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Deux Asha’man fidèles à Taim conversaient non loin de là. Si nonchalants qu’ils tentent de paraître, la pluie gâchait leurs efforts. Qui aurait choisi de rester dehors par un temps pareil ? Malgré le brasero qui les éclairait et les réchauffait – et un tissage d’Air qui déviait la pluie –, leur présence ne pouvait pas être fortuite.

Des gardes…, pensa Pevara à l’intention d’Androl.

Et ça fonctionna. La sœur rouge capta la surprise de l’homme, quand cette pensée retentit dans son esprit.

Il répondit en un éclair.

Nous devons en tirer avantage.

Oui, approuva Pevara.

Sa pensée suivante étant trop complexe, elle souffla :

— Comment n’as-tu pas remarqué plus tôt que Taim faisait garder les fondations, la nuit ? S’il y a vraiment des salles secrètes, ils doivent y travailler même après le coucher du soleil.

— Taim a imposé un couvre-feu, murmura Androl. Il nous permet de passer outre seulement quand ça l’arrange. Comme pour le retour de Welyn, cette nuit… En outre, le secteur est dangereux, avec ces tranchées et ces fosses. Une raison suffisante pour poster des gardes, sauf que…

— Sauf que Taim n’est pas du genre à se soucier qu’un gosse ou deux se brisent la nuque en tombant.

Androl approuva du chef.

Avec Pevara, ils attendirent sous la pluie, comptant leurs inspirations, jusqu’à ce que trois rubans de feu jaillissent dans la nuit et frappent les sentinelles à la tête.

Les deux hommes s’écroulèrent comme des sacs de grain. Nalaam, Emarin et Jonneth avaient parfaitement fait leur travail. En canalisant vite, ils augmentaient les chances que l’attaque passe inaperçue ou soit prise pour une initiative des gardes de Taim.

Lumière ! pensa Pevara. Androl et ses semblables sont vraiment des armes.

Elle ne s’était pas appesantie sur le caractère mortel de l’assaut. Tuer n’appartenait pas à son expérience d’Aes Sedai. Même les faux Dragons, les sœurs évitaient de les abattre, quand c’était possible.

— Être apaisé tue, souffla Androl. Lentement, mais ça tue…

Le double lien avait des avantages, on ne pouvait pas le nier. Sans compter les inconvénients. Pevara devrait apprendre à protéger ses pensées avec un bouclier.

Sortant des ombres, Emarin et les autres rejoignirent Pevara et Androl à côté du brasero. Canler était resté en arrière, avec les gars de Deux-Rivières, prêt à les lancer dans une tentative d’évasion si les choses tournaient mal ce soir. Malgré ses protestations, il avait paru normal de le choisir, puisqu’il avait une famille.

Les conjurés tirèrent les cadavres dans les ombres, mais ils n’éteignirent pas le brasero. Si quelqu’un cherchait les gardes, il verrait la lumière. Par une nuit pareille, il faudrait approcher beaucoup pour s’apercevoir que les deux Asha’man n’étaient plus là.

Même s’il répétait sans cesse qu’il n’avait rien d’un chef – alors, pourquoi les autres le suivaient-ils ? –, Androl prit les choses en main. Pour commencer, il chargea Nalaam et Jonneth de monter la garde à la lisière des fondations. La corde retirée à cause de la pluie, Jonneth avait emporté son arc. Si l’averse cessait, il pourrait peut-être s’en servir quand ses compagnons préféreraient ne pas prendre le risque de canaliser le Pouvoir.

Pevara, Androl et Emarin se laissèrent glisser le long d’une pente boueuse. Au bout de sa « course », la sœur se retrouva couverte de gadoue. Mais elle était déjà trempée jusqu’aux os et la pluie finirait bien par la nettoyer.

Les fondations consistaient en une succession de murs qui formaient des salles séparées par des allées. Quand on s’y aventurait, surtout de nuit et sous la pluie, ce lieu devenait un véritable dédale.

Après les nuits pluvieuses, des Soldats, au matin, avaient mission de sécher la zone.

Comment trouver l’entrée ? pensa Pevara à l’intention d’Androl.

