne serait pas immédiate, mais elle viendrait inexorablement. Avec ses nouveaux engins et ses façons inconnues de se battre, le monde sans cesse changeant les submergerait et les Seanchaniens ne les laisseraient jamais en paix. Pas tant que les guerriers du désert auraient avec eux des femmes capables de canaliser. Et des légions de braves susceptibles de lancer à tout moment une invasion.

Une patrouille approchant, Aviendha se recouvrit de feuilles mortes puis s’allongea au pied d’un buisson agonisant. Les gardes faillirent lui marcher dessus mais ne la virent pas.

Nous pourrions attaquer les Seanchaniens dès maintenant… Dans ma vision, nous avons attendu près d’une génération, laissant le temps à nos ennemis de renforcer leur position.

Les Aiels parlaient déjà d’une confrontation inévitable avec les Seanchaniens. Au pire, ce serait l’ennemi qui la forcerait. Mais dans les visions, des années avaient passé sans que l’Empire passe à l’offensive. Pourquoi ? Qu’est-ce qui l’en avait empêché ?

Aviendha se leva et avança jusqu’au chemin que les gardes avaient emprunté. Là, elle dégaina son couteau et le planta dans le sol, près d’un poteau muni d’une lanterne – bref, visible comme le nez au milieu de la figure, même pour un abruti des terres mouillées. Puis elle s’enfonça dans la nuit et se cacha près de l’arrière de la grande tente qu’elle voulait rallier.

Accroupie, elle respira en silence, un rituel conçu pour la calmer. Sous la tente, des gens énervés parlaient à voix basse. En se concentrant, Aviendha parvint à ne pas comprendre ce qui se disait. Espionner aurait été déshonorant.

Quand la patrouille repassa, elle se redressa. Alors que les soldats beuglaient comme des veaux parce qu’ils avaient trouvé son couteau, elle contourna la tente. Les sentinelles ayant tourné la tête vers la source du vacarme, elle écarta le rabat et entra.

D’un côté de la très grande tente, des gens siégeaient à une table. Plongés dans leur conversation, ils ne remarquèrent même pas l’intruse. S’installant près d’un tas de coussins, Aviendha entreprit de patienter.

Mais de si près, ne pas entendre se révéla impossible.

— Nous devons ramener nos troupes en Andor ! cria un homme. Majesté, la chute de la capitale est un symbole. Un symbole ! Si nous abandonnons Caemlyn, le royaume entier sombrera dans le chaos.

— Tu sous-estimes la résistance des Andoriens, dit Elayne.

Ses cheveux blond tirant sur le roux scintillant à la lueur des lampes, elle semblait très sûre d’elle-même et parfaitement calme. Plusieurs de ses officiers se tenaient derrière elle, lui apportant tout le poids de leurs compétences. Quand elle vit le feu qui dansait dans les yeux de sa première-sœur, Aviendha s’en rengorgea de fierté.

— Seigneur Lir, reprit Elayne, je suis allée à Caemlyn. J’y ai laissé un détachement chargé de nous prévenir si les Trollocs quittent la cité. Via des portails, nos agents s’infiltreront en ville pour repérer les endroits où les monstres gardent les prisonniers. Grâce à ces informations, nous monterons des opérations de secours, si les Trollocs s’incrustent chez nous.

— Mais la capitale ! s’écria le seigneur Lir. La capitale !

— Elle est perdue, Lir ! lança dame Dyelin. Tenter de la reconquérir serait une folie.

Elayne approuva du chef.

— Je me suis entretenue avec les Hautes Chaires de toutes les autres maisons, et nous sommes tombés d’accord. Pour l’instant, les gens qui ont pu fuir sont en sécurité. Sous escorte, ils se dirigent vers Pont-Blanc. S’il y a des survivants en ville, nous tenterons de les sauver avec des portails, mais je n’engagerai pas toutes mes forces dans une attaque massive pour reprendre Caemlyn.

— Mais…

— Cette reconquête ne servirait à rien, fit Elayne d’un ton sec. Je connais très bien les pertes que peut encaisser une armée lancée à l’assaut de ces murs. Et Andor ne s’écroulera pas à cause de la chute d’une seule ville, si importante soit-elle.

Une voix d’acier, un masque de marbre… Aviendha en fut vraiment soufflée.

— Tôt ou tard, reprit Elayne, les Trollocs quitteront la capitale, car la tenir ne leur apportera rien, sinon finir par crever de faim. Quand ils seront dehors, nous les affronterons sur un terrain bien plus favorable. Si ça te chante, seigneur Lir, n’hésite pas à aller en ville vérifier ce que je te rapporte. Les soldats seraient sans doute galvanisés par la présence d’une Haute Chaire.

Lir plissa le front mais acquiesça.

— Je pense que j’irai, oui…

— Alors, écoute bien mon plan. Nous enverrons des éclaireurs avant la fin de la nuit, avec mission de trouver des camps de prisonniers civils et… Aviendha, au nom de la fichue corne gauche d’une chèvre, que fais-tu donc là ?

Occupée à se couper les ongles avec son second couteau, la jeune Matriarche daigna lever les yeux. La fichue corne gauche d’une chèvre ? Un nouveau juron. Elayne proférait toujours les plus intéressants…