Un très petit globe lumineux lévitant au-dessus de sa main, Androl s’agenouilla. Passant à travers la lumière, des gouttes de pluie évoquaient de minuscules météorites qui disparaissaient avant de s’écraser sur le sol.

Androl trempa les doigts dans l’eau qui ruisselait à ses pieds.

— Elle coule dans ce sens, dit-il en tendant un bras. Et elle va quelque part. Là où nous trouverons Taim.

Emarin lâcha un grognement approbateur.

Androl agita une main pour indiquer à Nalaam et à Jonneth de les rejoindre. Puis il ouvrit la marche.

Toi… Très furtif. Oui, très bien…, lui transmit Pevara.

J’ai été éclaireur en forêt… Dans les montagnes de la Brume…

Combien de métiers avait-il faits, ce sacré bonhomme ? Au début, Pevara s’était inquiétée pour lui. Une vie comme la sienne était souvent le signe d’un désaccord profond avec le monde. Une insatisfaction, ou une sorte d’impatience… Mais la façon dont il parlait de la Tour Noire et son désir puissant de combattre racontaient une tout autre histoire. Tout ne se résumait pas à sa loyauté pour Logain. Bien entendu, ses amis et lui le respectaient, mais à leurs yeux, ils incarnaient un idéal qui le dépassait très largement. Le rêve d’un foyer où les hommes comme eux seraient acceptés.

Une existence comme celle d’Androl pouvait signaler un homme incapable de s’engager ou d’être heureux. Mais il y avait un troisième profil, celui d’une âme en quête permanente de son idéal. Un type certain que la vie dont il voulait existait quelque part. Sa mission, c’était « simplement » de la trouver.

— À la Tour Blanche, on vous enseigne à décortiquer les gens comme ça ? souffla Androl.

Il s’arrêta devant une entrée, la sonda avec l’aide de son globe puis fit signe aux autres de le suivre.

Non, répondit mentalement Pevara.

Décidée à explorer ce mode de communication, elle devrait apprendre à modérer ses pensées.

C’est une aptitude qu’une femme acquiert après son premier siècle en ce monde.

Androl transmit de l’amusement – mais un peu forcé.

Les intrus traversèrent une série de salles inachevées, toutes dépourvues de plafond. Puis ils atteignirent un secteur encore vierge de travaux. Des tonneaux de poix y étaient entreposés, mais on les avait poussés sur le côté, et il n’y avait plus trace des palettes sur lesquelles ils auraient dû reposer. Ici, un puits s’ouvrait dans le sol. De l’eau en débordait légèrement.

Androl s’accroupit et tendit l’oreille, puis il hocha la tête à l’intention de ses compagnons… et sauta à pieds joints dans la fosse.

Le « splash » prévisible retentit avec une ou deux secondes de décalage.

Pevara imita Androl. L’eau lui gela les pieds, mais comme elle était déjà trempée…

Debout dans le puits en trompe-l’œil, Androl se pencha, rampa dans un court tunnel puis se redressa dès qu’il fut de l’autre côté. Là, son globe lumineux révéla l’entrée d’un autre tunnel. Une sorte de réservoir pour les eaux de pluie.

Au moment où les gardes étaient morts, estima Pevara, Androl et elle devaient se tenir très exactement au-dessus de cet endroit.

Dobser n’a pas menti… Taim construit en secret des tunnels et des salles.

Quand les autres les eurent rejoints, Androl s’engagea dans le conduit. Très vite, ils atteignirent une intersection où les murs étaient étayés, comme dans une mine.

Les cinq intrus hésitèrent sur la direction à prendre.

— Ce chemin semble remonter, dit Emarin en étudiant une des deux possibilités. Peut-être pour rallier une seconde entrée…

— On devrait choisir l’autre tunnel, dit Nalaam, celui qui s’enfonce sous terre.

— Oui, souffla Androl. (S’humectant un index, il le leva pour tester le courant d’air.) Nous allons prendre sur la droite. C’est une bonne façon de commencer. Mais soyez prudents, car il y aura d’autres sentinelles.